Gérard Mongelard, Délégué épiscopal pour la Justice Sociale — « Tout le monde, sans exception, doit se sentir concerné par la question de la pauvreté »

En marge de la table ronde consacrée à la question de « la pauvreté aujourd’hui en 2025 », Le Mauricien a rencontré le Père Gérard Mongelard, délégué épiscopal pour la justice sociale. Il estime qu’il existe une grande pauvreté matérielle et sociale au sein de la population mauricienne, qui reste malheureusement cachée.

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Le diocèse de Port-Louis organise ce samedi une table ronde sur le thème « La pauvreté aujourd’hui en 2025 ». Pourquoi cette réflexion est-elle organisée maintenant ?

En fait, cette réflexion a débuté sous l’égide du Cardinal Piat, autour des questions de la pauvreté, de la drogue et du logement. Avec l’arrivée de Mgr Durhône, nous avons poursuivi cette réflexion. Après plusieurs étapes, nous avons décidé d’organiser des assises sur la pauvreté. Cependant, l’exercice qui débute ce samedi ne portera pas encore ce nom. Nous aurons une première rencontre le 24 mai prochain, de 9h30 à 14h, au Collège Lorette de Rose-Hill, sous le thème « La pauvreté aujourd’hui en 2025 ».

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Que signifie le terme « pauvreté » à votre avis ?

La pauvreté ne se résume pas à la privation de nourriture. Même un roi peut vivre dans une grande pauvreté. Elle concerne notamment les enfants, surtout ceux dont les parents sont séparés et qui se sentent complètement perdus. Autrefois, nous accueillions principalement des adultes, mais aujourd’hui, nous accueillons aussi des enfants qui vivent la tristesse de voir leurs parents se déchirer. Ils n’ont pas envie d’aller à l’école. Je connais des mères dont un enfant est tombé dans la drogue, et qui sont contraintes de quitter leur foyer. Cela vous montre qu’un enfant toxicomane peut créer une véritable frayeur dans son entourage. Durant cette première journée de samedi, nous voulons écouter le cri des pauvres. Notre démarche s’étendra sur plusieurs étapes, sur une période de quatre à cinq mois. Toutes ces rencontres déboucheront sur les assises de la pauvreté.

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Qui est invité à cette table ronde ?

En principe, tout le monde. Cependant, la salle du Collège Lorette de Rose-Hill ne dispose que de 500 places. Nous avons invité les personnes directement concernées qui prendront la parole, ainsi que des membres. Des représentants du gouvernement seront également présents. Nous avons convié diverses ONG engagées dans ce domaine. Je précise que les sessions de travail ne se limitent pas aux organisations de l’Église, mais sont ouvertes aux organisations nationales de toutes les religions. D’autres sessions sont prévues pour poursuivre cette écoute.

Nous commençons le 24 mai. Dans le cadre de l’année jubilaire, quels sont les prochains rendez-vous ?

Dans le cadre de l’année jubilaire, nous aurons le jubilé des détenus en juillet, qui se penchera sur les problèmes affectant les prisonniers. En septembre, à l’occasion de la fête du Père Laval, nous aurons le jubilé des pauvres. En octobre, nous aurons le jubilé contre la violence à la paroisse Sainte-Hélène à Curepipe Road. Toujours durant le mois d’octobre, nous célébrerons la Journée mondiale du refus de la misère. Nous terminerons le 17 novembre avec la Journée internationale des pauvres. C’est à cette occasion que nous organiserons les assises de la pauvreté. Sur la base de tout ce que nous aurons entendu tout au long de l’année, nous dégagerons à cette occasion la voie à suivre.

Donc, malgré tous les développements qu’a connus Maurice, la misère n’a pas reculé ?

Des Mauriciens vivant en Australie, en visite à Maurice récemment, m’ont fait comprendre que l’impression qui se dégage là-bas est qu’il n’y a presque plus de pauvres à Maurice. Allez voir comment vivent les gens dans les périphéries de Port-Louis, allez voir comment les gens ont vécu pendant 25 à 30 ans à Bambous avant d’être relogés récemment. À Rivière-Noire, on n’a jamais construit de maisons de la NHDC. Il y a une grande pauvreté matérielle dans le pays, mais elle est cachée.

Quelle est la racine de ce problème ?

Il faut remonter dans l’histoire. Après l’abolition de l’esclavage, les esclaves libérés se sont sentis rejetés. On les accusait de ne pas aimer le travail de la terre, de ne pas faire suffisamment d’efforts et d’être paresseux. Ils ont été frappés d’une forme de stigmatisation. Cela s’est poursuivi de génération en génération. Il faut reconnaître qu’aucun gouvernement, jusqu’à aujourd’hui, n’a eu une grande attention pour le logement social. Aujourd’hui, quelque 50 000 personnes sont à la recherche d’un logement. Ce chiffre continue d’augmenter. Il est vrai qu’il n’y a pas suffisamment de terrain pour s’engager dans la construction, et qu’il faut s’orienter vers la construction verticale. Ces personnes ont besoin d’un accompagnement. Pendant 20, 25, 30 ans, elles ont vécu dans des poches de pauvreté et sont moralement atteintes. Aujourd’hui, avec la promiscuité, la drogue et les abus, il faut les accompagner pour leur redonner confiance en elles.

Que faut-il faire ?

Il faut se mettre à leur écoute, à l’écoute des pauvres. À partir de leur cri, nous tenterons de comprendre leurs besoins, dans le respect de leur dignité. Lançons l’exercice, et l’Esprit Saint nous guidera.

L’éducation fait-elle partie du programme ?

Nous prendrons tout en considération. Par exemple, à La Valette, le bus ne dessert la région que deux fois par jour. Souvent, les enfants ne vont pas à l’école faute d’un moyen de transport adéquat. Or, lorsque ces enfants ratent l’école, cela a un impact sur la famille. Ils connaîtront la même situation que leurs parents. La pauvreté engendre la pauvreté. Ensuite, il y a la drogue. Je vous invite à venir participer à un week-end SEL (Solidarité, Épanouissement et Libération). Vous entendrez ces mères dont les enfants sont tombés dans la drogue. Vous entendrez les problèmes que les mères, les pères, les frères et sœurs rencontrent avec la drogue. C’est à pleurer. La drogue est partout et touche toutes les communautés. Comme on dit en créole : « Tou vis ena so tournvis. Me ladrog pa ankor trouv so tournvis ». Je ne sais pas jusqu’où cela ira, mais pour le moment, la drogue détruit nos enfants et nos familles. C’est effrayant.

Le gouvernement vient de créer la National Agency for Drug Control. Participez-vous à ses travaux ?

Nous avons nos représentants, mais on ne peut pas être partout. Nous avons également un certain nombre de cellules pour l’accompagnement, mais la question que beaucoup de personnes se posent est la suivante : la police arrête souvent les voitures pour des contrôles de routine, mais non loin de là, il y a un point de drogue. Pourquoi n’y entre-t-elle pas ? Il doit y avoir une raison à cela. Pourquoi ? La question reste ouverte.

Heureusement, nous avons beaucoup de « success stories ». On ne peut pas les quantifier. Mais si vous prenez une personne et que vous arrivez à lui faire comprendre qu’elle a une dignité et qu’elle peut effectuer un travail constructif comme le fait Caritas, si on arrive à lui trouver un emploi et à lui faire comprendre que ses enfants peuvent être placés dans les centres d’éveil de Caritas, on peut aboutir à des résultats positifs. Nous souhaitons que d’autres initiatives dans ce sens puissent sortir de la rencontre de samedi et des rencontres ultérieures. C’est la raison pour laquelle nous voulons les écouter et leur demander les solutions qu’ils proposent.

Nous avons assisté dimanche à la cérémonie « candlelight » à la mémoire des victimes du VIH. Est-ce que les personnes atteintes du SIDA font partie des pauvres dont vous parlez ?

Tout à fait, car souvent, elles sont victimes de stigmatisation. Je sors du sujet pour vous parler de ce que m’a raconté une mère récemment. Son enfant, après avoir commis un vol mineur, a été condamné à un mois de prison. Il est ressorti avec le VIH. Ce qui s’est passé en prison, Dieu seul le sait. C’est une situation révoltante.

Que pensez-vous du travail abattu par la National Empowerment Foundation (NEF) ?

J’ai le sentiment que la NEF est dépassée. Beaucoup de directeurs ont transité à la tête de cette fondation. Je ne comprends pas ce que représente la NEF. Peut-être qu’elle a fait du bon travail, mais nous avons déjà rencontré un directeur pour résoudre un problème de logement et l’avons trouvé très indécis. Je suis content de voir que pour le poste de président de la NEF, un appel à candidatures a été lancé afin de s’assurer d’avoir « the right person at the right place ». C’est cela le changement.

La réduction de la pauvreté fait l’objet de discussions depuis longtemps. On a même vu une distribution d’allocations qui devait déboucher sur l’élimination de la pauvreté. Qu’en pensez-vous ?

À quoi servent les allocations sans planification ? Cela peut devenir une forme d’assistanat. Les bénéficiaires peuvent se dire que maintenant qu’ils ont obtenu une allocation, pourquoi devraient-ils travailler ?

Donc, malgré le développement, la fracture sociale continue d’exister…

Malheureusement oui. C’est pourquoi je suis très content que le nouveau Pape ait pris le nom de Léon XIV. Lorsque j’ai entendu ce nom, cela m’a immédiatement interpellé. Cela m’a renvoyé à Léon XIII, qui a été le premier pape à publier en 1891 une encyclique sur la dignité humaine. C’était l’époque de la révolution industrielle. Il avait dénoncé le fait qu’un petit groupe s’enrichissait sur le dos d’une majorité de travailleurs qui vivait dans l’indigence. La première déclaration du Pape Léon XIV s’inscrivait dans le même ton. Il a fait clairement comprendre qu’il empruntera la même voie, c’est-à-dire la dignité humaine, la défense des travailleurs, la pauvreté et la nécessité d’agir avec les autres. Je suis convaincu qu’il consolidera ce qu’a fait le Pape François. Il a été au Pérou pendant plus de 20 ans. Il a travaillé avec des personnes vivant dans l’extrême pauvreté. Il a fait des kilomètres pour rencontrer les pauvres. C’est quelqu’un qui connaît la réalité du terrain.

À votre avis, le secteur privé s’intéresse-t-il suffisamment à cette question de la pauvreté ?

Je dois dire que dans tous les combats que nous avons menés jusqu’à présent, que ce soit en faveur du logement social, etc., certaines compagnies privées nous ont beaucoup aidés. Comme vous le savez, il n’est pas facile de faire face à des situations de plus en plus difficiles. Il n’est pas facile d’aider financièrement ceux qui sont dans le besoin. Il faut apprécier le fait qu’il y a aussi une ligne de communication avec les autorités concernées. Pour les logements, nous avons eu des séances de travail avec le directeur de la NHDC qui nous a beaucoup soutenus. Il y a encore beaucoup à faire.

Avez-vous une idée de l’agenda de la journée de travail de samedi ?

La journée commencera par une déclaration de Marie Michèle Étienne. Les détenus nous aideront à prier. J’expliquerai en deux mots l’importance de la session de travail. Ensuite, nous écouterons les participants.

Qui sera présent samedi ?

Il y aura l’ATD Quart Monde, le Centre de solidarité pour une nouvelle vie, des toxicomanes qui souhaitent intervenir, des associations engagées dans l’alphabétisation, celles engagées dans les services touchant au logement, la Case à Lire, les détenus, entre autres.

Finalement, quel message souhaiteriez-vous transmettre ?

Je voudrais dire que la pauvreté touche tout le monde. Chacun doit se sentir concerné par la question de la pauvreté. Nous parlons d’une Église missionnaire, tout le monde, sans exception, doit se sentir concerné par la question de la pauvreté. Il faut avoir une Église qui va vers les périphéries afin de comprendre la misère des personnes.

Jean Marc Poché

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