Titulaire d’un Master en agronomie de l’université de Maurice et de l’université du Pays de Galles (Swansea), Éric Mangar, père de deux filles, Roshni et Preethi, agronome et directeur du Mouvement pour l’Autosuffisance Alimentaire (MAA) prône l’autosuffisance alimentaire depuis de nombreuses années. Il milite en faveur des Ong dans dfférentes régions de l’île, accompagnant leurs bénéficiaires. Il a pris sa retraite le 30 août dernier, à l’âge de 68 ans, après avoir travaillé pendant 47 ans. Le-Mauricien l’a rencontré à la veille de son départ à la retraite.
Éric Mangar, vous avez consacré votre vie à mettre en place des projets pour venir en aide aux plus vulnérables. Quel regard jetez-vous sur votre parcours vrailent atypique?
Ma passion pour l’agriculture ne date pas d’hier. Déjà, durant mes années d’études au collège du Saint-Esprit, j’avais choisi la filière Agriculture. Ensuite, j’ai fait des études en agronomie au collège d’Agriculture à Maurice. Puis en 2000, je m’étais inscrit à un Master en service communication et gestion à l’Akademie Klausenhof en Allemagne et à l’université de Wales.
En 1981, l’île Maurice traverse une grave crise économique. Le chômage bat son plein et crève la barre de 30%, soit un Mauricien sur trois. Le cardinal Maurice Piat, qui était curé à cette époque dans la paroisse de Saint-François d’Assise à Pamplemousses, m’avait approché pour mettre en place le premier projet connu comme le Northern Voluntary Self-Help Projet avec un groupe de chômeurs qui étaient les premiers bénéficiaires.
Je dois dire que la contribution des volontaires était vitale pour assurer la continuité des projets self-help. Les entre-lignes de cannes et les bâtiments isolés et abandonnés des propriétés sucrières comme à Beau-Plan sont exploités à des fins agricoles et d’élevage (poulets, œufs et lapins, bœufs). L’espoir renaît donc pour beaucoup de ces chômeurs dans le Nord malgré les affres de la crise.
Et le projet ne s’est pas arrêté là…
Effectivement, nous étions soucieux pour d’autres chômeurs dans d’autres régions. Nous avons étendu des projets dans les périphéries des villes en démarrant un premier micro-projet avec cinq poules par famille sur une base communautaire à Roche-Bois pour alléger le problème de malnutrition aiguë, affectant une grande partie de la population de cette grande périphérie de la capitale.
Nous avons lancé la coopérative agricole à Chebel en collaboration avec l’aumônier de la prison avec comme objectif la réinsertion des ex-détenus. Une trentaine d’anciens détenus ont été intégrés économiquement et socialement à travers ce projet. Le MAA a participé à des projets de production d’œufs familiaux et communautaires
Comment avez-vous démarré le projet pour le MAA ?
Le volontariat a ses limites. En 1985-1986, avec le développement rapide des projets et diverses activités, la permanence du MAA voit le jour avec le soutien de Pain pour le Monde (Bread for the World). Un directeur, un Field Officer, et une secrétaire sont employés à plein-temps.
Quelque temps après, démarre le projet de la Coopération régionale (Kooperasion Popiler de zil – Rodrigues, La Réunion, Madagascar, Comores). Nous avons aussi étendu nos activités à Rodrigues en accordant notre soutien aux planteurs de Rivière-Bananes et du centre agricole de Camp-du-Roi où nous avons assuré la formation, distribué des semences, des produits vétérinaires et du matériel agricole. Le MAA devient ensuite partenaire de Frères des Hommes (FDH) et siège sur le Conseil Continent d’Afrique-FDH.
En 1990, la ferme du MAA à Saint-Martin est opérationnelle. Commence alors la production d’œufs et de poussins pour les microprojets familiaux. La ferme est autofinancée. Deux ans après, soit en 1992, la MAA lance une formation agricole de deux ans (pratique et théorie) pour environ 650 filles et garçons recalés du cycle primaire au Centre de développement Lorette Saint-Lux – Cité Kennedy, cours menant à un certificat en agriculture avec la possibilité pour certains parmi eux d’avoir un job dans le secteur privé.
Y avait-il un suivi après ?
Des semences ont été mises à leur disposition et de leurs parents pour leur permettre de mieux s’intégrer à travers l’agriculture. Autant que je m’en souvienne, une soixantaine d’entre eux ont commencé à planter chez eux. Les enseignants et des préposés du MAA partaient visiter les potagers, rencontrer les parents pour mieux comprendre mieux le cadre familial, souvent des fois marqué par des difficultés paraissant insurontables.
Dans quelle mesure les microprojets œufs/familiaux et communautaires aident-ils les familles vulnérables ?
Il y avait 57 villages qui étaient engagés dans ce projet. Les éventuels bénéficiaires dans un quartier ou village étaient identifiés par les leaders de la communauté avec le MAA ou les préposés du Trust Fund comme facilitateurs. L’encadrement pour chaque projet était assuré par un ou des volontaires de la localité. Le nombre de familles par projet était entre 20 et 100. Ce projet familial consiste à produire des œufs à partir de cinq pondeuses (18 à 20 semaines).
Comment ça se passe avec la logistique ?
Le MAA assure la logistique. La cage est fabriquée par le MAA. Nus gournissons aux pondeuses 20 kg de nourriture par mois, des vitamines. Nous assurons aussi la formation et le Monitoring. La production est de l’ordre de 25 œufs par semaine pour les cinq pondeuses qui sont renouvelées annuellement.
Existe-t-il un fonds de roulement pour chaque projet ?
Oui. Il est géré avec la participation active des bénéficiaires. Les bénéficiaires doivent contribuer financièrement à l’achat de la nourriture mensuellement et rembourser dans une période de six mois.
Dans quelle mesure, ce projet a-t-il été bénéfique aux familles et à la communauté ?
Il a contribué à la sécurité alimentaire des familles. Ces dernières bénéficient également d’une formation technique et développent l’esprit d’entrepreneuriat.
Toujours en ce qui concerne les projets, le MAA avait mené trois études en 1998 pour l’Association des artisans et planteurs de Pamdamus du Sud-Est. Les études portaient sur l’aspect socio-économique des artisans du vacoa ; l’écologie du vacoa (le Pandamus Utilis) à Maurice et la perception du consommateur mauricien des produits faits à partir du vacoa.
Qu’est-ce que cela a donné comme résultat ?
Le MAA a pu regrouper des artisans en un regroupement, l’AAPPSE, qui a abouti à un projet de plantation de vacoa dans la région côtière du sud-est (200 plantules) avec comme objectif plus de matière première (feuilles) pour combattre l’érosion.
Le MAA aide, encadre et renforce la capacité de l’AAPPSE pour améliorer la qualité des objets artisanaux de qualité tels que des coffres, des file folders, des valises, des nattes, tentes, boîte, sous-plats pour le secteur privé et le public en général.
Nous avons mis en place un Weavers Coordination Centre à Vieux-Grand-Port et le National Heritage Museum. Nous avons aussi recu d’Emtel en don une camionnette pour le transport des matières premières (feuilles de vacoa, vétiver) et pour assurer la vente des produits.
Le MAA a soumis au gouvernement une étude sur les problèmes d’inondations et d’érosion, de glissements e terrain et de drains, ce qui justifie un plan d’urgence pour un aménagement territorial. Il n’y a pas longtemps, j’ai entendu les habitants se plaindre des inondations.
Il y a aussi le projet d’approvisionnement en eau potable pour 500 familles au Morne…
Environ 500 familles de la région du Morne ont eu accès à l’eau potable. L’eau provient de la rivière Staub, située à quelques kilomètres du radier de Macondé. Ce projet à hauteur de Rs 30 millions a été réalisé grâce à l’initiative de la HSBC, en partenariat avec la CWA, le Lions Club de Quatre-Bornes et le MAA.
Le Morne Water Project, à l’intention des squatters, consiste à relier le village du Morne à celui de Rivière Staub, de Baie-du-Cap avec un système de filtration. Les habitants doivent contribuer à hauteur de Rs 100 mensuellement. Ce qui est une somme raisonnable. Les habitants de cette région ont, en plusieurs occasions, manifesté leur colère dans les rues.
Parmi la centaine de projets que le MAA a mis en place, quel a été celui qui vous a le plus marqué ?
Je mentionnerais trois projets. D’abord, le relogement de 77 familles de La-Pipe en 1999 à Anoska. Ensuite, la construction des 20 maisons brûlées à Cité-Teresa à la suite des émeutes dans le Nord de l’île. Et troisièmement, l’inauguration du premier bateau semi-industriel Le Serenity en 2014 et de deux autres encore appartenant à Mohamedally Lallmohamed de la Med Fishing Coopératives de Bain-des-Dames. L’objectif était d’atteindre l’autosuffisance en matière de production de poissons.
Je me rappelle les négociations de 1995-1996 pour le relogement des habitants du village de La-Pipe qui avaient abouti à la construction de maisons les 77 familles à Mont-Bois. Déracinées de La-Pipe pour les besoins de la construction du Midlands Dam, les familles d’origine rodriguaise pour la plupart ne voulaient pas aller s’y installer car le gouvernement d’alors n’avait prévu aucune mesure d’accompagnement. Les habitants de La-Pipe ont dû lutter dur pour le respect de leurs droits.
J’ai même publié un livre à cette époque dont le titre était The resettlement and Integration of La Pipe Community in Mauritius pour raconter en détail les conditions dans lesquelles ils ont été déracinés. C’est une histoire qui m’a beaucoup marqué. J’ai vu pleurer des hommes, des femmes et leurs enfants.
Après avoir passé 47 ans aux côtés des plus vulnérables, diriez-vous que les gens deviennent de plus en plus pauvres à Maurice ?
Oui, définitivement. La pauvreté existe bel et bien à Maurice. Je dirais même qu’il y a des cas d’extrême pauvreté. Pas étonnant qu’une bonne partie du budget des ménages s’envole avec le coût des denrées alimentaire qui a beaucoup augmenté ces derniers jours. Il est possible de réaliser des économies en cultivant dans un bac, un jardin ou encore sur son toit, Les Mauriciens doivent cultiver sur chaque parcelle de terrain abandonnée.
Le gouvernement doit impérativement mettre en place un plan d’urgence pour encourager les Mauriciens à retourner vers la terre. La surface disponible pour cultiver des légumes a considérablement diminué. Cette situation est le résultat de l’urbanisation avec la construction des Smart Cities.
Vous êtes déjà la retraite. Avez-vous déjà trouvé quelqu’un pour vous remplacer à la tête du MAA ?
Oui, c’est Mohamedally Lallmohamed qui est à la tête de la Med Fishing Cooperative de Bain-des-Dames. C’est quelqu’un avec qui j’ai travaillé pendant de nombreuses années, Je vais le soutenir dans sa tâche et je passerai le voir de temps en temps.
Propos recueillis par Jocelyn Rose