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EMEUTES DE FÉVRIER 1999 : Indemnités de l’État refusées au garage Bala & Sons

La loi n’existe pas – comme c’est le cas en Angleterre – pour que l’État indemnise des particuliers en cas d’émeutes. Ainsi en a décidé la cour Suprême. Douze années après les émeutes déclenchées à la suite du décès en détention de Joseph Réginald Topize, dit Kaya, les séquelles perdurent. Le garage Bala & Sons, entreprise située à Grande-Rivière-Nord-Ouest, qui cherchait à obtenir Rs 4,7 millions de l’État en réparation des dégâts subis lors de ces événements dramatiques, s’est fait récemment débouté.
La Cour a, dans ce procès, accepté les arguments avancés par le State Law Office (SLO) à l’effet que Bala & Sons (i) n’avait pas identifié les officiers ou agents de l’État qui auraient été, selon la plainte, responsables de ses pertes, et (ii) avait fait sa réclamation en dehors du délai statutaire de deux ans, imposé aux termes de la Public Officers’ Protection Act pour toute action en justice contre l’État. Le SLO avait également soutenu que les émeutes constituaient un cas de « force majeure » dont l’État ne pouvait être tenu responsable. Mais cet argument a par contre attiré un commentaire négatif du juge.
Le jugement de la cour Suprême au détriment du garage portlouisien mérite qu’on y revienne en raison de son aspect pédagogique. En effet, les citoyens de l’Île Maurice, censés ne pas devoir ignorer la loi, en apprennent les règles mais, et c’est souvent le cas, que lorsqu’il est trop tard.
D’entrée, comme il est d’ailleurs de procédure, le juge Domah a résumé les positions des deux parties. D’un côté, le plaignant, Bala & Sons, soutenait que l’État mauricien était tenu de l’indemniser parce que, lorsqu’ont éclaté les émeutes en février 1999, il a été incapable de les empêcher ou de les contenir, et n’a pu protéger ses biens et son business.
Bala & Sons, représenté par Me Siddartha Hawaldar et l’étude d’avoués Mardemootoo, avait fondé son procès sur l’article 1382 du Code Civil. L’entreprise avait avancé qu’elle avait subi des dégâts estimés à Rs 6,7 millions, mais n’en avait recouvert que Rs 2 millions auprès de sa compagnie d’assurances, et qu’il incombait donc à l’État de couvrir les Rs 4,7 millions de déficit. L’État devait répliquer par voie d’une motion dite Plea in limine (i) que le délai prescrit était dépassé, (ii) que les officiers fautifs pointés du doigt n’étaient pas identifiés, et (iii) qu’il y avait eu « force majeure » dont nul ne pouvait être rendu responsable.
Au stade préliminaire de l’affaire, le 2 décembre 2005, le juge Domah avait invité les deux parties à lui soumettre les éléments pouvant lui permettre de trancher et, après en avoir pris connaissance, il a retenu les objections du State Law Office.
La première raison retenue par le juge a été le retard de la soumission de la plainte contre l’État. Le Public Officers’ Protection Act stipule en effet, au sujet de la limitation des actions judiciaires, que
– toute action au civil ou au criminel entamée par un individu autre que l’État, pour fait, acte ou omission contre un officier public dans l’exercice de ses fonctions contre une personne engagée ou employée dans une tâche publique ou assistant un officier public dans son travail, doit, sous peine de nullité, être instituée dans un délai de deux ans à compter de la date du fait, de l’acte ou de l’omission reproché(e).
 
Prescription de deux ans
Le procès intenté par Bala & Sons n’a ainsi été logé qu’en avril 2001, pour des événements ayant eu lieu en février 1999, soit bien après la période de prescription définie sous la Section 4 (1) du Public Officers’ Protection Act. Pour justifier ce retard, l’avocat du plaignant avait déclaré qu’il avait fallu attendre les conclusions de la Commission d’enquête du juge Matadeen sur les émeutes avant d’initier le procès. Le juge n’a toutefois pas retenu cette explication. « J’ai été incapable d’y voir la logique. Les deux années de prescription stipulées dans la loi ne se comptent pas à partir de la fin d’une enquête qui pourrait avoir été ordonnée concernant un événement particulier, mais à partir de la date où l’événement s’est déroulé ; en l’occurrence, les saccages qui ont entraîné des pertes pour Bala & Sons », a-t-il dit.
Le juge a rappelé que, le 2 décembre 2005, il avait invité les deux parties à lui montrer dans quelle mesure les travaux de la Commission Matadeen pouvaient être pertinents, en dehors du fait que les travaux et le procès traitaient du même sujet, à savoir, des émeutes de février 1999. Mais si l’avocat de l’entreprise devait s’appuyer sur le rapport de la Commission d’enquête pour parvenir à ses fins, pour le juge, c’était peine perdue, puisque la Section 12 (2) du Commission of Enquiry Act prévoit « qu’aucun témoignage obtenu devant une commission ne peut déboucher sur une quelconque poursuite au civil ou au criminel, à moins que ce soit une poursuite pour parjure contre quelqu’un qui y aurait eu recours. »
En rappelant les attributions la Commission Matadeen, le juge Domah a fait ressortir qu’elle avait pour objectif d’enquêter sur les émeutes et autres désordres survenus dans différentes parties du pays, sur leurs causes, et devait déterminer si les émeutes avaient été sporadiques et établir leur impact sur l’économie nationale. « J’ai été incapable de trouver dans ces attributions le devoir de la commission de se prononcer sur les responsabilités de l’État, ou d’un de ses officiers ou agents dans les émeutes, qui aurait pu l’obliger à indemniser les victimes. »
Me Hawaldar ayant tenté de plaider que la prescription du délai pour intenter un procès ne s’appliquait que dans les cas d’officiers et non celui de l’État, le juge, une fois de plus, n’a pas agréé : « La loi est spécifique sur ce point : la Section 2 (4) du State Proceedings Act prévoit clairement que ce qui est applicable à un officier ou un agent public l’est également à l’État. »
 
Pas de législation judiciaire
À ce stade, le juge a fait ressortir qu’il aurait pu s’en tenir au non-respect du délai prescrit pour mettre un terme définitif au procès. Cependant, il n’était pas en faveur de l’argument de « force majeure » invoqué par le State Law Office, ainsi que sur la possibilité d’intenter des poursuites contre l’État sans que les plaignants n’aient toutefois à identifier les officiers publics qui auraient causé du tort en son nom.
L’avocat de Bala & Sons avait parlé du concept de la démocratie et de principes démocratiques pour arguer que « l’État a la tâche générale d’assurer la sécurité des citoyens et de leurs biens. » Le juge Domah a, pour sa part, eu une autre lecture : « Notre démocratie est aussi fondée sur le socle de l’État de Droit. L’État ne peut être personnellement tenu responsable d’actes commis, non pas par ses officiers ou des agents identifiables, mais par des émeutiers. Or, il n’y a pas à Maurice – comme elle existe par contre en Angleterre – la responsabilité de l’État pour ce qui est de dégâts causés par des émeutiers. En Grande-Bretagne, l’État est tenu de compenser selon le Riot Act de 1886. Si les cours mauriciennes devaient interpréter l’article 1382 du State Proceedings Act (comme le lui demandait Me Hawaldar) de telle façon à ce que l’État mauricien ait à rendre des comptes, cela équivaudrait à une législation judiciaire et à une négation de l’État de Droit (the rule of Law). »
Le juge a, toutefois, bien observé que « l’État mauricien se devait de trouver des arguments beaucoup plus solides pour étayer sa thèse que les émeutes constituait une « force majeure » dont il ne pouvait être appelé à payer les conséquences ». « Il ne suffit pas de plaider que les émeutes étaient généralisées et qu’elles avaient escaladé d’une façon qui ne pouvait raisonnablement pas être envisagée, pour dire qu’il y avait « force majeure » », a-t-il souligné.
Cependant, le juge a décidé qu’il n’avait d’autre alternative que de refuser la demande de Bala & Sons.

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