À l’heure où tout s’accélère et où le stress semble devenu une norme silencieuse, Dre Sandra Stallaert, médecin, homéopathe, nutritionniste et l’auteure de C’est le chaos là-haut pose un regard lucide sur notre agitation intérieure. Dans cet entretien, Sandra Stallaert invite les lecteurs de Week-End à ralentir et à se reconnecter à l’essentiel à quelques jours du début de la nouvelle année. C’est le chaos là-haut est disponible dans toutes les librairies, à son cabinet dans le Nord, ainsi que sur l’ensemble des sites de vente en ligne.
31Votre livre s’intitule C’est le chaos là-haut. Pourquoi ce mot « chaos » résonne-t-il particulièrement avec notre époque, et encore plus au moment où une nouvelle année commence ?
Nous vivons une époque d’excès. Excès de sollicitations, d’informations, de vitesse, d’obligations. Nous vivons en mode sur- : surmenés, surstimulés, surchargés, souvent sans même nous en rendre compte. Nous sommes exposés en permanence à une quantité d’informations que le cerveau humain n’a jamais eu à traiter auparavant. Le monde dans lequel nous évoluons va de plus en plus vite. Trop vite.
Dans cette accélération constante, une phrase revient sans cesse : « Je n’ai pas le temps ». Je l’entends tous les jours dans mon cabinet, mais aussi autour de moi, dans les conversations les plus ordinaires. Cela devient une évidence collective. Ne pas avoir le temps est presque perçu comme valorisant, comme un signe de réussite et de productivité. Être débordé donne parfois le sentiment d’exister, d’être utile, d’être important. Et pourtant, derrière cette course qui rythme nos journées se cache une réalité beaucoup plus inquiétante : un état de stress chronique devenu, aujourd’hui, presque normal. Cet état de tension permanente est largement banalisé. On s’y habitue. On finit même par croire que c’est ainsi que nous devons vivre nos vies. C’est comme une sorte de fatalité.
Or, si ce rythme semble normal dans notre société dite moderne, il ne l’est absolument pas pour notre corps. Lui n’a pas changé. Il fonctionne toujours selon les mêmes mécanismes fondamentaux et n’est pas conçu pour vivre dans l’urgence permanente. Quand le stress s’empare de nos vies, notre organisme bascule en mode survie. Cet état est extrêmement efficace pour échapper à un danger ponctuel, comme un ours pour nos ancêtres des cavernes. C’est d’ailleurs grâce à ce mécanisme que nous sommes là aujourd’hui. Mais lorsque cet état s’installe sur la durée, il devient chronique. Ce n’est alors plus seulement notre esprit qui s’agite, c’est l’ensemble de notre organisme qui se déséquilibre.
Le cerveau devient confus, les pensées envahissantes, et cette petite voix intérieure, que nous connaissons tous, se met à tourner en boucle. Nous perdons en clarté, en discernement, en performance. Progressivement, les systèmes digestif, immunitaire, hormonal ou cardiovasculaire se dérèglent.
C’est cela que j’appelle le chaos. Un chaos intérieur, silencieux, souvent invisible de l’extérieur, mais profondément réel. Beaucoup de personnes vivent aujourd’hui dans ce chaos, sans toujours parvenir à le formuler. Le titre du livre C’est le chaos là-haut ! fait bien sûr référence au cerveau, à l’agitation incessante des pensées, cette difficulté à se poser, à se concentrer, à être pleinement présent. Ce chaos est aussi émotionnel : irritabilité croissante — on ne supporte plus rien — hypersensibilité ou parfois anesthésie affective. Il est également physiologique, car le stress chronique dérègle l’ensemble de nos systèmes vitaux. Nous sommes nombreux à vivre dans un état de désorganisation, d’incohérence intérieure.
Le début d’une nouvelle année marque l’ouverture d’un nouveau cycle. C’est un moment propice pour mettre en place de nouvelles habitudes. On regarde l’année écoulée, on fait le bilan, et on sent que quelque chose doit changer. On aspire à repartir sur de nouvelles bases, mais on ne sait pas très bien comment faire. Et très souvent, toutes les bonnes résolutions que l’on prend restent en surface. En effet, ces intentions sont louables, mais elles ne suffisent pas.
Tant que l’on ne comprend pas les mécanismes profonds de ce chaos, on continue à reproduire les mêmes schémas, année après année. Et rien ne change évidemment. C’est ainsi qu’est né ce livre. Des témoignages nombreux, trop nombreux, recueillis auprès de mes patients, mais aussi l’observation d’un environnement qui ne cesse de s’agiter. Le but n’est pas de condamner le monde moderne ni d’idéaliser une autre époque. Je propose plutôt une lecture lucide de notre fonctionnement et des outils simples, concrets et accessibles à tous pour retrouver de la cohérence et un équilibre intérieur dans un monde qui lui, ne ralentira très probablement pas.
Avec la nouvelle année qui arrive, beaucoup de personnes cherchent à repartir sur de bonnes bases. Quel serait, selon vous, le premier pas concret pour rétablir une harmonie intérieure durable ?
Je pose souvent la question « Quelle est la première chose que vous faites en vous levant le matin ? » Dans l’immense majorité des cas, la réponse est immédiate : « J’allume mon portable ». Ce geste est devenu automatique, presque réflexe. En allumant notre téléphone dès le réveil, nous nous projetons instantanément dans le monde extérieur et nous nous connectons à une réalité, souvent stressante : messages, notifications, informations, réseaux sociaux, e-mail, etc. Sans nous en rendre compte, nous branchons instantanément notre système nerveux sur une fréquence d’agitation et activons la réaction de stress.
Je vous parle ici d’expérience personnelle. Je l’ai moi-même fait pendant des années et je sais à quel point ce geste peut paraître anodin. Il est tout sauf anodin. Il conditionne profondément notre état intérieur pour le reste de la journée. Et si, cette année, on essayait autre chose ? Pas quelque chose de radical. Pas une révolution. Juste une invitation à expérimenter autre chose pendant quelques minutes. Quelques minutes sans écran. Quelques minutes autrement.
Cela peut être très simple. Prendre le temps au réveil de rester simplement avec soi-même. Choisir un endroit calme. Fermer les yeux. Relâcher les épaules. Poser les mains sur le cœur. Porter son attention sur la respiration. Ralentir volontairement le souffle. Inspirer profondément. Expirer lentement. Sentir l’air entrer et sortir. Et éprouver de la gratitude pour le simple fait d’être vivant, pour cette force de Vie. Ce geste envoie un puissant message au système nerveux : « Tout va bien, tu es en sécurité ». Il permet de sortir immédiatement du mode survie.
Vous parlez de la cohérence cœur-corps-cerveau comme clé du bien-être. Pouvez-vous expliquer simplement ce concept et dire en quoi il peut transformer notre quotidien ?
Pendant très longtemps, nous avons pensé que le cerveau était le seul maître à bord, le chef d’orchestre de notre organisme. Or, les recherches des dernières décennies montrent une réalité bien plus complexe et subtile.
Le cœur et le cerveau sont étroitement reliés et communiquent en permanence. Ils échangent des informations en continu, via le système nerveux, les hormones, et même les champs électromagnétiques. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, celui qui dirige l’autre n’est pas forcément celui que l’on croit. Le cœur envoie en effet plus d’informations au cerveau que le cerveau n’en envoie au cœur.
Le rythme cardiaque n’est pas régulier comme un métronome. Il varie sans cesse et cette variabilité reflète notre état émotionnel et physiologique. Lorsque nous sommes calmes, détendus et alignés, le rythme cardiaque devient harmonieux. On parle de cohérence cardiaque. Dans cet état, le cerveau reçoit des signaux clairs et organisés. Les fonctions cognitives, comme la concentration et la mémoire, s’améliorent. La pensée devient plus fluide. La prise de décision est plus juste. La créativité est facilitée. Et le corps, dans son ensemble, fonctionne de manière plus efficace.
À l’inverse, lorsque nous sommes stressés, anxieux ou sous pression, le cœur envoie alors des signaux de désordre. L’organisme baigne dans les hormones de stress et le rythme cardiaque devient chaotique. C’est alors tout l’organisme qui se déséquilibre.
Dans le livre, je décris de nombreuses techniques simples pour rétablir cette cohérence du cœur. Lorsque le cœur retrouve un rythme cohérent, le cerveau s’apaise. Et lorsque le cerveau s’apaise, le corps peut à nouveau fonctionner de manière optimale. Cette cohérence transforme notre quotidien de manière très concrète : le stress diminue, la concentration s’optimise, le sommeil s’améliore, la digestion devient plus fluide, les émotions sont mieux régulées. C’est l’état de santé global qui en bénéficie.
Dans un monde qui va toujours plus vite et où l’on s’essouffle facilement, comment apprendre à ralentir sans culpabiliser ni se sentir « à contre-courant » ?
Nous vivons dans une société qui valorise la vitesse, la performance, l’efficacité. Ralentir est parfois perçu comme une perte de temps, voire comme une faiblesse. Beaucoup de personnes culpabilisent à l’idée de s’arrêter, même quelques minutes.
Pourtant, nous sommes aujourd’hui, comme vous le dites très justement, essoufflés. À bout de souffle, physiquement et mentalement. Le stress modifie profondément notre respiration. Elle devient courte, superficielle, parfois même bloquée. Oui, lorsque nous sommes stressés, nous respirons mal, parfois très mal. Or, la respiration est un lien direct entre le corps, le cœur et le système nerveux. En modifiant notre respiration, nous pouvons modifier notre état intérieur.
Apprendre à ralentir ne signifie pas tout arrêter. Il ne s’agit pas de se retirer du monde ni de renoncer à ses responsabilités. Apprendre à ralentir, commence par introduire des pauses conscientes, courtes, mais régulières, dans le flux de la journée.
Une pause pour respirer. Porter simplement son attention sur la respiration est déjà un acte puissant. Le fait de respirer en conscience a des effets mesurables sur notre physiologie et c’est pratiquement immédiat. Les hormones de stress, comme l’adrénaline ou le cortisol, diminuent et la production de substances bénéfiques pour la santé physique augmente. Les mécanismes de récupération du corps sont activés et un bien-être psychologique s’installe. Je l’ai dit : ralentir, ce n’est pas aller à contre-courant. C’est apprendre à naviguer autrement dans le courant. Et, même si cela peut sembler paradoxal, c’est en ralentissant que l’on gagne en clarté, en efficacité et en discernement. Comme le disait l’écrivain français, Bernard Werber : « Ralentis, tu iras plus vite ».
Si vous deviez transmettre un seul message ou un rituel à adopter pour cette nouvelle année afin d’éviter le chaos au quotidien, quel serait-il ?
« Je suis débordé, je n’en peux plus, je cours toute la journée. » Ces phrases font désormais partie de notre langage courant. Le stress chronique constitue un terrain favorable, comme une porte ouverte, au développement de nombreuses maladies chroniques, telles que le diabète, les troubles immunitaires, les maladies cardiovasculaires ou certains cancers. La bonne nouvelle, c’est que le changement est tout à fait possible. Il ne demande pas de bouleverser toute sa vie du jour au lendemain. Il commence par de petits pas, même lorsque l’on pense ne pas avoir le temps.
Mon message est simple : offrez-vous chaque jour des moments de calme, dédiés à vous-même. Le matin au réveil, puis, plusieurs fois au cours de la journée, même quelques minutes seulement. Ces pauses rééquilibrent progressivement le système nerveux. Elles restaurent la cohérence cœur-corps-cerveau et améliorent, par conséquent, notre état de santé global. Elles transforment profondément notre manière de vivre, de percevoir notre environnement et de nous relier aux autres.

