Francine Moutou, ex-travailleuse sociale de Mangalkhan : Impuissante devant la cécité qui s’installe

Travailleuse sociale connue et reconnue dans la région de Résidence Mangalkhan, Floréal, et d’ailleurs, Francine Moutou, 50 ans, affronte une rétinopathie diabétique proliférante qui diminue le champ visuel du seul oeil dont elle dépend. L’oeil droit ne fonctionne plus depuis une année.

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Avec un coeur qui ne fonctionne qu’à 25% et sa vue qui s’amenuise, elle ne peut plus pratiquer son métier, sa vocation et n’a plus de revenu pour participer aux dépenses de son foyer. Après avoir consacré 25 ans de sa vie aux plus démunis et à les aider à sortir de l’obscurité, elle a le sentiment, confie-t-elle, de se retrouver dans les souliers de ceux à qui elle avait l’habitude de tendre la main. Même si elle garde le moral, Francine Moutou concède appréhender le jour où son monde s’éteindra.

Parce qu’elle sait que le temps compte et que son oeil gauche, à cause d’une rétinopathie diabétique proliférante, pourrait la priver complètement de la vue, Francine Moutou a adopté un rituel tous les matins. Elle se rend sur son potager sur le toit de sa maison et y passe de longues minutes à observer le travail de la nature. Et du sien aussi. Elle s’émerveille devant les giraumons qui commencent à prendre forme. Avant qu’il ne soit trop tard, nous dit-elle, elle se rend régulièrement à la mer en famille pour apprécier le bleu de l’océan Indien. Travailleuse sociale connue et reconnue dans la région de Floréal et à Résidence Mangalkhan où elle y vit avec sa famille, cette petite dame de 50 ans a un grand parcours qui l’honore. En 25 années de terrain, elle a contribué à l’amélioration des conditions de vie de nombreuses familles, à les sortir de l’ombre. Aujourd’hui, en perdant graduellement la vue, c’est elle qui avance vers les ténèbres.

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« Dans les souliers de ceux que j’accompagnais »

À la voir circuler dans sa maison, escalader les marches qui la mènent vers son potager, on ne dirait pas que Francine Moutou ne voit plus de l’oeil droit et ne peut que distinguer des formes et des couleurs vives avec son oeil gauche.

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Pourtant, ce petit bout de femme qui veut affronter sa réalité et rester optimiste souffre aussi de complications cardiaques depuis 2018. Ce qui n’est pas pour faciliter son traitement. Mais en attendant, elle ne veut pas rester les bras croisés. Francine Moutou s’est lancée dans la vente de ses légumes et aromates. Elle envisage aussi de vendre des crêpes et des gâteaux piments, ses spécialités, pour contribuer aux dépenses de son foyer. Ces activités sont les seules dont elle est désormais capable.

Dans quelques jours, elle sera évaluée par le conseil médical de la Sécurité sociale suite à une demande de pension pour invalidité. Cette étape de sa vie, elle l’avait déjà connue, mais indirectement. Au cours de ses années dans le social, elle a rencontré de nombreuses personnes en situation de précarité diverse qui avaient aussi besoin de soutien financier des autorités. Sa maladie l’a souvent renvoyée à ces rencontres. Quand, après avoir été bénéficiaire d’une pension d’invalidité pendant 10 mois et qu’elle a été ensuite déclarée inéligible, envahie par l’incompréhension, elle s’est sentie humiliée.

« Je me suis retrouvée dans les souliers de ceux que j’accompagnais », dit-elle. Lorsqu’un cœur ne fonctionne qu’à 25%, le handicap et la souffrance sont invisibles. « Je ne pouvais plus intervenir sur le terrain. J’étais privée de ce que je faisais le mieux pendant 25 ans. Je l’ai très mal vécu, au point de faire une dépression », confie Francine Moutou.

« Pas prête à vivre dans l’obscurité »

Il y a un an, à son réveil, Francine Moutou remarque la présence d’une tâche à l’œil droit. « À l’hôpital, on m’a dit que le diabète avait affecté mes yeux, qu’il n’y avait pas de traitement miracle. Petit à petit, j’ai perdu l’usage de cet oeil. On avait commencé à traiter mon oeil gauche au laser. Mais en juillet dernier, un spécialiste m’a prévenu que je perdrais aussi cet oeil. Et il y a une semaine, la tâche à l’oeil gauche s’est propagée », confie Francine Moutou.

Devant les nouvelles peu reluisantes, avec l’aide d’une association, elle obtient rendez-vous avec un ophtalmologue qui lui dresse un diagnostique mi-figue mi-raisin. D’une part, le spécialiste ne préconise pas d’intervention chirurgicale pour l’instant. Une hémorragie qui avait accéléré la perte du champ visuel de l’oeil droit n’a pas atteint l’oeil gauche. Mais d’autre part, des complications ayant atteint la rétine et une cataracte doivent être traitées.

« Je prie. Si je perds la vue, c’est un demi-siècle de vie qui va s’éteindre. Je pense qu’une personne qui est née avec des problèmes de vision peut mieux s’adapter à cette idée comparé à une autre qui a pu contempler tant de belles choses sur terre durant toute sa vie. Il y a des jours, au réveil, je me dis que la vie doit suivre son cours et d’autres matins où j’ai peur. Je ne suis pas prête à vivre dans l’obscurité. Je ne sais pas ce qui m’attend », soupire Francine Moutou. « Il y a des tâches que je ne peux plus faire. Moi qui adorais faire la cuisine et préparer de bons petits plats, je dois me faire assister par des membres de ma famille. Je ne peux plus donner le bain à ma petite fille de six ans, qui vit avec moi et lui natter ses cheveux. Je ne peux que l’accompagner dans la salle de bains et la guider. Jusqu’à récemment, je pouvais me déplacer seule pour aller à mes rendez-vous à l’hôpital. Maintenant, ce n’est plus possible », se désole-t-elle.

Son diplôme en travail social, sa revanche

Chaque après-midi, au retour de son époux, mécanicien dans une entreprise privée, Francine Moutou va s’occuper de son potager. Sans l’aide de ce dernier, elle n’y arriverait pas. Les vendredis, elle prépare les produits frais et les met en barquettes pour les vendre, devant sa porte pendant le week-end. « Un seul salaire, malgré l’Income Allowance de la MRA, ne suffit pas. Nous avons des crédits à payer, des enfants à notre charge et nous devons faire bouillir la marmite », explique Francine Moutou. Cette activité, elle l’avait démarrée en 2020 pendant le premier confinement. Ce qui devait être un tremplin vers l’autosuffisance est devenu une source économique.

« Il y a des efforts auxquels j’ai consenti pendant des années pour arriver là où j’étais avant la maladie. Depuis enfant, j’aimais lire, j’avais la tête constamment dans des livres. Je n’ai malheureusement pas pu faire des études. En 2015, quand j’ai décroché mon National Certificate Level 2 in Social Work Practice par le biais du Recognition of prior Learning, j’ai été extrêmement touchée quand la personne qui m’a remis mon diplôme m’a dit que j’étais la seule a m’être préparée sans aide pour parvenir à cela. Pour moi, ce précieux document était une revanche sur des études que je n’ai pu faire », confie encore Francine Moutou.

Et si elle ne se fait aucune illusion quant à un retour sur le terrain, néanmoins, elle souhaite ardemment que la toxicomanie, notamment la drogue synthétique, arrête d’étaler ses tentacules dans son quartier. Et que le niveau de l’école primaire au cœur même de la cité progresse en qualité.


25 ans de terrain – L’éducation, une mission jusqu’au bout

Jeune, Francine Moutou voulait devenir enseignante. Faute de concrétiser son rêve d’enfant, elle n’a pas réfléchi à deux fois quand elle a eu la proposition d’animer la classe de catéchèse pour les enfants qui fréquentent l’école primaire Révérend Espitalier-Noël vers la fin des années 1990. « Je me rapprochais de mon rêve », dit-elle. C’est en s’intéressant à la vie de ses élèves, en cherchant à comprendre les raisons de l’échec scolaire, qu’elle a fait ses premiers pas dans le travail social. Elle devient rapidement la présidente de l’association des parents d’élèves de l’école.

Francine Moutou facilitera ainsi la mise en place de projets sociaux par des organisations non-gouvernementales à Résidence Mangalkhan. En 2003, elle devient liaison officer dans le cadre de l’introduction de la Zone d’Education Prioritaire, et y reste jusqu’en 2008. Francine Moutou agit ensuite comme directrice par intérim de l’école complémentaire de Mangalkhan. Avant que l’ONG Lovebridge devient un projet national, elle avait rejoint l’organisme qui intervenait alors dans la région de La Brasserie. De coordinatrice sociale, elle passe à coordinatrice régionale pour le district des Plaines-Wilhems lorsque Lovebridge s’organise comme une entreprise sociale.

D’avoir donné aux plus démunis la chance de sortir de la précarité et donné le sourire à des enfants les plus nécessiteux ont été tout au long de son engagement, dit-elle, des moments intenses. « Deux de mes combats qui ont aussi compté pour moi resteront ma participation dans la plateforme pour la comptabilisation des langues orientales au Certificate of Primary Education sans injustice en 2004 et celle qui a milité contre l’abolition des subsides sur les frais d’examens de School Certificate et Higher School Certificate en 2007 », confie Francine Moutou.

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