Échos des jeunes : La fureur de vivre des Portlouisiens

Des jeunes Portlouisiens qui vivent leur jeunesse sur fond de crise économique et sanitaire et qui ne reculent pas devant les épreuves. Pour comprendre un jeune, il faut d’abord aller à sa rencontre, converser avec lui et surtout prendre le temps de l’écouter se raconter autour de son quotidien, et surtout lui donner la parole.

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Leurs petites histoires sont touchantes, comme celle de Shawn Tigresse, analphabète, inspirée des contes des trois petits cochons, et qui veut lire et écrire pour s’installer en France. Il y a l’insouciance de Kenny André, 16 ans, qui se cherche. Géraldine Baptiste, diplômée, incarne la fierté de la communauté chagossienne.

Lavinia Atmarow recherche des émotions enfouies autour d’un bon alouda dans « bazar », du bruit du balai “fatak” et surtout dans ce Port-Louis, berceau de son enfance. Il y a Kate Collet, la Roche-Boisienne, diplômée en lettres modernes, créatrice de Dose of Curls pour cheveux ondulés et crépus, Shahfaraz Rughony, actif sur le plan social, et Aashiyah Kauderally, étudiante en informatique. Au vu de cette fougue caractérisée par leur jeunesse, ce ne sont pas que des paroles en l’air mais un vrai boost-up, voire une synergie, qui se dégage.

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Shawn Tigresse : « Si mo ti konn lir, mo ti pou bien lwin »

« Zistwar trwa peti koson finn mark mwa. Ena enn bel filozofi deryer sa kont la. Premie koson finn konstrir so lakaz an pay, lelou soufle lapay anvole. Segon koson so lakaz an bwa, lelou soufle, lakaz anvole. Trwaziem koson pli malin, li konstrir so lakaz an brik, lelou soufle lakaz tini, lelou rant dan semine, li tomb dan pwalon li mor », relate Shawn Tigresse, 17 ans.

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Pour lui, la morale de l’histoire est qu’il faut travailler dur et avoir un toit pour ne pas vivre dans la rue, et encore moins aux dépens des autres. Shawn aurait voulu voyager en France, le pays de ses rêves où l’attend de la famille pour travailler sur des fermes. Il n’y a pas que le Covid qui met un frein à son projet mais aussi le manque d’argent.

Entre un père livreur de gaz ménager et une mère travaillant à l’usine, Shawn garde au fond de lui une forme de timidité, mais avoue que son plus gros défaut est de bouder. Ce qui implique qu’il manque d’activités, n’ayant rien à faire de ses journées si ce n’est s’amuser sur le téléphone avec ses amis en ligne, regarder des films. Bientôt, il entamera une formation à l’école polytechnique Saint-Gabriel. Il s’intéresse à la sculpture, à l’agriculture et veut surtout créer son propre coin jardin. Il est aussi fan du ballon rond et de la natation.

Shawn est analphabète. Il avoue ne pas comprendre l’anglais, arrive à assimiler difficilement quelques phrases en français mais se défoule en kreol. « Si mo ti konn lir, mo ti pou kapav al lwin. La mo zis guet televizion dan lakaz » Avec le Covid, il garde les gestes barrières, utilise masque, gel hydroalcoolique. Il raconte qu’il aide sa sœur qui est coiffeuse : « Pou gagn enn ti pitay ». Il lui est arrivé de travailler dans une plantation de litchis et de décrocher la timbale, soit Rs 5 500, somme dont il s’est empressé d’offrir une partie à ses parents pour refaire le toit de leur maison. Il rêve aussi de devenir réparateur de téléphones. Un métier qui, dit-il, perdurera car modernisme oblige, les gens ont besoin de se connecter. Son quotidien, il le vit avec des hauts et des bas. Pour lui, l’éducation est une porte ouverte vers la grande aventure. « Mo pou bizin konn lir ek ekrir pou konpran ki dokiman bizin signe si mo al la France eapre sila sans porte, vinn enn gran foutboler. »

Pour l’instant, Shawn reste dans sa bulle, incapable de se décider s’il doit franchir le pas pour un boulot de mécanicien, histoire de se faire un peu d’argent de poche ou s’investir dans sa formation au centre polytechnique Saint-Gabriel. Il reconnaît que l’école jusqu’au primaire lui a permis de tisser des liens d’amitié. Aujourd’hui, il s’identifie un peu à Spiderman, son héros de Marvel qu’il a vu l’an dernier au cinéma. Shawn insiste sur le fait qu’un adolescent doit avoir des repères pour une meilleure orientation dans la vie : « Zenes tom dan fleo kan pena aktivite, la mem tentasion lalkom, ladrog for. »

Son quotidien de jeune en ce moment est plutôt fade, mais il ne désespère pas. Car il croit fermement que son destin est en France. Cette idée le pousse à rencontrer des gens cultivés qui l’aident à apprendre à lire et écrire. Cela lui permet aussi de croire qu’à 17 ans, tous les rêves sont permis.

Kenny André : « Mo ena ankor letan pou trouv enn travay »

Il a déménagé de Goodlands pour venir s’installer à Pont Lataniers, Sainte-Croix, avec ses parents qui veulent lui offrir une meilleure condition de vie. Avec ses cheveux teints en rouge comme pour montrer qu’il suit la mode, Kenny André, 16 ans, dit avoir essayé tous les petits métiers sans vraiment trouver sa voie.
L’aîné d’une famille qui compte trois frères, Kenny vit au jour le jour sans vraiment se soucier de son avenir. « Mo zoue futbol, mo fer labox. Mo finn sorti dan Goodlands pou pa tom dan bann move fleo », lance-t-il sur un ton évasif.

Kenny ne semble pas mesurer la galère des parents dont les enfants ont emprunté des chemins détournés. Lui se complaît dans son rôle d’ado insouciant, pensant que son jeune âge est un atout pour réussir dans la vie. « Mo ena ankor letan pou trouv enn travay. » Il dira toutefois avec fierté savoir jouer d’un instrument de musique, la guitare.
Entre-temps, sa vie se résume à des balades de temps en temps avec des copains. Il confie aussi qu’il a des mains d’artisan. « Mo konn fer ban legliz, li bien interesan, mo kapav trass mo lavi ladan. » Il compte aussi montrer son talent de sculpteur.
Kenny, au fil de son interview, semble réaliser son potentiel. Il promet de réfléchir à un métier qui pourrait représenter, pour lui, une « manne quotidienne » au lieu de flâner au gré de ses envies et humeurs.

Géraldine Baptiste : « Il faut prendre le risque »

Géraldine Baptiste, 23 ans, a fait toute la fierté de la communauté chagossienne en obtenant un diplôme en 2021. Aujourd’hui enseignante à l’Association Mouvement pour le Progrès de Roche-Bois, elle se souvient de son vécu à Sainte-Croix avant de déménager pour Roche-Bois. Son diplôme de l’université de Maurice en poche, Géraldine a surtout dû se battre contre la stigmatisation. « Quand je suis entrée à l’université de Maurice, il fallait me battre contre certaines formes de préjugés du fait que je venais d’une cité et pourtant, ce sont ces mêmes personnes qui m’ont lancé : “To kapav fer mwa gagn to kaye, mo pann konpran ene devwar.” »

L’aînée de cinq enfants, entre un père pêcheur et une mère, technicienne de surface, Géraldine s’est inspirée de sa grand-mère Chantal Permal qui voulait qu’elle soit enseignante. Cette dernière avait décelé le potentiel de sa petite-fille et l’a encouragée à faire de ses moments d’insécurité un tremplin. Géraldine raconte avoir aussi dû surmonter son problème de vitiligo, visible sur un côté de son visage. « On m’appelait chocolat blanc.

Au départ j’avais mal, mais je me suis accrochée à mon rêve en entrant de plain-pied dans le monde des adultes. Le slam m’a donné une forme d’assurance lorsque j’ai participé à un concours de poésie sur la femme en 2019 tout en m’imposant davantage au Festival Kreol.
Pour Géraldine, le manque de positivité chez un jeune peut mener à la décadence. Elle dit s’inspirer de Hans, 13 ans, issu du Foyer Père Laval qui a su lui montrer ses capacités de battant. « Hans était un hyperactif capable de se muter dans un corps de cinq ans tout en faisant son âge, 13 ans. Les enfants sont les meilleures choses au monde. Avec eux, pas de faux-semblant, ils vous disent s’ils vous apprécient ou vous détestent. »

Géraldine doit aussi son parcours de femme cultivée au travail social exécuté sur le terrain. Elle fustige les brimades et les stigmatisations en arguant : « Bisin aret jize. Les actions valent plus que des paroles en l’air. Ce n’est pas parce qu’on vient d’un milieu modeste qu’on est un laissé-pour-compte. Tout est une question de zone de confort. Et même ceux venant des milieux modestes peuvent accéder à ces zones de confort en prenant simplement le risque. »

Lavinia Atmarrow : « Je ne reconnais plus Port-Louis »

Originaire du Ward IV et issue d’une famille modeste, Lavinia Atmarrow a toujours aimé la communication. Sales and Marketing Executive, Lavinia a surtout le vague à l’âme quand elle parle de Port-Louis, le berceau de son enfance. « J’adore ma ville de naissance, mais on s’étouffe dans cette ville, où les endroits comme des parcours de santé se font rares suite aux constructions comme des gratte-ciel et les maisons collées les unes aux autres. Le pays progresse certes, mais très lentement. Je ne vois plus ces coins de mon enfance où l’on pouvait encore respirer de l’air pur dans un espace verdoyant. Le travail que je fais me fait rencontrer de grosses entreprises et clients pour des négociations mais circuler dans Port-Louis pendant les heures de pointe devient de plus en plus pénible. »

Lavinia s’attarde aussi aussi au marché de Port-Louis, le « bazar » comme on l’appelle, où elle constate qu’il a perdu depuis la pandémie de ces deux dernières années son folklore, sa joie d’exister. « Port-Louis a beaucoup changé. Boire un alouda, manger un gâteau “moutay” ou sentir l’odeur du balai “fatakc”…, je n’oublierai jamais ces sensations. Dans le quartier résidentiel du Ward IV, le footing de l’après-midi qui était très prisé par les résidents se fait rare. C’est à se demander si des zones de sécurité existent toujours ? »

Lavinia s’attarde sur le patrimoine et fait état de sa fierté de Portlouisienne quand le ministre des Arts et du Patrimoine culturel a annoncé que Maurice fait désormais partie du réseau des villes créatives de l’Unesco dans la catégorie musique. « Port-Louis fait ainsi partie des 89 villes inscrites dans la catégorie musicale aux côtés de Shanghai et New York, entre autres. Les autres catégories dans le Réseau des villes créatives sont l’artisanat, les arts populaires, l’art numérique, le cinéma, le design, la gastronomie et la littérature. »

Avec le Covid qui prévaut et les hôpitaux qui regorgent de malades, la réaction de la Portlouisienne ne s’est pas fait attendre : « L’hôpital est devenu le “nik mouss zon”. Et je tremble rien que d’y penser. Pendant combien de temps va-t-on vivre avec le Covid ? »
Concernant ses attentes pour sa ville, cette jeune Portlouisienne souhaite que les trottoirs soient réparés pour faciliter les femmes qui portent des talons aiguilles et pour le bien-être des vieux. Elle trouve aussi qu’il y a un gros problème concernant les parkings, même payants, qui sont toujours bondés. Elle parle de l »importance de recycler les déchets. Des compagnies, selon elle, semblent avoir oublié le sens. Et surtout, ajoute-t-elle, il faut faire valoir les droits de tous les citoyens.

Le message qu’elle veut faire passer aux Mauriciens en cette période de pandémie est ceci : « Je souhaite beaucoup de courage à tous les Mauriciens et au monde entier, car avec l’ouverture des frontières, le monde entier est à Maurice. Que cette joie de vivre des Mauriciens revienne dans notre belle patrie. Restons calmes, suivons le protocole Covid mis en place par le gouvernement. Protégeons notre famille et notre entourage. Ainsi, nous resterons également protégés. Dans l’impatience d’un retour rapide à la normale, nos pensées vont aux familles endeuillées par cette pandémie et aux personnes qui souffrent. »

Kate Collet : « Ce n’est pas le milieu d’où l’on vient qui fait l’homme »

Kate Collet est une jeune femme de 23 ans, diplômée en lettres modernes de l’université de Maurice. Petite, elle dit n’avoir manqué de rien en étant toujours épaulée financièrement par ses parents. Kate dit qu’il faut aussi arrêter les stigmatisations : « Souvent quand on parle de Roche-Bois, on pense à la drogue. Ce lieu est synonyme d’échec. J’ai grandi à Roche-Bois et jusqu’à présent mon quartier n’a jamais été un frein à ma carrière. J’ai toujours travaillé dur pour réussir, je suis très ambitieuse, je sais ce que je veux. Arrêtez de dire : Roche-Bois est un quartier chaud. Ena zis ladrog, laguer. Au contraire, il faut dire aux jeunes : tu vas réussir, peu importe le milieu d’où tu sors. C’est le jeune qui a la clé de son avenir et c’est à lui de tout donner pour réussir. »
Kate a une passion, elle crée du contenu pour les cheveux ondulés et crépus sur Instagram tout en rêvant de faire de sa passion son métier. « Suite au soutien que j’ai reçu, j’ai créé Dose of Curls, un e-shop qui met à la disposition de la femme comme de l’homme des produits naturels, principalement pour les cheveux ondulés bouclés et crépus. »
Kate Collet parle aussi de son rêve de petite fille. Grâce à ses bonnes notes au collège, elle a pu réaliser ce rêve en y mettant de la volonté et de la détermination. « J’espère à l’avenir ouvrir une boutique et un salon de coiffure en vue d’aider plus de gens à aimer et à prendre soin de leurs cheveux naturels. »

Shahfaraz Rughony : « Le social doit faire partie de la vie d’un jeune »

Adepte des arts martiaux, plus précisément le judo, Shahfaraz Rughony, trésorier de la Fédération mauricienne du judo qui habite Plaine-Verte, trouve qu’il y a un manque accru de loisirs et de sport dans la région. « Avec le Covid, on est un peu limité au niveau des déplacements et quand on rentre du bureau, il n’y a pas vraiment d’activité. Il y a aussi ce sentiment de peur face à la pandémie, les gens préfèrent rester chez eux plutôt que de se retrouver dans des salles de sport. »

Avant le Covid, Shahfaraz aimait bien voir tout le folklore de “street foods” et le va-et-vient des gens dans les ruelles de Plaine-Verte. Aujourd’hui ce jeune, également engagé dans le social, et président de l’association Rays of Hope qui regroupe 80 jeunes s’occupant des sans-abri et des orphelins, regrette que cela ne soit plus le cas. « Voir des SDF avoir des contraventions par faute de masque nous a interpellés à Rays of Hope. On a mis en place une distribution de masques pour aider ces personnes pour qu’elles n’aient plus recours aux masques sales jetés dans des poubelles. »
Shahfaraz Rughony trouve que le social doit faire partie de la vie d’un jeune et que les personnes vulnérables aussi ont le droit à une vie meilleure. Autrefois dans les finances, Shahfaraz a choisi de sensibiliser d’autres jeunes à se porter volontaires pour aider ceux en difficulté. Comme projet, il veut apporter son aide à l’aménagement d’une structure pour les sans-abri de Port-Louis. Un souhait, qu’il espère, se concrétisera.

Aashiyah Kauderally : « Life is to expect nothing in return »

Étudiante en troisième année en informatique à l’université de Maurice, Aashiyah Kauderally, 23 ans, habite Pailles. Depuis l’âge de 15 ans, elle s’est jointe à l’association M-Kids comme volontaire suite à un projet de Gift Box pour la Syrie. « J’étais encore élève au collège Islamic et on m’a dit de travailler sur ce concept et je me suis plu par la suite à continuer à œuvrer dans le social. »

Elle poursuit ses cours en ligne et trouve que de nos jours, les jeunes ont le potentiel pour accéder à l’éducation. Toutefois, elle déplore le manque de motivation de certains jeunes à s’engager pour les autres dans le besoin. « Life is to expect nothing in return. Ce qu’il manque, c’est une prise de conscience et de se dire que la vie, ce n’est pas toujours un retour d’ascenseur. Il faut prendre ce qu’on a eu et le redistribuer auprès de ceux qui en ont besoin. »

Aashiyah se dit heureuse d’avoir pu, à ses 12 ans, voyager seule dans le bus. « Avec le métro aujourd’hui, au niveau de la destination, c’est plus précis.» Elle souhaite que le Covid change les mentalités et rassemble tout un chacun sur un plan de l’entraide.

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