Parents, enseignants, psys et orthophonistes : « Rouvrons les écoles pour le bien-être de nos enfants ! »

Lundi, c’était la rentrée. Une rentrée scolaire sans plus et sans motivation pour les milliers d’élèves mauriciens les yeux collés sur l’écran. Et cela, les parents, enseignants et professionnels de la santé mentale l’ont bien remarqué. Dans une lettre émise en début de semaine, plusieurs associations œuvrant pour le bien-être de l’enfant ont, à l’unisson, alerté les autorités sur les conséquences néfastes de l’école en distanciel et sur l’urgence de rouvrir les écoles début février pour toutes les classes, d’autant que, selon l’Unicef, « l’expérience montre que les écoles ne sont pas l’un des principaux facteurs de transmission du Covid, et qu’il est possible de les maintenir ouvertes. »

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Dépression, déscolarisation, régression… les enfants ont besoin de retrouver urgemment les salles de classe. C’est ce que demandent un groupe de professionnels de la santé mentale, de parents, d’enseignants et d’ONG. « Nous sommes membres de la Société des Professionnels en Psychologie, du Kolektif Drwa Zanfan Morisien (KDZM), orthophonistes, parents et membres du corps enseignant, inquiets de l’impact de la fermeture des écoles sur la santé mentale des enfants, de certains parents et membres du corps enseignant », est indiqué d’emblée dans le communiqué, qui a été relayé plusieurs fois durant la semaine. En effet, ce n’est pas la première fois qu’ils tirent la sonnette d’alarme. Depuis l’an dernier, avec l’annonce de la fermeture des écoles, les professionnels de la santé mentale ont été le premiers à alerter les autorités sur l’impact négatif de cette décision unilatérale sur les étudiants mauriciens, qui se retrouvent pour beaucoup en situation de déscolarisation.

Déscolarisation, car pas tous ces étudiants ont les moyens physiques et financiers de rester une journée devant un écran d’ordinateur, et pas tous vivent dans un environnement familial sain pour continuer le cursus scolaire en toute sécurité. « Plusieurs enfants sont laissés chez eux, sans surveillance, ce qui est un facteur de risque de violence et d’accidents domestiques ; tous les parents ne pouvant pas les faire garder », indique le communiqué. « De nombreux enfants sont en décrochage scolaire, une section leader partage que 42 enfants de la Lower Six sur 110 ne suivaient plus les cours. Item de décrochage aussi soulevé par l’UNICEF, en septembre 2021 », alertent les professionnels de santé et le corps enseignant. C’est aussi ce que nous confiait la rectrice d’un collège de l’Ouest, l’an dernier, dans un article.

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« Nos élèves sont perdus. Certains ont même arrêté les cours pour se trouver un petit boulot. Et les enseignants portent ces blessures, car ils ne peuvent rien faire », déplore-t-elle.

« On perd des enfants et les parents ne répondent pas. C’est terrible. Vous savez, à l’école, les enfants sont en sécurité. On sait ce qu’ils font de 8h30 à 14h30, mais là, on ne sait rien », confiait pour sa part Nathalie Catian, la rectrice du collège BPS Fatima à Goodlands.

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Retards de langage, manque d’autonomie…

De plus, l’impact psychologique de cette décision est de plus en plus palpable et visible. « Dans le Projet de Services d’Écoute de AIHD en milieu scolaire, l’état de la santé mentale de plusieurs élèves de 16 collèges catholiques inquiète. » Ainsi du premier trimestre de 2020 à novembre 2021, l’état dépressif d’étudiants bénéficiaires de ce programme d’écoute est passé de 8% à 16% avec des risques suicidaires de 6%. « À Maurice, nous l’observons aussi : une augmentation des états de stress ; une augmentation de dépression ; un accroissement des risques suicidaires chez les enfants ; une baisse de motivation et des difficultés de concentration et des retards de développement. » Par ailleurs, ils expliquent que « la surexposition des enfants aux écrans — télévision, ordinateur, tablette, console ou téléphone portable —, a un impact sur les retards de langage, le manque d’autonomie, une intégration sociale plus difficile, des difficultés d’attention et de concentration, sur leur bien-être physique et mental, selon l’Institut d’Éducation médicale et de Prévention (IEMP). »

Sur les réseaux sociaux, les commentaires de parents désemparés pleuvent, et les demandes d’aide affluent sur les nombreux groupes de discussion. Karine Harel est maman et psychologue. Son témoignage (voir ci-après) a été partagé plusieurs fois sur les réseaux sociaux, car elle parle du désarroi d’une maman, d’un papa, qui assistent impuissant à la souffrance d’un enfant qui a fini par s’isoler de tous, loin de ses amis et de ses enseignants. Une autre maman, Hélène, dont l’enfant est actuellement élève à l’école du Nord, est elle aussi angoissée à l’idée que les écoles resteront fermées pendant encore un bon bout de temps.

« C’est une souffrance pour nos enfants qui ne sont plus les mêmes. Il n’y a plus de sociabilisation, l’apprentissage n’est pas le même, il n’y a plus de motivation, plus de rythme, car leurs journées ne sont plus rythmées par un calendrier scolaire », regrette-t-elle. Comme elle, de nombreux parents de l’école du Nord demandent que la décision du gouvernement soit revue au plus vite. « Pour ma part, je pense qu’il y a un juste milieu à trouver. »

Élèves vaccinés prêts à reprendre les classes

Du côté des associations de parents d’élèves, les avis aussi sont divisés. Anand Bheeca, président de la Parents Teachers Association (PTA) du collège Saint-Joseph, avoue que même s’il y a effectivement des réticences quant à ce nouveau système de cours en ligne, « la vie de nos enfants est la priorité. » Il explique ainsi que les avis sont mitigés au niveau des parents. « Avec la fermeture des écoles, nous n’avons pas beaucoup de contact avec les parents, mais une chose est sûre : quelle que soit la décision, c’est la santé de nos enfants qui compte », dit-il.

Du côté de la PTA du collège St-Esprit, les choses sont un peu plus claires. « La majorité des parents d’élèves des petites aux grandes classes veulent une réouverture des écoles. D’ailleurs, plus de 80% de nos élèves sont vaccinés, c’est pour vous dire que tout est fait pour pouvoir reprendre les classes normalement », affirme Gino Allet, président de la PTA du collège. « Il y a trois ou quatre mois de cela, les parents étaient divisés sur les cours en ligne, une partie était pour et l’autre non. Mais là, quelque chose a changé, car ils voient les effets nocifs sur les enfants, notamment au niveau du changement de comportement, de la socialisation. Ils se replient sur eux-mêmes et ne sortent plus. Quelque chose de très simple, ils ne voient plus de soleil », dit-il.

Gino Allet est lui aussi inquiet de l’avenir de ces enfants qui ratent une des plus belles années de leur vie, et somme toute des plus importantes de leur développement. « Je pense que chacun doit prendre ses responsabilités. Évidemment, il y a encore des risques, tout comme il y en avait avant, avec des accidents de vélo, etc., mais nous, parents, devons assumer nos responsabilités si un malheur devait se produire. »


Dr V. Gujadhur, épidémiologiste :

« Pas envisageable de rouvrir les écoles avant le 19 février »

Le Dr Vasantrao Gujadhur, ancien directeur des Services de Santé, est d’avis qu’il y a peu de chance que les écoles, pour toutes les classes, rouvrent avant le 19 février. L’épidémiologiste s’est basé sur les données accessibles au public — c’est-à-dire les chiffres officiels publiés quotidiennement par le service de l’information du gouvernement sur le nombre de cas de contamination au Covid-19 —, tout en considérant les cas de contamination qui ne sont pas compilés par la Santé, les décisions prises pour étendre les restrictions sanitaires jusqu’au 31 mars, le report de l’exercice de vaccination pour la booster dose et les indicateurs (dont la transmission communautaire) préconisés par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) pour avancer son analyse.

« Tous les indicateurs utilisés pour dire qu’il ne serait pas envisageable de rouvrir les écoles avant le 19 février sont mesurables », souligne le médecin. La transmission communautaire — divisée en quatre niveaux allant à une incidence faible à très élevée à Maurice — serait, selon le Dr Gujadhur, de niveau 3. « Une incidence élevée de cas d’infection acquis localement et largement diffus, détectés au cours des 14 derniers jours », relève l’OMS.

« Ajouté à cela, les autorités de la Santé ne communiquent pas sur la propagation du variant Omicron. Quand on sait que ce variant est présent à Maurice depuis novembre dernier et qu’il doublerait en trois jours, le compte nous ramène à environ 100 000 contaminés dans la communauté », explique le médecin.

« Si le gouvernement a pris la décision d’étendre les restrictions sanitaires jusqu’au 31 mars, c’est qu’il y a bien une raison à cela », ajoute-t-il. Il explique aussi qu’entre le moment où la décision de rouvrir les classes en présentiel pour les Grades 9, 9+ , 11 et 13 le 2 février et à ce jour, les données sur la situation sanitaire ont changé. Ce qui le pousse à penser que même le retour au collège pour des élèves qui vont bientôt prendre part à des examens est au conditionnel, d’autant que l’exercice de vaccination pour la booster dose obligatoire pour les enseignants et le personnel non-enseignants des écoles ne sera pas terminé.


Témoignage : « Aujourd’hui, l’école, c’est vivre chaque jour à reculons… »

Karine Harel, maman de trois garçons de 8 ans, 6 ans et 10 mois, est psychologue. Dans un témoignage poignant partagé plusieurs fois sur les réseaux sociaux, elle demande que les écoles rouvrent, pour rendre leurs vies aux enfants.

« Aujourd’hui, une maman m’a envoyé par WhatsApp un dessin que sa fille de six ans a fait pour mon fils. Un dessin qui les représente tous les deux, se tenant la main, avec des cœurs et des étoiles, des sourires, de la joie, de l’innocence. La vie tout simplement. Ce dessin m’a d’abord fait sourire, car il est beau. Mais il m’a ensuite fait pleurer, car il dépeint une réalité qui aujourd’hui appartient au passé. Ce qui m’a touchée, c’est d’imaginer cette petite fille qui était dans la classe de mon fils l’année scolaire précédente (pour quelques mois) et qui a dû puiser dans ses souvenirs pour penser à lui, car ils ne se sont pas vus depuis plusieurs mois. Et plusieurs mois, pour un enfant de six ans, c’est beaucoup. C’est même beaucoup trop.

Je voudrais saluer ici le courage de tous nos enfants, petits et grands, mais aussi de tous les parents, particulièrement les mamans, comme moi, celles qui travaillent, celles qui ne travaillent pas, celles qui sont seules, celles qui ne le sont pas, celles qui subissent, celles qui agissent, celles qui galèrent, celles qui s’en sortent… peu importe. Il nous en faut à tous du courage et particulièrement à nos enfants qui, chaque jour, se lèvent le matin, et recommencent le même rituel : s’asseoient devant un écran et “font l’école”. Mais l’école, ce n’est pas ça et ils le savent, nos enfants. Non, l’école, ce n’est pas répéter une leçon à travers un écran, faire un bilan en ligne, imprimer un document, régler des problèmes de connexion, écouter une voix parfois saccadée, parfois fluide, mais jamais constante.

L’école, c’est surtout apprendre à vivre ensemble, partager, échanger, pleurer aussi, grandir, chanter, se tenir la main, courir, mais ne pas courir seul, non c’est aller plus vite que son copain. C’est avoir chaud en été, mais courir quand même, c’est être trempé par la pluie lorsqu’elle nous surprend en cour de récré. L’école, c’est rentrer à la maison et raconter sa journée ou pas, c’est ne pas vouloir faire ses devoirs, car “on n’a pas eu le temps de jouer, maman”, c’est courir dans tous les sens pour être à l’heure, c’est attendre le moment où on verra son copain et où on lui racontera qu’on a trouvé un nid d’oiseau par terre avec des œufs dedans. L’école, c’est faire un dessin pour son copain et pouvoir le lui glisser dans son sac.

L’école, pour un parent, pour une maman que je suis, c’est préparer la veille le goûter de son enfant malgré la fatigue intense de la journée, c’est s’assurer que les chaussettes soient propres, que les uniformes soient lavés, c’est préparer le sac de son petit, remplir sa gourde puis l’oublier et s’en vouloir toute la journée. L’école, c’est rater le réveil, courir dans tous les sens, arriver en retard, s’excuser auprès de la maîtresse. L’école c’est aussi rentrer de sa journée de travail, fatiguée, vidée et demander à son enfant comment était la sienne, est ce qu’il a bien mangé, avec qui il a joué, comment était la classe, est-ce qu’il a fait ses devoirs, qu’est-ce qu’il a appris et s’accrocher aux jours où il veut bien raconter. On sait aujourd’hui combien ces conversations a priori banales étaient précieuses.

L’école, c’est chaque jour une nouvelle journée avec son lot de surprises, bonnes ou mauvaises, son lot de drames, grands ou petits, son lot de sourires, mais aussi de pleurs, son lot de Tupperware, de gourdes, de sacs, de chaussettes sales.
Aujourd’hui, l’école, si tant est qu’on puisse l’appeler comme ça, c’est vivre chaque jour à reculons, c’est se réveiller avec pour seul objectif de s’assurer que nos enfants seront suffisamment occupés, au moins la matinée, pour ne pas avoir à combler le temps qui restera jusqu’à la fin de notre journée de travail à nous. Aujourd’hui, on leur demande d’aller se coucher, car demain il y a… le vide.

À quoi jouons-nous ? Nos enfants sont en train de perdre des années importantes de leur vie, leur école et bientôt, ce sont des parents sains d’esprit qu’ils perdront. Car nous aussi, on n’en peut plus.

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