L’histoire débute avec son grand-père, pionnier du métier d’enchérisseur à Maurice, qui a ouvert la voie dans le domaine agricole. Son père a ensuite consolidé l’entreprise familiale, avant que la relève ne prenne une tournure inattendue : au lieu des fils, c’est la petite-fille, Shemida Ramdewar-Emrith, qui a choisi d’endosser cette responsabilité. « Chez nous, la tradition voulait que les hommes assurent la continuité. Mais moi, une fille, j’ai décidé de reprendre ce métier et de l’adapter à mon époque », confie-t-elle.
Aujourd’hui, à la tête de K. Ramdewar Auction Services, spécialisée dans l’achat et la vente de légumes aux enchères, elle incarne fièrement la troisième génération de cette lignée. Membre du comité des opérations du National Wholesale Market (NWM) et présidente de la Vegetables & Fruits Auctioneers Association (VFAA), elle s’impose désormais comme une figure incontournable dans un domaine longtemps réservé aux hommes. Récemment récompensée lors d’une cérémonie de reconnaissance organisée par une association de planteurs, elle a été élue dans la catégorie « marketing agricole » pour son apport au secteur.
Du parcours personnel à une vision pour l’avenir
Shemida explique que son entrée dans l’agriculture ne doit rien au hasard. Très tôt, animée par une véritable passion pour la terre et le travail bien fait, elle a multiplié les expériences et formations, notamment à travers les clubs agricoles féminins et les cours proposés par le FAREI. Ces engagements lui ont permis de faire ses preuves dans un milieu où la visibilité des femmes reste encore trop souvent occultée.
Pour elle, l’agriculture n’est pas qu’un métier, mais une vocation et une opportunité : « Beaucoup de gens pratiquent l’agriculture comme une activité secondaire. Mais si l’on s’en donne les moyens, on peut devenir un véritable agro-preneur », insiste-t-elle. Elle balaie aussi les clichés selon lesquels les jeunes ne s’intéresseraient pas à ce domaine : les nouvelles technologies, l’hydroponique ou encore les serres modernes attirent de plus en plus de jeunes générations, affirme-t-elle. Avec un bon encadrement et une orientation claire, chacun peut trouver sa voie et réussir dans ce domaine
Shemida met cependant le doigt sur l’un des plus grands défis du secteur : l’absence de planification et de communication. Selon elle, chaque planteur cultive selon ses envies, sans réelle coordination, ce qui entraîne parfois une surproduction bradée à bas prix, ou au contraire des pénuries qui font flamber les tarifs. Elle appelle ainsi à la mise en place d’une plateforme nationale où les planteurs pourraient déclarer ce qu’ils cultivent et quand ils récolteront, afin d’assurer une stabilité des prix et une meilleure autosuffisance en légumes.
Pour aller plus loin, elle plaide pour une valorisation de la production locale : « Pourquoi importer des produits transformés quand nous pouvons les faire nous-mêmes ? », interroge-t-elle. Elle cite l’exemple de la tomate : au lieu d’importer des conserves de tomates étrangères, Maurice pourrait développer ses propres unités de transformation avec la surproduction, créant ainsi de nouveaux débouchés et contribuant à l’économie nationale.
Donner une voix aux femmes du secteur
Au-delà de son propre parcours, Shemida défend un message clair pour les femmes : « Nous avons les capacités pour évoluer dans ce secteur, mais l’important n’est pas de rivaliser avec les hommes. C’est en travaillant ensemble que nous avancerons. »
Aujourd’hui présidente d’une association féminine, elle constate pourtant que dans les instances décisionnelles, les femmes restent rares : deux seulement parmi quarante représentants. Elle dénonce aussi le manque de visibilité du travail féminin en agriculture : « Trop souvent, ce sont les maris qui représentent leurs épouses, alors que ce sont elles qui fournissent l’effort quotidien dans les champs. »

