Le Dr Claude Grange était à Maurice la semaine dernière pour animer un séminaire sur les soins palliatifs à la clinique Ferrière à Maurice. Dans un entretien accordé au Mauricien, il souligne qu’il est nécessaire de s’occuper d’une personne « depuis son premier souffle jusqu’à son dernier souffle ». Il rappelle que nous sommes tous appelés un jour à mourir et qu’il est important de savoir dans quelles conditions nous souhaitons mourir. Or les soins palliatifs prennent de plus en plus d’importance dans le monde et à Maurice, des cliniques, dont la clinique Ferrière, multiplient les efforts pour vulgariser l’importance des soins palliatifs afin de permettre aux uns et aux autres de bien mourir.
Dr Claude Grange, que pouvez-vous dire pour rassurer ceux qui craignent le traitement palliatif ?
Laissez-moi d’abord vous poser une question… Est-ce que vous savez que vous allez mourir ?
Oui. Mais je n’y pense pas.
Eh bien, vous voyez déjà dans votre réponse que vous ne voulez pas y penser. Voilà. C’est comme si nous, tout un chacun, refusons notre mortalité. Il n’y a que nous, humains, qui savons qu’il y a un début et une fin. On sait tous qu’on va mourir mais on ne veut jamais y penser.
Dans la société, le sexe a été un tabou. Maintenant ce n’est plus le cas, c’est la mort qui est un tabou. On n’en parle pas. Il ne faut pas l’évoquer. C’est comme si on était immortel. Mais non. Nous allons tous mourir un jour. Le problème est de savoir ce qu’on veut, le jour venu. Est-ce qu’on veut être accompagné, ne pas souffrir, être entouré de ses proches ou est-ce qu’on veut être hospitalisé avec des tuyaux dans tous les orifices ? Est-ce qu’ici à Maurice les médecins poussent en faveur de la vie à n’importe quel prix ? Parce que quand on aime quelqu’un, on n’a pas envie qu’il meure. Mais il y a une réalité, celle qu’on va mourir tous, tous.
Lorsqu’on est atteint d’une maladie grave et que l’on sait pertinemment bien que la médecine, en l’état actuel des connaissances, ne peut plus guérir, il faut qu’on apprenne, nous médecins et soignants, à changer de logiciel ou avoir recours à une autre médecine. Il faut que les familles acceptent cette réalité que dans la vie d’une personne, il y a un début, il y a une fin. Nul ne sait ni le jour ni l’heure. Il y a une fin. Il faut que cette fin soit la plus paisible qui soit. Il ne faut pas rajouter des jours et des jours avec des tuyaux et des perfusions.
La réanimation, la suppléance n’a d’intérêt que si on n’est pas un cas difficile. Vous faites un accident vasculaire cérébral. Peut-être que vous vous remettrez de votre accident. Heureusement qu’on vous a ranimé. Si le coma se prolonge, que le patient ne récupère pas du tout et qui n’y a aucune chance qu’il revienne à la vie normale, que fait-on ? Est-ce qu’on utilise la même médecine ? Non.
L’entrée en soin palliatif ne se prend pas facilement. Tant que c’est possible, on donne toutes les chances aux malades et on fait tous les traitements. On sait très bien, nous médecins, que dans le cas de certaines pathologies très graves, on ne pourra pas les guérir. À ce moment, il faudra avoir la sagesse de dire : OK, on va les accompagner le mieux possible pour qu’ils partent tranquillement, paisiblement.
Quelle parallèle faites-vous avec l’euthanasie ?
L’euthanasie est un acte délibéré et intentionnel en vue de provoquer la mort d’un malade. Personnellement, je n’ai pas l’intention de donner la mort à un malade. Je ne suis pas à l’aise avec la nouvelle loi qui risque d’évoluer en France.
Accompagner une personne et la soulager n’est pas la même chose que d’injecter un produit pour faire mourir. En soins palliatifs, on soulage la douleur. S’il y a des symptômes réfractaires, on met la personne dans un sommeil. Faire dormir n’est pas faire mourir. La médecine palliative peut permettre de mettre la personne dans un sommeil avec des doses justes nécessaires pour un sommeil, pas des doses à faire mourir. Si une personne souffre de manière épouvantable, on peut la laisser dans un sommeil quelque temps avant de la réveiller.
Comment savoir quand arrêter un traitement pour adopter les soins palliatifs ?
Les médecins traitants sont formés pour savoir quand la maladie a atteint un stade irréversible et que tout traitement risque d’être complètement inefficace. Certains persistent avec leurs traitements parce qu’ils ne veulent pas s’avouer vaincus. Or, il faut arrêter les traitements qui ne servent à rien. Dans le cas d’un cancéreux, donner un traitement n’est pas comparable à l’absorption d’une tisane… C’est très toxique.
Pour vous donner un exemple, je suis contre une chimiothérapie des derniers jours. D’abord, cela coûte très cher et ensuite, à quoi cela sert ? C’est fatiguant pour un patient et ne sert à rien. Une chimio est destinée à tuer les cellules cancéreuses. Si on sait que le patient mourra dans deux jours, à quoi cela sert-il ?
La famille est-elle partie prenante des soins palliatifs ?
Totalement. On ne peut pas accompagner un malade sans prendre en compte ses proches. Mais attention ! À la famille, on explique ce qu’on fait et ce qu’on ne fait pas mais ce n’est pas elle qui décide. C’est le malade qui peut le faire. Est-ce que vous seriez d’accord d’aller voir un médecin et qu’il choisit d’appeler votre épouse et vos enfants, discute et décide avec eux ? Je ne suis pas d’accord que le malade soit le dernier informé comme cela est parfois le cas parce que les familles disent souvent « surtout il ne faut pas lui dire ».
Psychologiquement et moralement, est-ce que le patient est en mesure de prendre une décision éclairée ?
Bien sûr. Pendant 25 ans, j’ai accompagné des personnes. Bien sûr, c’est leur vie. Ils veulent vivre mais ils comprennent que si à un moment donné la médecine ne peut pas les guérir, la seule chose qui les intéresse est de ne pas souffrir. En fin de compte, le problème n’est pas tant la mort que les conditions dans lesquelles on meurt. Ce n’est pas acceptable de laisser mourir dans des douleurs épouvantables une personne qu’on aime. C’est également le cas lorsqu’on continue un traitement qui a plus d’inconvenances que de bénéfices.
Comment bien accompagner quelqu’un en soins palliatifs ?
D’abord, il faut qu’il soit le sujet des soins. Le projet de soins, on le discute avec le patient et c’est lui qui nous indique les limites au-delà desquelles il ne pourrait pas aller. Est-ce que vous seriez d’accord si vous aviez une maladie incurable, qu’on vous fasse subir toutes sortes de martyrs pour vous alimenter ?
Tout ce qui est possible n’est pas forcément souhaitable. Ce n’est pas parce que c’est possible de se nourrir avec un tuyau qu’on va le faire ; ce n’est pas parce que c’est possible de mettre un tube et d’utiliser une machine pour respirer qu’il faut le pratiquer à tout prix. Il est vrai que lorsqu’on est atteint d’une maladie mortelle, le cœur est défaillant, on met un tube, on fait respirer avec une machine. Si les reins ne fonctionnent pas, on fait la dialyse, l’épuration extrarénale.
Est-ce qu’à un moment donné, on ne peut pas accepter la nature humaine qui fait qu’un jour on est arrivé sur cette terre et qu’un jour on va la quitter ? Quand ce moment est arrivé, on ne peut pas faire survivre indéfiniment une personne alors qu’on sait que cela va être inconfortable. Est-ce que vous préférez mourir dans votre lit confortablement ou est-ce que vous préférez mourir avec un tuyau d’oxygène, perfusion, sonde rectale, urinaire ?
Comment se passe l’accompagnement dans la réalité ?
On soulage la douleur et on arrête les traitements inutiles. Pour bien traiter la douleur, il faut bien l’évaluer. Cela peut-être des personnes envahies par la peur de mourir ; ce n’est pas l’opiacé, les morphines, qui soulagent de la douleur mais c’est l’écoute, la présence, les discussions, les médicaments pour calmer l’angoisse et la dépression. Il faut bien également évaluer les symptômes – les symptômes prioritaires, c’est la douleur. C’est pour cela qu’il est nécessaire d’avoir un minimum de connaissance et de compétence, c’est pour cela qu’il faut développer les soins palliatifs.
Il y a le centre Augustin Grange qui est un centre de formation. Il faut que les médecins et les soignants se forment à la démarche palliative, parce qu’on meurt partout. On meurt à l’hôpital, on meurt en clinique, chez soi, il faut apprendre à ses professionnels et aux familles d’accompagner le malade avec les justes soins.
Bien mourir est le sujet de votre livre, intitulé « Le Dernier souffle » ?
Oui, c’est plein d’histoires de personnes que j’ai accompagnées paisiblement rien qu’en les soulageant, en les écoutant et en faisant des choses qui n’avaient du sens que pour le malade, pas pour les médecins, pas pour la famille. C’est le malade qui nous dicte et on met notre compétence médicale aux services du patient.
Vous dites que le médecin doit être prêt à entendre la peur du patient. Est-ce que vous pourriez élaborer cela ?
Bien sûr le patient peut être fatigué. Il faut savoir ce que les médecins lui ont dit. S’ils lui ont informé de ses maladies, qu’est ce qu’ils ont compris ? Est-ce qu’il y a des choses qui l’inquiètent ? Certains vous diront que ce n’est pas tant la mort qui les inquiète mais la souffrance. D’autres vous diront qu’ils ont vu leur mère, leur père mourir dans des conditions épouvantables et qu’ils ne veulent pas subir la même chose.
C’est au médecin de prévoir ces peurs et de poser les questions appropriées pour savoir ce qui inquiète le patient ? Qu’est-ce qui lui fait peur ? Est-ce la souffrance ou la peur de quitter les proches aussi ? Il faut que le médecin soit en mesure d’écouter ses peurs. Si le médecin ne peut le faire, le malade reste seul avec ses peurs et il ne peut les partager avec personne, même pas avec sa famille. L’écoute fait partie intégrante des soins palliatifs.
On parle beaucoup de cancéreux ? Quelles sont les autres maladies qui poussent à entrer en soins palliatifs ?
Ce sont des maladies neurodégénératives, la paralysie de tous les muscles, il y a aussi les insuffisances cardiaques en phase terminale, les insuffisances respiratoires, les bronchopathies chroniques qui ne permettant plus tellement de respirer. Ce sont des défaillances cardiaques, pulmonaires et rénales.
Est-ce qu’il y a un religieux qui fait partie de l’équipe pluridisciplinaire de soins palliatifs ?
Bien sûr, il y a l’accompagnement spirituel pour toutes les confessions religieuses. Il y a des imams qui peuvent venir, il y a tous les officiants des autres religions qui peuvent venir parce que dans ces moments-là, c’est aussi bien pour le patient de se mettre en règle par rapport à sa foi.
Est-ce que ceux qui sont dans l’équipe de soins palliatifs bénéficient aussi d’un soutien psychologique ?
Il y a des groupes de paroles pour les personnes qui sont endeuillées. Quand les familles ont perdu quelqu’un, elles peuvent revenir ici pour discuter. Là encore une fois, le deuil se passe bien mieux lorsqu’on est accompagné par tout le monde que quand on a vu ses parents mourir dans des conditions épouvantables. Quand on a été bien soutenus, bien sûr qu’on est triste mais le deuil se fait plus facilement.
Avez-vous un message à adresser aux familles et aux autorités ?
Je pense qu’il faut développer les soins palliatifs partout. Il faut qu’on ait une démarche palliative et arrêter de penser qu’on peut tout guérir même si la science fait beaucoup de progrès. Il faut que la société mauricienne accepte le fait qu’on est tous mortels et qu’à un moment donné, on peut accompagner le mieux possible nos proches en fin de vie, leur donner les justes soins et ne pas faire de chose inutile.
« On sait tous qu’on va mourir mais on ne veut jamais y penser. Dans la société, le sexe a été un tabou. Maintenant ce n’est plus le cas, c’est la mort qui est un tabou. On n’en parle pas. Il ne faut pas l’évoquer. C’est comme si on était immortel. Mais non, nous allons tous mourir un jour. Le problème est de savoir ce qu’on veut, le jour venu »
« Pendant 25 ans, j’ai accompagné des personnes. Bien sûr, c’est leur vie. Ils veulent vivre mais ils comprennent que si à un moment donné la médecine ne peut pas les guérir, la seule chose qui les intéresse est de ne pas souffrir. En fin de compte, le problème n’est pas tant la mort que les conditions dans lesquelles on meurt »
« Tout ce qui est possible n’est pas forcément souhaitable. Ce n’est pas parce que c’est possible de se nourrir avec un tuyau qu’on va le faire ; ce n’est pas parce que c’est possible de mettre un tube et d’utiliser une machine pour respirer qu’il faut le pratiquer à tout prix »