Drogue – Campagne de sensibilisation de Lakaz A : Les larmes des mères imperturbables face aux milliards des saisies

- Ce dimanche 23, au collège Lorette de Rose-Hill, des dizaines de mamans, encadrées par Pouba Essoo et Marie Michèle Etienne, libèrent leur parole

Ce 23 juin, une dizaine de mères, membres des groupes Solidarité, épanouissement, libération (SEL), de l’Ong Groupe A de Cassis/Lakaz A, seront présentes de 10h à 13h au collège Lorette de Rose-Hill. Objectif : libérer leur parole, exprimer leurs détresses, parler ouvertement de leurs souffrances de mères d’enfants accros aux drogues. Un événement qui, non seulement, doit permettre à ces mères courage, qui en voient de toutes les couleurs, de dire les drames qu’elles vivent quotidiennement, mais aussi et surtout, d’éveiller les Mauriciens et les autorités sur cet aspect jusqu’ici ignorer du phénomène de la prolifération de la drogue. Et cela, indépendamment des saisies spectaculaires, annoncées à coups de milliards. La démonstration que la détresse des familles est inestimable.

- Publicité -

Les yeux d’Edwige ne sont pas éteints, mais ils ne pétillent pas non plus. Cette quinquagénaire au sourire contagieux a perdu un fils, emporté par la drogue. Un second fils, lui, est consommateur actif. « Boukou dimounn dir bann droger se bann ki pena ledikasyion, zot sesi, zot sela… Ils ont tout faux : ladrog pa get figir ni kominote. Mon fils était comptable. Il a été membre des scouts. Il a fait des études brillantes et j’ai bossé dur pour qu’il ait la meilleure éducation possible, et il ne m’a pas déçu. Il a même fait la fierté de son collège. Mais il a eu un moment de faiblesse et s’est laissé influencer. Et il est devenu accro… », confie-t-elle.

Edwige a connu dès lors une descente aux enfers. « Je fais ce cheminement seule. Mon mari rejette tous les torts sur moi… Dans la famille, mes sœurs, frères, beaux-frères, belles-sœurs, idem. Si mes fils ont des problèmes avec des substances, c’est de ma faute à moi. Comment vivre avec un tel supplice ? »

- Publicité -

Edwige en a tellement bavé que ses larmes coulent à peine se met-elle à penser à tout cela. « Quand je fais face à ces reproches de la part des membres de ma famille, je me demande comment ils ne réalisent pas qu’ils auraient pu être à ma place ? Et si cela leur arrivait à eux, réagiraient-ils de la même manière ? » se demande-t-elle.
À bout et éreintée, cette femme fait pourtant face bravement à ses problèmes. « C’est mon enfant ! Je l’aime plus que tout, et tant que je serais en vie, je ferais tout pour lui. Quels que soit ses défauts.  Les larmes qui coulent de mes yeux ne sont pas de l’eau. C’est le sang de mon corps… Kan montagn pran dife, tou dimounn trouve. Me kan leker mama kase, personn napa kone », dit-elle avec les émotions d’une mère.

Jeanette est une autre de ces mamans qui en voient de toutes les couleurs. Son fils de 45 ans est toxicomane depuis qu’il en a 15. Sa fille est allée vivre à l’étranger. Se retrouvant seule avec son fils toxicomane, Jeanette a réussi à décrocher un modeste emploi de balayeuse de rues. Les spirales infernales où son fils lui vole tout ce qu’elle a. Cette maman ravagée par les affres de la vie les a quasiment toutes connues.

- Advertisement -

L’an dernier, sa fille était de passage et lui avait acheté des commissions. À peine Jeanette était-elle rentrée à la maison que tout avait disparu : « Linn pran tout : biskwi, dile, diber, fromaz… Il est allé tout revendre pour se procurer sa dose. » Elle raconte comment, quand elle a vu dans un coin de la cuisine une balle de riz achetée toujours par sa fille, elle s’est dit : « Au moins, le riz a été sauvé ! » Mais quand elle s’est approchée du sac, en l’ouvrant, à son grand désespoir, il était rempli de rocksand, et non de riz.

Jeanette explique : « à force qu’il volait et que je payais ses cautions quand la police l’arrêtait, je n’avais plus un sou pour moi. » Elle est alors partie frapper aux portes de diverses Ong, qui l’ont aidée à avoir une modeste demeure. Jeanette a ensuite contracté des dettes pour meubler sa maison. Mais comble de malchance, un soir, un groupe d’individus a débarqué chez elle. « Ils ont tout saccagé ! Les vitres, les meubles… E mo pa ti ankor fini paye ! Tou inn kase. »

Peu de temps après, son fils est une nouvelle fois arrêté par la police et reste en détention. « Un matin, un des policiers m’a appelée et m’a demandée de quitter ma maison. Il m’a dit : “Ou garson pe sorti zordi madam. Li’nn dir premye zafer, kouma li retournn lakaz, li pe tir vanzans ar ou akoz ou pann pey so kosion sa fwa-la. Mo konsey ou al res kot enn fami”. »
Jeanette a à peine le temps de mettre quelques vêtements dans un sac et de sortir de chez elle qu’elle voit alors son fils se diriger vers elle… « Mo’nn sove ! Mo kone zafer na pa pou bon si mo reste mo zwenn ek li… Li vinn violan. Il est capable de tout dans ces moments-là. »

Elle trouve alors refuge chez sa vieille mère. Mais son calvaire n’est pas pour autant terminé. « Ma mère m’a reprochée d’être venue chez elle. Elle m’en veut et me dit que c’est de ma faute si mon fils a mal tourné… » Elle n’a pas le droit de manger ce qui est préparé chez sa mère. « Elle me dit qu’elle n’est pas là pour me nourrir… C’est dans de telles circonstances que je vis : chassée de chez moi, avec des dettes, et repoussée par ma propre mère. »

Marie-Anne, elle, a les traits tirés. Le regard dur, mais empli d’une immense tristesse. Un chagrin que l’on devine presque indicible. Elle est mère de trois fils. « Mo bizin kasiet seki mo fer pou sa enn garson ek pa les de lezot frer-la kone… Sinon bel problem dan lakaz ! »
Ce fils dont elle parle est accro au Brown Sugar depuis plusieurs années. Mais Marie-Anne était très loin de s’imaginer le cauchemar que son fils allait leur faire vivre à son mari et elle. « Il a toujours été un bon fils… Prêt à aider, toujours présent pour les tâches ménagères. Quand son père l’a formé et entraîné dans le métier de la menuiserie, il a appris sans grande difficulté. Se enn bon zanfan. »

Pourtant, ce fils est devenu en quelques années « un toxicomane complet », dit-elle. « Li pa kapav san pass enn doz. » Et quand il est en manque, et que le besoin de se droguer se fait ressentir, « kan li fat yen, kouma nou dir an kreol », dit-elle, alors la galère commence.
Marie-Anne a les yeux qui s’embuent quand elle explique comment « li tourne, kriye, tap so latet ar miraye ». Elle poursuit : « Li irle lor lili, tourne, vire, sakouy sa lili-la kouma dir li pou mor. Son père et moi, nous tremblons quand nous le voyons dans cet état. Nous savons que tout va s’aggraver. »
Marie-Anne et son époux disent avoir été témoins de ce type de comportements de leur fils une multitude de fois. « Évidemment, en tant que parents responsables, nous n’étions pas du tout d’accord pour l’aider à s’acheter sa dose, ou encore lui donner de l’argent pour le faire ! »

Mais au final, ces parents, résignés, n’ont pu faire autrement : « Surtout parce que nous avons réalisé qu’en lui donnant des sous pour s’acheter sa drogue, nous avions l’esprit tranquille qu’il n’irait pas voler, commettre un quelconque délit et se retrouver en prison. » De fil en aiguille, le fils de Marie-Anne lui en fait voir des tonnes, sachant qu’elle ne pourra lui résister longtemps.

« Mes deux autres fils ignorent que leur père et moi donnons de l’argent à leur frère pour qu’il s’achète ses doses. S’ils apprennent cela, ce sera la fin du monde à la maison ! » Marie-Anne se console cependant du fait que si son fils est « malade », ce dernier souhaite toutefois s’en sortir.

De fait, son mari et elle s’accrochent à cette lueur d’espoir, tout en sachant que cela n’arrivera peut-être jamais. Cette mère n’oubliera jamais comment, dans une de ses phases les plus dures, son fils était allé dormir… dans la niche du chien.

Ces mères de famille iront jusqu’à dire « qu’à un moment ou un autre, la souffrance est tellement forte, nous avons pensé à nous suicider ». Ajoutant ; « Mettre fin à nos vies semble plus simple que de continuer à vivre de tels enfers ! »
Au lieu que ce soient leurs enfants qui prennent soin d’elles, ces mères ne comprennent pas pourquoi elles doivent encore trimer, malgré leur âge, et continuer à subvenir à leurs besoins. « Non seulement ça, mais certaines d’entre nous encaissent même des coups quand nos enfants deviennent violents sous l’effet du manque. » Certaines disent encore qu’outre de prendre leur propre vie, elles ont aussi pensé à éliminer leur enfant avant de passer à l’acte… tant le poids de la souffrance leur pesait.

« Cependant, envers et contre tout, nous réalisons que ce sont nos enfants. Ce sont des cadeaux de Dieu. Graduellement, nous apprenons à remonter la pente. Nous faisons des efforts extrêmes pour apprendre à vivre avec nos difficultés, sans juger nos enfants. Si seulement les autorités trouvaient un moyen de nous aider, comme des centres pour nous offrir un accompagnement psychosocial, nous pourrions puiser des forces de nos souffrances et nous relever. »


Ragini Rungen (Lakaz A) : « Rendre le goût de la vie à ces mères »
Bientôt, Lakaz A aura organisé 30 week-ends SEL au Foyer Fiat, à Petite-Rivière. Ces derniers ont commencé il y a 11 ou 12 ans.

« D’abord, nous avons démarré des week-ends résidentiels avec les jeunes de 18 à 25 ans. Graduellement, nous nous sommes rendu compte que les parents de toxicomanes vivent l’enfer ! Et la situation ne fait que s’aggraver avec l’avènement des drogues synthétiques. Certains parents sont malmenés physiquement et verbalement. Dans les deux cas de figure, leur peine est insoutenable. Voir son propre enfant lever la main sur soi, être poussé brutalement, jeté à terre, roué de coups… Entendre ce même enfant qu’on a élevé avec tendresse et amour, pour lequel on a consenti à d’immenses sacrifices, pour qui on va jusqu’à dormir le ventre vide, et que l’on a porté neuf mois durant, chercher à vous étrangler, vous frapper… tout cela n’est pas naturel. Ces parents vivent des cauchemars éveillés ! » s’insurge Ragini Rungen, responsable de Lakaz A.

Chaque week-end en résidentiel, pour ces parents, « est un exercice où, par le biais d’activités, nous leur réapprenons à vivre, à reprendre goût à la vie ». D’où le nom, SEL : « Le sel, c’est ce qui donne du goût aux plats, n’est-ce pas ? » Elle continue : « il faut savoir que durant les années où elles ont été prises en otages par leurs enfants accros, ces mères de famille se sont totalement laissées aller… Du coup, lors de nos week-ends SEL, nous travaillons beaucoup sur les thérapies, les aidant à se remettre en valeur, à s’aimer, à avoir envie de se maquiller et de s’habiller. »

Un travail de très longue haleine, « mais qui épouse totalement notre mission, qui est d’aider l’humain à remonter la pente », et ce, sans jugement aucun. « Qu’il s’agisse du toxicomane, du détenu, de la travailleuse du sexe, de l’enfant du toxicomane ou de ses parents, notre but est d’accompagner chacun d’entre eux dans son cheminement à retrouver le vrai sens de la vie. »


Pouba Essoo et Marie Michèle Etienne : « L’objectif est de briser le silence »
L’initiative de ce 23 juin de réunir des mères de toxicomanes au collège Lorette de Rose-Hill et de leur offrir ainsi un espace de dialogue et d’écoute revient à deux citoyennes engagées : Pouba Essoo, fonctionnaire de carrière et bénévole à Lakaz A, et Marie Michèle Etienne, célèbre animatrice.

« Quand nous avons eu des frottements avec ces mères et qu’elles nous ont confié leurs calvaires, nous ne pouvions rester les bras croisés. Le Groupe A de Cassis et Lakaz A font des merveilles en donnant à ces mamans une écoute et ces week-ends résidentiels où elles réapprennent à s’aimer. Et nous avons souhaité apporter notre contribution à cette lutte », soutient Marie Michèle Etienne.

« La première étape consiste à briser le silence. Permettre à ces Mauriciennes d’avoir leur voix entendue et relayée via les médias afin que les autorités réalisent qu’elles existent, qu’elles souffrent et qu’elles ont besoin d’être aidées. »

Elle précise : « Nous ne sommes pas là pour demander une subvention ou une allocation pour ces femmes. Les drames des familles de toxicomanes sont croissants dans la société mauricienne. Par le biais de l’activité de ce dimanche, déjà, elles vont parler de leur vécu et partager cela avec les Mauriciens. Il est aussi grand temps d’en prendre conscience et de réagir. Le gouvernement fait déjà plein d’efforts pour offrir du soutien aux personnes les plus fragiles et cassées, mais Pouba et moi-même sommes d’avis qu’il y a là un grand vide. Cadress Rungen et son équipe font déjà beaucoup, mais il en faut encore pour sortir notre pays de cette situation catastrophique. »

- Publicité -
EN CONTINU
éditions numériques