Quasiment à la vielle de la présentation du budget 2025/26, Sébastien Sauvage, Chief Executive Officer d’Eco-Sud, et Carina Gounden, coordinatrice de MRU 2025 et militante de la plateforme citoyenne Aret Kokin Nu Laplaz (AKNL), ont lancé un appel d’urgence au Premier ministre, Navin Ramgoolam. Face à la dégradation alarmante du littoral, ils réclament des mesures immédiates et un leadership fort pour assurer la préservation de l’environnement. Pour eux, l’heure n’est plus aux constats, mais à l’action : Maurice a besoin d’un tournant écologique décisif en vue d’assurer son avenir.
Carina Gounden n’a pas mâché ses mots. « Nous sommes dans une situation d’urgence. Notre littoral est en train de disparaître sous l’effet de l’érosion côtière et du changement climatique. Nous avons besoin d’un leadership fort pour enclencher une vraie transformation écologique », a-t-elle déclaré en début de semaine. Elle a déploré la « situation chaotique » sur les plages, où l’érosion ne cesse de progresser, parfois jusqu’à 25 mètres de perte. « Il y a une confusion totale. Les gens ne savent plus ce qui est plage publique ou pas. Aujourd’hui, seulement 15% de nos plages sont reconnues comme publiques. Le reste est entre les mains d’intérêts privés, souvent liés au secteur hôtelier. Et pourtant, les plages sont un bien commun », s’insurge-t-elle.
Carina Gounden est revenue sur le fait que, malgré de nombreuses promesses politiques, peu d’actions concrètes ont été initiées pour freiner la dégradation du littoral. Elle estime que les effets du changement climatique, combinés à une mauvaise gestion des zones côtières, rendent l’inaction intolérable : « Nous subissons déjà les effets du dérèglement climatique. Il est grand temps de mettre de l’ordre dans la gestion de nos zones côtières », dit-elle avec force.
Face à cette situation, elle a insisté sur le fait qu’il est crucial d’agir rapidement pour protéger les plages publiques et les espaces naturels. « Il faut arrêter de construire sur le littoral, mettre fin aux transferts douteux de terres de l’État, et récupérer progressivement ces terrains quand les baux arrivent à terme », indique Carina Gounden. Et ce, tout en mettant en exergue que la gestion du littoral ne relève pas uniquement du ministère de l’Environnement, mais implique également celui des Terres et du Logement. D’après elle, l’enjeu dépasse la simple préservation écologique : « Il faut changer nos comportements, protéger les plages en tant qu’espaces publics, car elles font partie de notre patrimoine commun », prévient-elle.
Face à cette situation critique, Carina Gounden propose un changement de cap autour de trois axes majeurs. Le premier consiste à utiliser les voies légales pour protéger les zones côtières menacées. Le deuxième repose sur une participation citoyenne réelle, à travers un meilleur accès aux consultations publiques. Le troisième axe, tout aussi crucial, concerne la transparence des données, notamment celles relatives aux acquisitions foncières et aux zones à risques telles que l’érosion, l’inondation ou la submersion. Pour elle, ces leviers sont indispensables pour bâtir une gouvernance écologique cohérente et durable.
Malgré la gravité de la situation, Carina Gounden se dit porteuse d’espoir. Elle salue l’intégration de six ONG dans la gestion intégrée des zones côtières, une initiative du ministère de l’Environnement. Elle espère que le budget 2025-26 traduira cette volonté en politiques concrètes : un véritable plan d’adaptation au changement climatique et une meilleure protection des écosystèmes côtiers. Elle a d’ailleurs cité les propos du Navin Ramgoolam datant de 2008, lors du lancement de Maurice Île durable : « Nous ne pouvons pas élaborer des politiques en ignorant le défi du réchauffement climatique. Nous ne pouvons pas détruire les conditions mêmes de notre survie. »
Trois menaces pointées
De son côté, Sébastien Sauvage a tiré la sonnette d’alarme sur les écosystèmes menacés et a mis en avant trois enjeux environnementaux majeurs, tous marqués par un manque criant de transparence et de concertation de la part des autorités. Il a d’abord évoqué la restauration des récifs coralliens, entreprise par Eco-Sud depuis 2018. Ces écosystèmes essentiels sont gravement menacés par les effets du changement climatique, mais aussi par des décennies d’aménagements destructeurs : constructions sur les dunes, fragmentation des zones humides (60% touchées), disparition de 90% des mangroves et privatisation du littoral.
Il a dénoncé le manque de transparence autour du Policy Paper du ministère de la Pêche, qui encadre les techniques de restauration corallienne, et a critiqué l’interdiction récente de la méthode de fragmentation, pourtant utilisée avec succès dans des projets pilotes. Il réclame des consultations ouvertes et inclusives sur cet aspect de la protection de l’environnement.
Le deuxième concerne le projet d’autoroute M4, censée relier Forbach à la Vallée-de-Ferney en traversant Bel-Air. Ce projet, engagé sans consultations publiques, constitue une menace directe pour les 2% de forêts endémiques encore existantes à Maurice. « Nous ne pouvons pas continuer à construire des routes sans penser aux conséquences », a-t-il lancé, soulignant l’aggravation prévisible de la pollution, de la fragmentation des habitats naturels et des risques d’inondations, en raison de la réduction des terres capables d’absorber les eaux de pluie. Il a également rappelé que l’extension du réseau routier entraîne mécaniquement une augmentation du nombre de véhicules, sans pour autant résoudre les problèmes d’embouteillages. Pour lui, il s’agit d’un véritable enjeu de société. Il exhorte le gouvernement à respecter ses engagements pour le développement durable et réclame que toute nouvelle infrastructure soit précédée de consultations publiques.
Enfin, Sébastien Sauvage a attiré l’attention sur les dérives observées dans les activités touristiques liées à la faune marine, notamment le Whale Watching et la nage avec les dauphins. Cette pratique, qui est interdite par la loi, est toujours tolérée. Il a également dénoncé le manque de clarté dans les décisions prises par le ministère de la Pêche et la Tourism Authority concernant la réglementation de ces activités, qui semblent souvent être élaborées sans véritable consultation des parties prenantes.
« Avec l’arrivée des baleines et de leurs petits entre juin et octobre, il est crucial de préserver leurs habitats naturels en mer. Il est donc essentiel de renforcer la protection de ces zones pour garantir la sécurité des baleines durant leur période de reproduction et d’alimentation », a ajouté Sébastien Sauvage, tout en demandant un cadre réglementaire plus strict, respectueux de la faune marine. Il a conclu son intervention en appelant à une gouvernance cohérente, transparente et participative dans toutes les décisions ayant un impact sur l’environnement.