Esclavagisme moderne et trafic humain à Maurice : Genèse glaçante de Jean et Antoine — La partie émergée de l’iceberg…

Le trafic humain est une réalité qui mérite qu’on s’y attarde avec une plume acérée, d’autant qu’à Maurice, des centaines d’hommes et de femmes sont pris dans cette nasse qui revêt différentes formes : l’acquisition et l’exploitation de personnes par des moyens tels que l’abus d’autorité, la violence, la fraude, la prostitution forcée, la cœrcition ou la servitude domestique. À l’occasion de la Journée internationale contre le trafic humain, Week-End s’est penché sur le cas de deux travailleurs malgaches, Jean et Antoine, qui ont levé le voile, cette semaine, sur le calvaire qu’ils ont enduré à Maurice face à un employeur prêt à toutes les indécences…

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À Maurice, les victimes de violations des droits de l’homme sont majoritairement des migrants, dont de nombreuses femmes. Mais il existe aussi des victimes mauriciennes, des personnes avec des déficits intellectuels ou mentaux, bien que les chiffres disponibles ne reflètent pas la réalité, les plaintes constituant la partie émergée de l’iceberg, puisque toutes les victimes de ces crimes ne portent pas nécessairement plainte, sans compter que l’arsenal juridique pour lutter contre ces exploitations n’est pas encore totalement efficient. Ça, les exploiteurs véreux le savent pertinemment et profitent de l’aubaine pour s’adonner à leurs basses besognes.

La pauvreté endémique prévalant dans la Grande île pousse de nombreux Malgaches à s’envoler vers d’autres cieux dans l’optique d’un avenir meilleur. Jean et Antoine ont tout plaqué dans l’espoir que l’herbe serait plus verte chez leurs voisins mauriciens. Bien mal leur en a pris car ils ont vite déchanté en constatant qu’ils avaient finalement affaire à un patron véreux. Ajuster le soubassement d’une carrosserie d’un véhicule, remplacer un élément ou le restructurer. Jean a 15 ans d’expérience dans ce domaine. En débarquant à Maurice en novembre 2023, l’intermédiaire malgache qui l’a recruté lui a affirmé qu’il toucherait un salaire de Rs 14,500 et que le logement et la nourriture seraient à la charge de son nouvel employeur. Il n’en a rien été. Ses tracas ont débuté après que son patron ait confisqué son passeport, avant de découvrir qu’il devait rembourser son billet d’avion… qui a été enlevé de son salaire durant quelques mois. Sans compte en banque et ne pouvant s’exprimer ni en français ni en anglais, le Malgache n’était pas au bout de ses peines en découvrant qu’il devait lui-même payer son logement, un taudis pour dire les choses crûment, ainsi que la nourriture.

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Sous l’emprise de l’exploiteur, Jean travaille 6 jours sur 7 de 6h à 20h pour un salaire de misère. Jean voit débarquer son compatriote Antoine en février 2024. Ce dernier connaîtra le même sort. Voire pire. « Antoine est venu à Maurice pour travailler dans le secteur agricole sous la férule du même employeur. Sauf qu’il a été embauché comme apprenti, avec un salaire dérisoire de Rs 8,000, contrairement à ce qui avait été établi. Lorsqu’il s’est rebellé au bout de quelques semaines, le patron véreux a usé de la violence en le tirant de force du lit tout en le giflant. Lorsqu’ils ont appelé la police, on leur a dit que la solution était de retourner à Madagascar !  C’est un honte pour Maurice », confie le juriste Ivor Tan Yan, qui est venu en aide aux deux travailleurs malgaches. Grace au soutien de la Migrant Unit du ministère du Travail et de l’ambassade de Madagascar, Jean et Antoine ont pu rentrer chez eux à Antananarivo, la semaine dernière. Et quid des poursuites contre le patron dépourvu d’humanité ?

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Le DPP institue une Task Force à son bureau

Rashid Ahmine : « La loi a été votée à Maurice en 2009, mais il y a très peu de poursuites »

Pour marquer la Journée mondiale contre la traite d’êtres humains, le Directeur des Poursuites Publiques (DPP), Me Rashid Ahmine a organisé une table ronde riche en enseignements. Il a annoncé qu’une Task Force – placée sous la supervision de Me Jagganaden Muneesamy, assistant DPP – a été constituée à son bureau pour travailler sur les dossiers de trafic humain, en estimant que « la loi sur le trafic humain a été votée à Maurice en 2009, mais qu’il y a très peu de poursuites. »

L’absence de protection adéquate

des témoins potentiels

La table ronde a réuni diverses parties prenantes engagées dans la lutte commune contre la traite des personnes à Maurice. Dans son discours d’ouverture, Rashid Ahmine a souligné que « Maurice n’est pas à l’abri de la traite des personnes ou du trafic d’êtres humains qui sont des crimes où les trafiquants exploitent et profitent, aux dépens d’adultes ou d’enfants, en les obligeant à effectuer un travail ou à se livrer à des activités sexuelles commerciales ou à d’autres actes horribles. »

À en croire Rashid Ahmine, « la législation, la politique et les plans d’action doivent être révisés si nécessaire et un soutien adéquat doit être offert aux victimes de la traite des personnes. La poursuite de ces crimes est souvent difficile en raison de l’absence de protection adéquate des témoins potentiels et des dénonciateurs, et parfois de leur indisponibilité à témoigner devant un tribunal ». Concernant les cas d’exploitation qui touchent les migrants et travailleurs étrangers, le DPP estime que les témoins doivent passer plus de temps à Maurice pour qu’un cas puisse être porté devant la justice, au lieu d’être expulsés rapidement dans leur pays natal.

 

« Un manque d’interprètes »

L’inspecteur Nazurally de la Traffic in Person Unit a soutenu que cette unité compte quatre membres de personnel et qu’ils doivent traiter des dossiers liés aux migrants, à l’exploitation sexuelle des enfants et des étrangers, entre autres. « L’investigation dans ces affaires est assez complexe, car il faut gagner la confiance des victimes. Bien souvent, ils hésitent à aller de l’avant avec une plainte. Avec un nombre de personnel limité, c’est assez difficile de rassembler toutes les évidences. Il est aussi évoqué un manque d’interprètes disponibles pour aider cette unité », dit-il.

 

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