Fléau de la drogue : « Les aînés comprennent-ils les jeunes ? »

S., une veuve de 61 ans, habitant Bambous, ne sait plus à quelle porte frapper à un âge où elle aurait dû mener une vie paisible avec ses deux petits-enfants. Elle doit quotidiennement se battre contre son fils, accro à la drogue synthétique. « Kan li rod larzan mo oblize pran mo larzan pansion ki mo’nn ramase pou donn li », dit-elle. Sinon, les coups pleuvent. La sexagénaire raconte que son fils unique a commencé à consommer de la drogue quand il a perdu son emploi et suivant les mauvaises fréquentations,

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La semaine dernière, trois jeunes hommes ont été retrouvés morts par overdose. Un premier cas a été signalé à Mon-Choisy : un homme de 28 ans gisait inerte sur la plage, un sac se trouvant à côté de lui et dans lequel la police a découvert une seringue contenant des traces d’une substance soupçonnée d’être de la drogue. L’autopsie a attribué son décès à un œdème des suites d’une overdose.

Ensuite, un homme de 23 ans, demeurant à Pavillon, Cap-Malheureux, a aussi connu une triste fin. L’autopsie a relevé que le jeune homme, un toxicomane, est mort des suites d’un œdème pulmonaire. Le troisième, un vigile de 41 ans, habitant de Petite-Pointe aux-Piments, était arrivé à l’hôpital, samedi, avec des douleurs et des vomissements. L’autopsie a révélé que son décès est dû à une occlusion intestinale. Mais la police soupçonne que la victime était aussi un toxicomane.

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Le Mauricien a rencontré deux jeunes, Yajna Sultoo, habitant Ecroignard, âgé de 21 ans. Il est titulaire d’un diplôme en psychologie à l’université de Maurice et qui a suivi un stage de deux mois au centre de solidarité de Rose-Hill pour accompagner ceux qui suivent une cure de désintoxication et Adrien Carpooran, un jeune de 17 ans qui fréquente le collège Lorette de Bambous-Virieux.

Yajna Sultoo, parlez-nous de l’expérience de deux mois que vous avez vécue au centre de solidarité ?

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Cela a été une très bonne expérience. Elle m’a aidé à mieux cerner le problème de la drogue, à mieux comprendre, à écouter la souffrance des toxicomanes et à témoigner de leur volonté de sortir de l’univers de la drogue.

Vous avez le sentiment qu’il y a une prolifération de la drogue à Maurice ?

La drogue prolifère à un rythme effrayant chez les jeunes à Maurice. La situation est devenue alarmante. Nous avons tous à Maurice au moins un proche qui est aujourd’hui toxicomane.

Nous entendons presque tous les jours un décès à cause de la drogue. Il y a eu trois cas d’overdose la semaine dernière dont des jeunes. En tant que jeune, la situation m’inquiète beaucoup. Nous devons nous attaquer à ce problème à la racine avant qu’il ne soit trop tard.

Quelles sont les raisons qui amené cette situation à Maurice ?

Le monde se développe rapidement. Le monde change constamment. La société a connu la disparition de l’enfance, selon l’auteur américain Postman, paru en 1982. C’est bien vrai. Cela explique la façon dont la société se développe, les enfants grandissent aussi rapidement, perdent leur innocence et sont plus curieux que jamais.

Les jeunes d’aujourd’hui sont plus curieux, confus et subissent des pressions mentales et émotionnelles. Avec Internet, la jeunesse d’aujourd’hui découvre un monde nouveau. Ils veulent tout savoir, découvrir et essayer. Malheureusement, certains croient que la drogue est la route la plus facile pour assouvir leur curiosité.

Et le rôle de l’Éducation dans tout cela ?

Je crois que l’éducation joue un rôle très important. De nos jours, l’école est le premier endroit où l’enfant a accès en dehors de sa cellule familiale. Les parents travaillent et ce sont les écoles qui s’occupent des enfants et de leur développement.

Nous devons nous poser quelques questions très importantes. Comment se fait-il que la majorité des toxicomanes soient des jeunes alors que ce sont eux qui reçoivent une meilleure éducation, de meilleurs soins de santé et un meilleur niveau de vie ? Le système éducatif répond-il aux besoins de l’enfant ? Que fait le système éducatif pour former de futurs citoyens intelligents ?

On entend souvent les gens dire que les jeunes n’écoutent pas leurs parents, font ce qu’ils veulent. Leurs parents travaillent jour et nuit pour les élever. Mais combien de fois la génération plus âgée a-t-elle essayé de comprendre les jeunes ?

Les parents ont besoin d’établir des relations amicales avec leurs enfants dès leur plus jeune âge. Ils doivent comprendre à quelle vitesse le monde change et comment les jeunes se retrouvent souvent perdus. Avoir une famille en bonne santé, un bon soutien émotionnel et un environnement sain aidera sûrement de nombreux jeunes à éviter le piège de la drogue.

Quels sont les moyens pour contrôler la situation de la drogue chez les jeunes mauriciens ?

Nous avons besoin de trois choses principales pour être à l’abri de la toxicomanie : la volonté, un but, un soutien affectif et moral. Pour pouvoir les cultiver, il faut l’éducation et la socialisation. Nous devons avoir un système éducatif plus holistique et inclusif. Notre système d’éducation devrait être centré davantage sur l’apprenant de sorte que ses besoins soient satisfaits.

Les matières non formelles doivent être enseignées à un niveau très précoce telles que l’intelligence émotionnelle, l’éducation sexuelle, l’intelligence mentale, la formation du caractère, les sports, la danse, la musique, etc. Il faut une éducation holistique qui aidera à créer des êtres humains dotés d’une grande intelligence émotionnelle et mentale, qui pourront éventuellement faire la distinction entre le bien et le mal.

Vu que les enfants passent plus de temps à l’école qu’à la maison, le système éducatif devrait être en mesure d’identifier leurs besoins. Il est grand temps d’introduire des conseillers et des psychologues dans les écoles, même dans les premières années de scolarisation. Cela aidera les enfants à développer leur estime de soi, à recevoir des conseils, à partager leurs problèmes et à préparer un avenir meilleur.

Il faut plus de campagnes de sensibilisation sur la toxicomanie dans toute l’île. Les enfants doivent être sensibilisés au danger de la toxicomanie dès leur plus jeune âge. En outre, les parents ont aussi un rôle important à jouer. Ils doivent être informés de la manière d’enquêter pour savoir si leurs enfants consomment de la drogue et surveiller de très près leur fréquentation.

Le tabou autour de la toxicomanie est bien réel à Maurice…

Le tabou autour de la toxicomanie chez les jeunes mauriciens est bien réel. Nous avons tendance à les juger, à les étiqueter sévèrement et à les exclure de la société. Nous ne les voyons plus comme des êtres humains mais plutôt comme des personnes qui ne méritent pas une place dans la société. Nous leur traitons avec beaucoup de mépris

Il est grand temps de changer cette attitude envers les toxicomanes. Au lieu de cela, en tant que véritables citoyens mauriciens, nous devons travailler ensemble pour trouver des solutions. Plus important encore, les parents et les jeunes doivent être sensibilisés aux nombreuses façons de sortir de la toxicomanie. De nos jours, nous avons de nombreux centres de réhabilitation à travers l’île pour aider les toxicomanes. Nous devons seulement les rendre plus accessibles.

La politique a-t-elle joué son rôle pour éviter une recrudescence de la drogue à Maurice ?

Depuis plusieurs années maintenant, la politique a joué un rôle énorme dans la réduction de la toxicomanie à Maurice. Le gouvernement met l’accent sur l’éradication de la drogue dans la société en renforçant les lois, en proposant de nouvelles politiques, budgets, projets, programmes de réhabilitation et bien d’autres. Cependant, d’une manière ou d’une autre, les résultats sont très lents et la toxicomanie gagne toujours du terrain.

Je crois que le problème de la toxicomanie ne relève pas uniquement d’un ministère en particulier, mais plutôt de la responsabilité de tous les ministères. C’est le devoir de tout un chacun. Que ce soit au niveau de la santé, de l’éducation, des finances, du bien-être, de la famille, des centres religieux. Il est de notre responsabilité en tant qu’individu de lutter contre ce problème. Nous devons être conscients que ce n’est pas seulement un individu ou une famille qui échoue face à la drogue, mais la société dans son ensemble.

HT

« Réfléchir au but de notre vie »

Adrien Carpooran, élève au Lorette de Bambous-Virieux, n’est pas reste insensible au message dédié à la jeunesse du pays par le cardinal Maurice Piat face au nombre de saisies de drogue ces derniers temps. Le cardinal a parfaitement raison, selon lui. « Nous, les jeunes, nous devons réfléchir au but de notre vie et nous dire que les drogues procurent un moment de satisfaction qui n’est pas durable et stable. Le bonheur, par contre, est stable. »

Le chef de l’Église catholique a exhorté les jeunes à viser plus haut car les parents des toxicomanes souffrent beaucoup. Adrien Carpooran ajoute : « Zot anvi gagn enn ti nisa me apre vinn adict malerezman. Il y a aussi ces jeunes qui prennent de la drogue pour se faire accepter par leurs amis pour qu’ils apparaissent forts. Je conseille aux jeunes de faire du sport régulièrement. Le sport est aussi une source de plaisir. Fer enn zafer ki zot kontan. Zenes relev twa kar nou lavenir li trouv dan nou lamin ek nou bizin kapav manze ar tou seki vini. »

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