Les révélations quant au traitement subi par les patients suivant le traitement de dialyse et victimes du Covid-19 à l’hôpital de Souillac en mars 2021 sont les unes plus accablantes que les autres. Et cela contrairement aux assurances et à la thèse d’autres comorbidités colportées à l’époque par la clique gravitant autour de l’ancien ministre de la Santé, Kailesh Jagutpal, qui ne cessait de se féliciter de sa gestion de la pandémie.
C’est ce qui se dégage, séance après séance en Cour de district de Curepipe, lors de l’enquête judiciaire pour faire la lumière sur les circonstances dans lesquelles sont mortes douze dialysés au plus fort de la pandémie de Covid-19. Pour la séance d’hier, un témoin Laval Sab a décrit le traitement des plus inhumains subi par son épouse, âgée de 68 ans à l’hôtel Tamassa et au New Souillac Hospital, et les circonstances dans lesquelles elle est morte. Mais le plus choquant demeure le calvaire de Keerpanand Beedassy, un amputé qui ne pouvait subvenir à ses besoins et qu’on avait laissé sans soins. Il n’avait même pas eu un verre d’eau à l’hôpital le 29 mars 2021 alors qu’il agonisait.
Le premier témoin d’hier, Laval Sab, est un retraité habitant Chemin-Grenier. Répondant aux questions du représentant du Directeur des Poursuites Publiques (DPP), Me Michel Ah Sen, il a décrit les circonstances tragiques entourant le décès de son épouse Dookoomanee au New Souillac Hospital le 11 avril 2021. Âgée de 68 ans en 2021, elle avait commencé le traitement sous dialyse en 2014. Elle avait besoin de trois séances de dialyse par semaine, d’une durée de trois heures chacune. Elle souffrait en outre de diabètes et était sous insuline. Les injections étaient assurées par son époux, le témoin.
Elle subissait ses séances de dialyse au New Souillac Hospital. Suite à un infirmier de cet hôpital qui avait été testé positif au virus du Covid-19, un exercice de Contact Tracing avait été effectué, et le nom de Dookoomanee Sab s’était retrouvé sur la liste de patients en contact. Une ambulance était venue prendre Dookoomanee Sab chez elle à Chemin-Grenier le 26 mars 2021, et l’avait conduite à l’hôtel Tamassa à Bel-Ombre, où avec d’autres dialysés, elle était arrivée vers 21 h.
Aucune nourriture ne lui avait été servie, alors qu’elle avait subi une séance de dialyse ce jour-là. Elle avait dû s’endormir l’estomac vide. En outre, il n’y avait personne pour lui injecter sa dose quotidienne d’insuline. C’était son mari qui normalement lui injectait de l’insuline, et elle ne savait pas comment s’y prendre.
Le 27 mars 2021, elle avait été testée positive au Covid-19, et transférée le lendemain à la salle de quarantaine du New Souillac Hospital, et ce sans que son mari n’en ait été informé. « Il n’y avait personne pour prendre soin des malades », dénonce Laval Sab avec la colère dans la gorge. Encore une fois, il n’y avait personne pour injecter à Dookoomanee Sab sa dose quotidienne d’insuline. Ce qui fait qu’elle n’avait reçu aucune injection d’insuline depuis qu’elle avait quitté son domicile.
Le témoin laisse entendre que le 28 mars 2021, Dookoomanee Sab avait subi une séance de dialyse d’une heure et trente minutes seulement, alors qu’il lui fallait une séance de trois heures. Les 29 et 30 mars, elle n’avait subi aucune séance de dialyse. Le 5 avril, sa santé s’était considérablement détériorée. Le personnel de l’hôpital avait dû l’intuber parce qu’elle faisait face à de graves difficultés respiratoires.
Aucune information n’avait été communiquée à Laval Sab par les responsables du New Souillac Hospital sur son état de santé, cela depuis son admission à cet hôpital. Il avait bien essayé de rejoindre l’hôpital mais selon lui, personne ne répondait à ses appels angoissés.
Le 11 avril, Dookoomanee Sab devait décéder. C’est un Attendant du New Souillac Hospital et qu’il connaissait qui lui avait discrètement informé que sa femme était décédée. « To madam inn mor. Mo pa kapav dir twa sa bann kitsoz la », lui avait dit cet Attendant. Le même jour, l’hôpital était entré en contact avec lui, mais il ne se souvient pas du nom du préposé. Il avait été informé qu’il ne pouvait accompagner le cercueil au cimetière, où l’inhumation de sa femme allait avoir lieu, et n’avait ainsi pu assister aux funérailles de sa femme.
Une fois l’interrogatoire de Me Ah-Sen terminé, l’avocat avait demandé au témoin s’il avait quelque chose à ajouter, Laval Sab a expliqué qu’il voulait connaitre la vérité et faire le deuil convenablement, cela quatre ans après la mort de sa femme. Il a même expliqué qu’il envisageait de réclamer un dédommagement de l’État, ce à quoi Me Ah-Sen lui a répondu qu’il devait diriger cette demande vers les avocats qui représentaient les proches des décédés.
Son sac sur sa jambe amputée
L’autre témoin, Keeran Beedassy, une maîtresse d’école habitant New-Grove, a ensuite répondu aux questions de Me Khaveesh Seenauth, représentant du DPP. Elle a décrit le martyre enduré par son mari, Keerpanand Bedassy, au New Souillac Hospital. Ce dernier nécessitait trois séances de dialyse par semaine, d’une durée de trois heures chacune, un traitement suivi depuis 2020. Il souffrait aussi de diabète et d’hypertension. Le 11 mars 2021, il avait été amputé d’une jambe dans une clinique privée vu son taux de diabète. Le 25 mars 2021, soit quelques jours après qu’il avait reçu sa décharge de cette clinique, il avait reçu sa dernière séance de dialyse au New Souillac Hospital.
Sa femme, Keeran Beedassy, avait reçu un appel de cet hôpital, l’informant qu’une ambulance allait venir chercher son ami pour le mettre en quarantaine suite à un exercice de Contact Tracing. L’ambulance était venue le prendre le 27 mars, vers 16 h. Les préposés affectés à l’ambulance avaient refusé de toucher Keerpanand Beedassy, parce qu’ils avaient peur d’être infectés.
« Met li dan lanbilans zot mem », avaient-ils lancé à Keeran Beedassy et à ses enfants. Ce sont ses deux fils et un proche qui ont finalement placé Keerpanand Bedassy sur la civière et dans l’ambulance. Les préposés de l’ambulance avaient ensuite suspendu son sac, où il avait mis ses effets personnels, sur sa jambe coupée, cela alors même que le bandage se délitait.
Keeran Beedassy avait plaidé avec le responsable de l’hôtel Tamassa de laisser son mari chez elle vu qu’il avait récemment été amputé d’une jambe, mais ce dernier s’était montré intransigeant. Keeran Beedassy ne pouvait rester avec lui en quarantaine, vu qu’elle avait trois enfants sous sa responsabilité. Mais elle avait pu laisser un portable avec son mari en vue de pouvoir communiquer avec elle.
Le lendemain, soit le 28 mars, elle avait trouvé un neveu, Vinaye Soodhoo, qui avait accepté de se rendre à l’hôtel Tamassa pour prendre soin de Keerpanand Beedassy. Il n’avait reçu aucune information du personnel de l’hôtel Tamassa en ce qui concerne son mari. Mais ce dernier l’appelait sur son portable, l’implorant de venir le prendre pour le ramener chez lui, vu qu’il n’allait pas pouvoir survivre en quarantaine. Il souffrait atrocement de sa jambe amputée. Il maintenait que personne ne prenait soin de lui malgré ses appels à l’aide, les infirmières préférant jouer aux abonnés absents. Il ne recevait pas de nourriture à temps, ou encore recevait de la nourriture nullement appropriée ses problèmes de santé. Or, Keeran Beedassy ne pouvait rien y faire.
Le dernier appel qu’elle avait reçu émanait de son neveu Vinaye Soodhoo, le 28 mars, vers 22 h 30. Ce dernier avait fait état du transfert de Keerpanand Beedassy vers un hôpital, vu qu’il avait été testé positif au Covid-19. Par la suite, elle avait appelé incessamment l’hôtel Tamassa pour demander vers quel hôpital il avait été transféré mais personne ne prenait ses appels. Le portable de son mari ne répondait pas non plus.
Ce n’est que le lendemain, soit le 29 mars, vers 8 h 30, qu’elle avait reçu un appel émanant du New Souillac Hospital, l’informant que son mari était décédé alors qu’on le reliait à l’appareil de dialyse.
Ce n’est que plus tard qu’elle avait appris d’une personne qui se trouvait sur place, que son mari avait été transféré à la salle de quarantaine du New Souillac Hospital. Selon cette personne, son mari agonisait de douleurs, pleurait et appelait sa femme et ses enfants, cela alors que personne ne prenait soin de lui. Cette personne lui avait donné un peu d’eau.
Rependant ensuite aux questions de Me Veda Baloomoody, qui représente certaines familles des décédés, elle a confirmé que le New Souillac Hospital avait ses coordonnées, et que la clinique qui avait effectué l’amputation de la jambe de son mari avait bien informé l’hôpital de son état.
Me Ah-Sen a pour sa part présenté une motion pour que le neveu qui avait accompagné Keerpanand Beedassy à l’hôtel Tamassa, nommément Vinaye Soodhoo, soit convoqué pour témoigner, ce à quoi a acquiescé la magistrate Shavina Jugnauth, qui préside cette enquête judiciaire. Cette affaire reprendra vendredi 6 juin.