LE DR HARISH SURNAM: “Je soutenais la vérité, rien que la vérité, toute la vérité”

Aucune révélation à faire dans L’Affaire Kaya, mais des doutes à clarifier, des faits à exposer. Comme une nécessité de briser le silence pour parler de cette fameuse autopsie que le Dr Babu Harish Surnam avait réalisée au matin du dimanche 21 février 1999 à Candos. L’homme maintient les observations présentées dans son rapport et en cour. Il soutient avoir travaillé en toute indépendance et de manière objective. Comme dans son livre, il revient aussi sur les émeutes de 1999, et renvoie chacun, dont l’État, à ses responsabilités. Treize ans après, pour le Dr Surnam, parler est un devoir. Au nom de la mémoire. Il se livre à Scope.
Treize ans après avoir pratiqué l’autopsie du corps de Joseph Réginald Topize, qu’est-ce qui vous amène à publier L’Affaire Kaya ?
L’autopsie a été suivie d’une chaîne d’événements. Il y a eu des émeutes dans le pays. D’autres médecins sont venus donner d’autres interprétations aux évidences médico-légales décelées lors de l’autopsie et après les examens en laboratoire. On a parlé de secouage, de coups de pied, de coups de poing, d’infarctus cérébral, etc. Treize années se sont écoulées depuis, mais le doute et la confusion subsistent toujours dans l’esprit du grand public sur la cause et les circonstances exactes de cette mort en cellule policière.
Pour avoir été un témoin privilégié de tous ces événements, un devoir de mémoire m’a poussé à parler des émeutes et à exposer les différents rapports médico-légaux ainsi que les dépositions des médecins concernés par cette affaire, afin de dissiper toute confusion.
Au-delà des conclusions que tirera chaque lecteur après la lecture de votre livre,  qu’avez-vous personnellement cherché à dire à travers ce document ?
Que pour pratiquer la médecine légale, il faut bien savoir reconnaître les lésions, et bien les interpréter. Il faut étudier chaque lésion séparément, mais ensuite considérer l’ensemble des lésions afin de pouvoir arriver à des conclusions médico-légales crédibles. Une mauvaise interprétation des lésions peut causer d’énormes souffrances aux proches du défunt. Dans l’affaire dont nous parlons, cela a débouché sur des émeutes dans le pays.
D’autre part, je pense que la presse ? cette arme redoutable ? a aussi le devoir de se montrer responsable. Les articles publiés ne doivent pas être seulement sensationnels, mais doivent reposer sur des faits. Cela évitera bien des traumatismes à la société.
En 1999, aviez-vous reçu des instructions particulières avant de pratiquer cette autopsie ou de soumettre votre rapport ?
Non, définitivement non. C’est une fausse conception que de croire que les médecins légistes reçoivent des instructions pour pratiquer des autopsies. Je n’ai jamais reçu une quelconque instruction à propos d’une autopsie ou d’un rapport médico-légal. J’ai toujours travaillé en totale indépendance et j’ai toujours assumé mes responsabilités dans ce que j’avançais. Je demande à la population de faire confiance aux médecins légistes mauriciens.
Maintenant que vous êtes à la retraite, que répondez-vous lorsqu’on vous demande de quoi Kaya est mort ?
Je n’ai jamais cessé de répéter que le décès de Kaya a été provoqué par une blessure à la tête alors que le défunt était sous l’emprise d’une crise convulsive.
Y a-t-il des responsabilités imputables à l’État dans cette affaire ?
Kaya fut emmené au bureau du CCID en l’absence d’un mandat d’arrêt, même après que les policiers qui s’occupaient de l’enquête à l’époque n’eurent rien trouvé d’incriminant chez lui. D’après mes recherches  ? et c’est dans mon livre ? , les policiers lui avaient demandé de les accompagner uniquement pour signer un document certifiant qu’ils n’avaient rien trouvé chez lui. En réalité, ces policiers voulaient l’emmener aux casernes centrales pour l’interroger à propos de sa participation au concert du Mouvement Républicain (Ndlr : en faveur de la dépénalisation du gandia), qui s’était tenu deux jours plus tôt. Au bâtiment du CCID, son épouse, qui l’avait accompagné à Port-Louis, fut priée d’attendre dans le couloir. Un sergent de police avait déclaré avoir lu à Kaya ses droits constitutionnels, non pas chez lui, mais lorsqu’il était dans le bureau du CCID, seul face aux policiers.
D’autre part, les conditions de détention à Alcatraz  devaient définitivement avoir un effet néfaste sur n’importe qui, que la personne soit en situation de manque ou pas. Je pense que, lorsqu’il y a suspicion qu’une personne se drogue, sa place ne se trouve pas en prison. Cette personne doit être considérée comme un malade et doit être admise à l’hôpital, sous surveillance. En revanche, quand il s’agit de trafiquants et d’importateurs de drogue, la police doit impérativement sévir.
Cinq avis médicaux ont été présentés en cour dans le cadre de l’enquête judiciaire sur la mort de Kaya, et les avis de certains médecins diffèrent grandement sur des questions fondamentales. Comment expliquez-vous cela ?
Je ne peux pas expliquer les extrapolations contradictoires de mes confrères. Dans mon livre, j’ai démontré que le Dr White et le Professeur Graham sont venus mettre tout le monde d’accord sur ces sujets.
Dès le départ, le public avait déduit à la brutalité policière et n’avait pas cru à vos conclusions. Comment aviez-vous vécu cette situation ?
Le fait d’avoir un mort dans une cellule policière soulève tout de suite des suspicions de brutalité. Mais lorsqu’un second médecin a laissé percevoir ses états d’âme à propos de brutalité et a recommandé que l’on fasse appel à un pathologiste étranger pour pratiquer une contre-autopsie, cela a renforcé cette suspicion et laissé croire au pays que l’on était en train de cacher la vérité. La thèse de fracture du crâne, le lendemain matin, a dû rendre le public furieux, et il ne voulait plus croire à mes conclusions. Mais j’étais certain de pouvoir bien défendre mes conclusions médico-légales au cours de l’enquête judiciaire, car je n’avais pas dérogé des enseignements de la médecine légale. Je soutenais ainsi la vérité, rien que la vérité, toute la vérité.
Sur le plan personnel, comment avez-vous vécu ces treize dernières années ?
D’abord, il y a eu la période pendant les émeutes et après la publication du rapport du Dr Ramstein. Le public était convaincu que je protégeais trois policiers, qu’il avait déjà jugés et condamnés pour avoir, selon son opinion, tué Kaya en cellule policière. Je recevais des menaces par téléphone. On me harcelait en public. J’étais comme un homme traqué. J’évitais de sortir, d’aller à la plage, d’aller là où il y avait un attroupement quelconque. Mais je pouvais compter sur ma famille et un petit groupe d’amis qui me connaissent bien, qui m’estiment profondément et qui m’ont choyé et apporté un grand soutien moral. Avec le temps, la tension s’est graduellement atténuée. Après mes dépositions, celles du Dr  Ramstein et du Dr White en cour, je me suis senti libéré et j’ai retrouvé ma sérénité. J’ai passé ces treize dernières années tranquillement, entre autres, à travailler sur le livre L’affaire Kaya.
Que vous a révélé “l’autopsie” que vous avez faite des émeutes de 1999, puisque vous avez aussi choisi d’aborder l’ensemble de cet épisode dans L’affaire Kaya ?
Nous avons pu constater que notre tissu social est très fragile. Nous n’avons pas besoin d’un petit Hitler : une mauvaise interprétation d’un certain fait ou un événement peu ordinaire peut facilement provoquer une hystérie collective et mettre le feu aux poudres et déclencher une bagarre raciale. Il y a chez nous des experts en pyromanie, des hypocrites qui, à la faveur de l’obscurité, allument de petits brasiers communaux, çà et là. À la lumière du grand jour, les voilà portant ostensiblement des seaux d’eau pour éteindre les feux qu’ils ont eux-mêmes allumés. Ils se font ainsi passer pour des bâtisseurs de la nation…
Les politiciens, les hommes religieux et les médias doivent toujours se comporter en instances responsables et modérées dans leurs approches face aux problèmes de la société. Les parents, les enseignants et les hommes religieux doivent impérativement élever et éduquer les jeunes pour qu’ils se considèrent d’abord comme les enfants de l’île Maurice, et seulement ensuite prendre en compte d’autres considérations ethniques ou religieuses qui embellissent le folklore mauricien. L’harmonie doit primer. Il ne faut pas que la vie de nos enfants soit troublée par la haine et les querelles communales. Il faut épargner à nos enfants l’enfer de février 1999. L’île Maurice a beaucoup souffert, cette année-là.
Après que vous l’avez autopsié, vous avez plus tard pris le temps de faire des recherches pour mieux connaître l’homme. Que pensez-vous de Kaya ?
Mes recherches m’ont permis de mieux connaître l’homme. Il était un homme doux, sensible, attachant. Il n’était pas hypocrite. Il n’a jamais trahi un ami.
Je ne dirai rien de plus. Je vous laisse prendre connaissance du requiem que j’ai écrit pour un Rasta.
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L’affaire Kaya
“L’ouvrage que vous tenez en main ne relève pas de la fiction. C’est une historiographie romancée liée au décès de Joseph Réginald Topize, dit Kaya, dans une cellule policière mauricienne.” C’est en ces mots que le Dr Babu Harish Surnam lance la préface de L’affaire Kaya. Dans cet ouvrage, l’ancien médecin légiste revient sur les principaux événements  ayant marqué le pays en 1999. Du concert du Mouvement Républicain en faveur de la dépénalisation du gandia, jusqu’aux différents rapports soumis dans le cadre de l’enquête sur la mort du chanteur Kaya, le livre va bien au-delà de ce que le médecin lui-même a vécu à cette époque, pour brosser un tableau aussi complet que possible. Il évoque aussi les implications politiques et sociales de cette affaire qui a profondément bouleversé Maurice.
Après Février Noir de Thierry Chasteau, après les différents articles de presse consacrés à cette page de l’histoire, le livre du Dr Surnam constitue un autre document qui vient sauver la mémoire. Pour le réaliser, le médecin a compilé les différents éléments qui ont composé cette affaire pour permettre au lecteur de mieux suivre l’ensemble de cet épisode de l’histoire du pays. Dans un style épuré et fluide, le médecin se contente principalement des faits et s’appuie sur les déclarations faites de manière officielle en Cour ou dans la presse, pour réaliser ce document.
S’il ne contient aucune révélation fracassante, L’affaire Kaya reste bel et bien un ouvrage d’une haute importance pour qui voudrait mieux comprendre les faits et les avis qui ont opposé les spécialistes, ou que ceux-ci ont partagé. L’autopsie de Joseph Réginald Topize, pour rappel, n’a jamais cessé de soulever la controverse. Cinq différents médecins spécialisés se sont prononcés dans cette affaire, et les avis ont souvent varié. Pour permettre au lecteur de tirer leurs propres conclusions, le livre présente des extraits des rapports soumis dans le cadre de l’enquête judiciaire.
À travers L’affaire Kaya, le Dr Surnam propose également le rapport de l’autopsie qu’il a faite de la société mauricienne à partir de ce triste événement. Il parle des émeutes de 1999, et de leurs conséquences sur le pays.
À sa manière, il y rend aussi un hommage à Kaya, un homme qu’il a appris à découvrir, dit-il. Il lui dédie quelques pages de son livre à travers un “Requiem pour un rasta.”
Retenons aussi cet extrait : “Je ne suis ni poète, ni écrivain. C’est seulement pour avoir été témoin privilégié de toute cette tragédie qu’un devoir de mémoire m’interpelle à mettre au grand jour cette ténébreuse affaire politisée à outrance, et qui a duré tout le long de trois gouvernements successifs, sous trois différents Premiers ministres.”
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Dr Surnam
La première autopsie à laquelle il assista à l’hôpital de Candos fut celle d’un chauffeur de taxi de Mahébourg qui avait été tué par un policier de la CID de Plaine-Magnien. C’était en 1979. Il était rentré de ses études quatre années plus tôt, et avait postulé pour le poste de Trainee Police Medical Officier. Deux ans plus tard, il décidait de se spécialiser en jurisprudence médicale à l’Université de Sheffield.
Au cours de sa riche carrière comme médecin légiste, ce Portlouisien s’est penché sur plusieurs affaires délicates. Il n’y a pas eu que le cas de Jospeh Réginald Topize. C’est lui qui avait autopsié le garçonnet agressé sexuellement et tué à Phoenix, ou encore la victime de Dadoune à Rivière-du-Poste, en 1987. La jeune fille avait été décapitée dans le village par son oncle pris d’une crise de folie.
Désormais retraité, le Dr Surnam aura appris à vivre avec une certaine philosophie et dans l’humilité. Sur la table de la morgue et sur les scènes de crime, il a vu le pire de ce qu’il peut y avoir en l’homme, mais il semble toujours croire que l’humain est capable du meilleur.
 

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