C’est la fin des vacances, comme le chante Henri Salvador. Jeudi matin, des milliers d’enfants mauriciens traîneront des pieds avant de regagner diligemment leur salle de classe. Mais qui dit rentrée scolaire, dit aussi achats. Entre les manuels scolaires, les fournitures, les nouveaux uniformes ou ceux de rechange et les chaussures neuves, c’est surtout la bourse des parents qui a pris a sale coup. Nous étions, hier, dans la capitale pour nous enquérir. Reportage.
Ce n’est pas la chaleur caniculaire de ces derniers jours qui aura fait peur aux parents bien décidés à compléter les derniers achats avant la grande rentrée. Hier, les magasins de fournitures scolaires étaient remplis. Si beaucoup ont profité de leur boni de fin d’année pour acheter les principaux items, d’autres ont préféré attendre les festivités passer pour s’attaquer aux fournitures scolaires. Comme d’habitude, devant les libraires, il y a foule. Devant les librairies Bonanza et Bourbon, il y a railing. Les parents, pour certains, accompagnés de leurs enfants, attendent patiemment leur tour. Par cette chaleur, pour beaucoup la liste de manuels scolaires fait guise d’éventail.
Pas de concession sur l’éducation
Si comme les années précédentes les ventes ont largement diminué pour les libraires, du fait que l’État fournit lui-même les manuels aux étudiants de petites classes, ils arrivent à remplir leurs caisses, l’on nous indique que les étudiants de grandes classes ont toujours des livres à acheter, dont des livres de littérature, entre autres. « Depuis quelque temps, je choisis de prendre des manuels scolaires de seconde main, ce qui nous revient à beaucoup moins cher, mais il y a aussi de nouveaux livres à acheter, ou encore de nouvelles éditions. Ceux-là, on n’a pas le choix et on doit les acheter », explique Sandra, mère de famille habitant la capitale.
Après les manuels scolaires, place aux uniformes. Devant les magasins Jinchi, la file d’attente s’allonge, plus les heures passent. À l’intérieur, les employés s’affairent à trouver la bonne couleur de chemise ou la bonne taille, tandis que les parents eux marchandent pour le meilleur prix. « C’est la période où nous avons le plus de clients », nous confie une des employées entre deux essayages. Ravi Venkatasamy, des magasins Bonkoutir Uniforms, spécialisés en uniformes scolaires ainsi qu’en équipements scolaires depuis 1968, sis à Flacq et à Curepipe, nous indique pour sa part que la situation est plutôt stable cette année. « Les parents dépensent toujours autant qu’avant. L’éducation demeure une priorité pour de nombreuses familles mauriciennes et elles ne font pas de concessions à ce sujet », dit-il.
Ravi Venkatasamy nous confie par ailleurs que dès le 3 janvier, les clients ont commencé leurs achats d’uniformes. « Nous avons commencé à avoir nos commandes en décembre et en début d’année, nous avons beaucoup de parents qui viennent sur place », dit-il. Distributeur et fabricant d’uniformes, il nous explique que ces dernières années, beaucoup d’établissements ont décidé de fournir eux-mêmes leurs uniformes. « Nous avons reçu beaucoup de commandes en ce sens, et nous suivons la tendance avec des commandes de tracksuits, de polo-shirts, entre autres. »
Après les items obligatoires, place aux fournitures scolaires et aux cartables. Les grands magasins branchés de l’île ont eu le mot et beaucoup se sont mis en mode back to school.
Branchés pour aller à l’école
Pour un cartable griffé et branché, l’on doit compter un minimum de Rs 2 000, pour la trousse un peu moins de Rs 1 000 et sans compter les gourdes isothermes et autres babioles. Idem pour les chaussures ! En 2024, l’on peut facilement débourser entre Rs 3 000 à Rs 5 000 pour une bonne paire de baskets. Fort heureusement, il existe des alternatives moins coûteuses, dont les petits magasins pris d’assaut ce week-end, ainsi que les marchands à la sauvette qui vendent des modèles de chaussures identiques aux originales, mais à moitié prix. La chasse aux bonnes affaires, c’est tout un art…
Quant aux fournitures scolaires, notamment les cahiers, les stylos, les cahiers de dessin, les T-Square et autres, la note est toujours aussi salée qu’auparavant, voire plus. « Ce sont surtout les élèves de dessin, de couture, de design qui dépensent le plus. Ils ont beaucoup de matériaux à acheter », laisse échapper une vendeuse de magasin.
QUESTIONS À — Yashvin Hassamal (Éditions de l’océan Indien) : « Le budget de l’éducation d’un parent reste en général conséquent »
À quelques jours de la grande rentrée, Yashvin Hassamal, directeur des Éditions de l’océan Indien et de Hobby World, nous livre ses premières observations du secteur. Dans cet entretien, il concède que le budget dédié à l’éducation en général reste conséquent pour une famille mauricienne moyenne et évoque son souhait de voir une population qui lirait davantage de livres, non pas seulement pour réussir aux examens, mais aussi pour se cultiver et se développer.
Fort de votre expérience dans le secteur, un Mauricien peut dépenser combien en moyenne pour une grande rentrée comme celle de janvier ?
— Cela dépend de la classe de l’enfant. Je pense aussi que c’est aussi important de considérer les dépenses sur l’éducation en général que de se concentrer sur une période. En éducation primaire, c’est principalement les sacs, chaussures, uniformes et quelques fournitures. Les cahiers d’exercices sont achetés durant l’année. Le transport scolaire est probablement la plus grosse dépense pour ces parents durant l’année. Au Lower Secondary, c’est toujours les chaussures, uniformes, matériels de sport, matériel d’arts et les livres supplémentaires pour commencer l’année, et il faut compter au minimum Rs 7 000. Pour ceux qui vont faire leur entrée en Upper Secondary, je pense qu’il faudrait avoir un budget minimum de Rs 10 000 à Rs 12 000 requis en plus des dépenses conséquentes pour les leçons particulières durant toute l’année. En ce qu’il s’agit des livres, cela peut tourner dans une fourchette moyenne de Rs 5 000, car il y a plusieurs livres importés des éditeurs anglais qui coûtent presque deux fois le prix des livres que nous publions.
Avez-vous observé une hausse ou une baisse dans les ventes (manuels scolaires et fournitures scolaires) à votre niveau ?
— Il est encore tôt pour parler de hausse ou de baisse pour cette saison, car nous sommes toujours en pleine vente. En général, la tendance est à la baisse à cause du nombre d’élèves qui décroît. Pour vous donner une perspective, il y avait plus de 30 000 candidats qui prenaient part aux examens du CPE/PSAC quelques années de cela comparé à 17 000 maintenant, et cette tendance continue de baisser. Avec 15 000 qui prennent part aux examens de la 9e année, il y a moins de 7 500 qui auront les 5 credits requis au School Certificate pour monter en HSC. Et les chiffres diminuent chaque année, non seulement à cause du taux de naissance à la baisse, mais aussi car de plus en plus se tournent vers les écoles privées payantes.
Même si la majorité de manuels scolaires sont distribués dans les écoles, le budget reste assez conséquent pour un parent moyen. Quid des livres de seconde main ? Avez-vous des demandes en ce sens ?
— Encore une fois, la grosse dépense ce n’est pas les livres. Cela aurait été mieux pour le parent s’il payait des livres sans avoir besoin de débourser pendant toute l’année sur des leçons particulières. Ce qui grandit d’ailleurs l’écart entre ceux qui peuvent se payer et qui ne peuvent pas payer — c’est un système inégal. Aussi, si les parents payaient pour les livres, l’enfant aurait eu plus d’envie à les utiliser. En donnant gratuitement, certains élèves mettent les livres de côté. Les livres gratuits ne veulent pas dire l’éducation gratuite. Et même si les livres sont distribués dans les écoles, certains ne sont pas de niveau — donc les parents ont toujours besoin de débourser sur d’autres livres. Donc oui, le budget de l’éducation pour un parent reste en général conséquent. Quant au marché du seconde main, oui, il existe toujours, mais il y a très peu de librairies qui s’y spécialisent de nos jours. Ici aussi la tendance est à la baisse, et avec les livres distribués dans les écoles, et malheureusement, le nombre va continuer à baisser si la situation ne s’améliore pas.
En dehors de la liste imposée de bouquins par les établissements, les parents achètent-ils d’autres manuels pédagogiques supplémentaires, tels des encyclopédies ou encore des livres de poche à lire pour leurs enfants ?
— Des manuels supplémentaires oui, parmi les fichiers d’exercices. La vente des dictionnaires et des encyclopédies ont chuté drastiquement avec l’avènement de la technologie. Plusieurs parents achètent des livres pour leurs enfants, mais ce n’est malheureusement pas la majorité.
Vous, en tant que libraire, est-ce que ce manque d’intérêt vous interpelle-t-il ?
— Avant tout, j’ai une grande admiration pour les parents qui investissent à cultiver leurs enfants, et aussi les enfants qui par eux-mêmes ont cette soif de connaissance. Oui, c’est un grand problème que la majorité des personnes à Maurice ne lisent pas de bouquins. Avoir un pays lettré ne veut pas dire que nous avons une population éduquée ou cultivée. J’aurais bien aimé qu’on bouge dans cette direction. Que nos jeunes connaissent pas notre vraie histoire nous interpelle beaucoup. Notre système éducatif ne forme pas des citoyens pour faire face au monde, et si seulement les jeunes savaient la magie des livres, notre pays serait à un autre stade de son évolution.