Comme chaque 1er mars, l’ouverture de la pêche à la senne est un événement à Maurice et à Rodrigues. Cette tradition, devenue une activité controversée au fil des années, en raison de l’impact sur l’environnement, perdure au grand bonheur des pêcheurs. Il ne reste plus qu’une quinzaine de pêcheries utilisant cette technique de pêche à Maurice. L’activité est également très contrôlée par les autorités.
Pas moins de 350 kg de mulet. C’est la bonne pêche qu’ont pu réaliser Patrick Naiken de Mahébourg et ses collègues le jour de l’ouverture de la pêche à la senne. « Quand il fait beau comme cela, quand la mer n’est pas agitée, nous sommes sûrs de pouvoir ramener beaucoup de poissons. C’est surtout une bonne nouvelle pour la population, qui aura du poisson frais à manger. Surtout à Mahébourg », déclare-t-il avec satisfaction.
Les bonnes prises sont l’une des raisons pour ce pêcheur, comptant 28 ans de métier, de continuer à pratiquer la pêche à senne. « C’est une technique qui nous permet d’attraper plus de poissons. Pêcher à la ligne ou au casier, ce n’est pas la même chose. Voilà pourquoi je pense qu’il ne faut pas laisser mourir cette tradition. De nos jours, le ministère de la Pêche ne donne plus de permis pour la senne. Avec le temps, il n’y aura peut-être plus de pêche à la senne à Maurice. La tradition va se perdre », ajoute-t-il.
Et quid de l’impact sur l’environnement ? Patrick Naiken fait ressortir, avec raison, qu’il y a déjà beaucoup d’activités en mer impactant l’environnement, et que ce n’est pas pour autant qu’elles sont interdites. « À quel point la pêche à la senne détruit-elle les coraux ? Il faut aussi évaluer les effets des autres activités et, surtout, ne pas oublier le réchauffement climatique, qui fait beaucoup de dégâts », rappelle-t-il.
Mais pour l’heure, les pêcheurs à la senne peuvent pratiquer leur activité en toute sérénité, tout en respectant les conditions imposées par les autorités. Car il faut le savoir, ce type de pêche est très réglementé. D’abord, elle n’est autorisée que sept mois par an, soit du 1er mars au 30 septembre. Pendant la saison de fermeture, qui dure cinq mois, les pêcheurs ont droit à une indemnité équivalant à la Bad Weather Allowance, soit de Rs 575 par jour. Les week-ends et jours fériés ne sont pas rémunérés.
Pendant la période de fermeture, les sennes sont gardées sous scellé dans les Fisheries Posts. Chaque pêcherie a droit à 500 mètres de sennes. Pour s’en procurer, il faut ramener les anciennes sennes abîmées au bureau des Pêcheries. La pêcherie aura alors droit à un Voucher pour aller prendre de nouvelles sennes chez le fournisseur agréé.
Patrick Naiken en explique les raisons : « étant donné que c’est une technique de pêche contrôlée, c’est le ministère de la Pêche qui gère l’utilisation des sennes. Il y a des spécifications pour les mailles qu’il faut respecter et, ensuite, seuls ceux qui ont un permis pour ce type de pêche y ont droit. » Comprenez donc par là qu’un pêcheur ne peut fabriquer ses propres sennes. Si les gardes-pêche attrapent quelqu’un avec des sennes non-conformes aux règlements ou si quelqu’un utilise des sennes pour pêcher en dehors de la saison autorisée, c’est un délit punissable par la loi. D’ailleurs, les Fisheries Protection Officers procèdent régulièrement à des exercices de contrôle en mer. Les sennes saisies sont ensuite détruites à Mare-Chicose.
Une question de technique
Il existe deux types de sennes : celle communément appelé grande senne, qui fait 500 mètres – elle inclut généralement un autre type de filet, connu comme lasenn kanar, pour attraper des mulets – et le Gillnet. Chaque senne a sa spécificité. La grande senne est utilisée pour pêcher pendant la journée, alors que le Gillnet est utilisé la nuit. « Généralement, nous posons le filet la nuit et nous le récupérons le matin », dit-il.
La pêche à la senne est aussi une question de technique. D’abord, il faut savoir surveiller la marée, car tout est organisé en fonction de la marée. Ensuite, il faut savoir où jeter sa senne, comme encercler le poisson et relever la senne sans perdre ses prises. Voilà pourquoi la pêche à la senne est tout un folklore.
Pour attraper des mulets, c’est encore tout un cérémonial. Lasennn kanar est un filet retenu par des morceaux de bambous, ce qui lui permet de flotter. Une fois qu’elle est posée en mer, les pêcheurs se lancent dans une ronde et frappent leurs pirogues avec des morceaux de bois. Les mulets bondissent alors de l’eau pour atterrir dans la senne. À Maurice, une senne horizontale est utilisée, mais à Rodrigues, elle est verticale.
Toutefois, actuellement, les pêcheries se retrouvent avec un manque de main-d’œuvre qualifiée pour ce type de pêche, car les autorités n’octroient plus de carte pour la pêche à la senne. Généralement, les pêcheries font appel à leurs camarades qui pratiquent la pêche au casier, par exemple, pour les épauler.
Quant à Patrick Naiken, il n’envisage pas de se recycler dans un autre type de pêche, en dépit des difficultés. Le jour de l’ouverture de la pêche à la senne, le ministre de la Pêche, Sudheer Maudhoo, a évoqué la possibilité d’amender la loi afin de pouvoir pratiquer cette technique hors du lagon. Mais le pêcheur de Mahébourg se dit sceptique à ce sujet. « La pêche hors du lagon n’est pas adaptée à tous. Surtout dans notre région du sud-est, où la mer est très houleuse. Peut-être pour des régions plus calmes, comme dans l’ouest, cela peut marcher, mais ici, je vois difficilement les pêcheurs pratiquer la pêche hors lagon, surtout en hiver », affirme-t-il.
Chaque jour, au débarcadère de Mahébourg, dépendant des heures de la marée, à l’arrière de la Maison des Pêcheurs, il y a une ambiance animation à l’arrivée des pirogues. Banians, mais aussi membres du public, viennent ainsi faire leur choix pour leur menu du soir, profitant ainsi de la disponibilité du poisson frais en cette saison. Mulet, bien sûr, mais aussi capitaine, gueule pavé et autre corne font partie des prises quotidiennes.