L’environnement mauricien en 2024 se présente comme un miroir à double face, reflétant à la fois les efforts de conservation et les limites persistantes d’un modèle économique encore peu compatible avec les impératifs écologiques. D’un côté, les forêts sont préservées dans l’ensemble, les cultures vivrières montrent des signes de reprise, et les investissements dans les énergies renouvelables poursuivent leur progression. De l’autre, les émissions de gaz à effet de serre repartent à la hausse, tirées par une forte consommation de charbon dans la production d’électricité, tandis que les ressources en eau diminuent dans un contexte de pluviométrie plus faible que la normale.
Les pressions sur l’environnement se manifestent aussi dans des domaines plus quotidiens : bruit, pollution de l’air, terrains laissés à l’abandon. Les plaintes environnementales, même en légère baisse, traduisent un malaise diffus face à la dégradation du cadre de vie. La question des déchets reste préoccupante : si la quantité globale traitée a baissé, la production individuelle continue, elle, de croître, illustrant un mode de consommation qui peine à se réguler.
Dans ce contexte, les appels à une transition écologique plus rapide et plus profonde se font de plus en plus pressants. La dépendance énergétique, l’usage intensif de pesticides et d’engrais chimiques, ainsi que la multiplication des projets de morcellement et de développement côtier, montrent que Maurice reste sur une ligne de crête : entre volontarisme affiché et inertie systémique.
L’année 2024 confirme ainsi que l’équation entre croissance, résilience climatique et durabilité environnementale reste largement à résoudre. Elle appelle à des politiques plus audacieuses, à des investissements mieux ciblés, et à une transformation des comportements à tous les niveaux — de l’individu jusqu’à l’État.
Forêts : stabilité fragile et pression foncière latente
Avec une superficie forestière totale de 42 012 hectares en 2024, Maurice affiche une hausse marginale de 15 hectares par rapport à l’année précédente. Cette progression est exclusivement due à des plantations sur des terres domaniales et dans les “Pas Géométriques”, ces bandes de terrain littoral appartenant à l’État.
Sur ces 42 012 hectares :
22 012 ha (52,4%) sont des terres publiques :
• 53,5% en plantations,
• 29,9% dans le Parc national des Gorges de la Rivière Noire,
• 3,6% en réserves naturelles,
• 4,1% dans d’autres parcs.
20 000 ha (47,6%) sont privés, à 67% des plantations ou friches, et à 33% des zones écologiques protégées (rivières, montagnes).
Malgré la stabilité, les pressions foncières, le mitage et le changement d’usage des terres restent des risques bien présents, menaçant la biodiversité endémique.
Agriculture : la canne à sucre en déclin, les cultures vivrières en progression
L’année 2024 marque un recul notable dans la filière sucrière :
Superficie cultivée : 34 759 ha, en baisse de 3,1%.
Production : 2,2 millions de tonnes, soit 10,5 % de moins qu’en 2023.
Rendement moyen : 63,17 t/ha (–7,6%).
La production de sucre chute aussi de 5,6 %, mais paradoxalement, le taux d’extraction passe à 10,28 %, contre 9,74 % l’année précédente.
En revanche, les cultures vivrières progressent :
Superficie récoltée : +4,1 % (9 585 ha),
Production : +8,3 % (168 125 tonnes),
révélant une reprise timide de la souveraineté alimentaire.
La culture du thé décline : production en baisse de 11 %, malgré une superficie quasi stable.
Enfin, les importations de pesticides (+50,8 %) et d’engrais (+9,1 %) confirment la dépendance croissante à l’agrochimie, posant des risques environnementaux accrus.
Gaz à effet de serre : une trajectoire
toujours ascendante
En 2024, les émissions totales de GES (hors puits de carbone) atteignent 6 407,6 Gg CO₂-éq, soit une hausse de 2,4 %. La ventilation par secteur montre une dominance écrasante du secteur énergétique :
Énergie : 5 016 Gg CO₂-éq (78,3 %)
Déchets : 11,8 %
Procédés industriels : 8,7 %
Agriculture : 1,2 %
Par type de gaz :
CO₂ : 78 %
CH₄ (méthane) : 12,3 %
HFCs : 8,1 %
N₂O : 1,6 %
Même en intégrant les puits forestiers, les émissions nettes augmentent à 6 026,1 Gg CO₂-éq, contre 5 878 Gg en 2023, soit une hausse de 2,5 %.
Énergie : le retour en force du charbon
La demande énergétique atteint un nouveau record : 1 614,9 ktoe, en hausse de 5 %.
Répartition :
90,9 % proviennent de combustibles fossiles importés (pétrole et charbon),
9,1 % d’énergies renouvelables locales (photovoltaïque, bagasse, hydro, éolien).
Faits marquants :
La production électrique a augmenté de 4,7 %, atteignant 3 418 GWh.
Le charbon a supplanté le fioul comme première source de production, représentant 39,1 % du mix électrique (↑22 % par rapport à 2023).
Les énergies renouvelables atteignent 18,2 %, dopées par :
• Photovoltaïque : +19,5 %
• Hydroélectrique : +28,7 %
• Éolien : +55,6 %
• Bagasse : –3,2 %
• Gaz de décharge : –30,8 %
La consommation de charbon pour la production électrique est passée de 384 ktoe à 459 ktoe (+19,5 %), expliquant la hausse des GES du secteur.
Transports et construction : d’autres contributeurs notables aux émissions
Transport : 1 593 Gg CO₂-éq (+4,8 %), dopé par l’augmentation du parc automobile (+5,1 % de véhicules).
Industries et construction : 376 Gg CO₂-éq (+4,7 %), en lien avec l’augmentation de la consommation de charbon, diesel et gaz liquéfié.
Température : de nouveaux records dans un climat plus chaud
2024 a été plus chaude que la moyenne 1991-2020 :
Température maximale moyenne en janvier : 30,4°C,
Température minimale moyenne en juillet : 17,0°C.
Le pic de chaleur a été enregistré à Rivière Noire avec 35,6°C, tandis que le record de froid est tombé à Union Park avec 10,1°C.
Ressource en eau : moins de pluie, plus de demande
La moyenne annuelle de pluie chute de 14,3 % (2 180 mm). Le mois de janvier a été anormalement humide (+203 %), mais septembre déficitaire de 46 %.
Bilan hydrique :
Apport de pluie : 4 077 Mm³ (–14 %)
Évapotranspiration : 30 %
Ruissellement : 60 %
Recharge nappe phréatique : 10 %
Utilisation totale :
1 020 Mm³ (+6,7 %), répartie comme suit :
Hydropower : 39 % (↑18,1 %)
Usage domestique/tourisme/industrie : 34 % (↑5,9 %)
Agriculture : 27 % (↓5,4 %)
Déchets : baisse globale,
mais comportement inquiétant
Le volume de déchets envoyés à Mare Chicose diminue à 498 309 tonnes (–7,9 %). Toutefois, la production quotidienne par habitant augmente à 1,14 kg, contre 1,01 kg en 2015.
Plaintes environnementales :
bruit, friches et pollution de l’air en tête
418 plaintes ont été traitées en 2024 (–4,1 %). Les principales sources d’insatisfaction :
Terrains vagues : 19,6 %
Bruit : 17,9 %
Pollution de l’air : 13,2 %
Eaux usées : 7,4 %
Odeurs : 6,9 %
Déchets solides : 6,7 %
Projets et permis environnementaux :
les morcellements en tête
36 licences EIA ont été délivrées :
• 11 pour morcellements,
• 5 pour fermes photovoltaïques,
• 4 pour projets hôteliers côtiers,
• 3 pour IRS/Smart Cities,
• 2 dans les zones portuaires.
9 approbations PER : dont 5 pour projets industriels.
Conclusion : une bifurcation nécessaire
Le rapport 2024 constitue un véritable état des lieux de la transition écologique à Maurice, où les efforts ponctuels (énergies renouvelables, reboisement, réduction de l’enfouissement) sont encore contrebalancés par des tendances lourdes : hausse des GES, croissance de la consommation d’eau, dépendance au charbon, hausse des déchets par habitant.
L’avenir environnemental de l’île dépendra de sa capacité à repenser son modèle énergétique, encourager l’économie circulaire et investir massivement dans l’adaptation climatique.