Ils s’appellent Bruno, Asraf, Oomah, Rajesh, Neetu…. Et d’autres encore. Ils exerçaient à Jeetoo, Candos, SSRN, ENT, ou dans le privé, un peu partout autour de l’île en tant que soignants. Ils étaient médecin généraliste, pédiatre, aide-soignant, infirmier, health care assistant, urgentiste ou pharmacien. En première ligne face à la pandémie, ces soignants y ont laissé leur vie, comme des centaines d’autres Mauriciens. Le Covid-19 les a emportés alors qu’ils exerçaient leur métier, leur mission.
Avec émotion, leurs proches dressent le portrait de ces femmes et ces hommes, des héros du quotidien, emportés par le coronavirus alors qu’ils soignaient les autres. Dans la bouche des proches que Week-End a approchés pour ces témoignages, quelques mots reviennent souvent pour décrire ces frontliners : « humains », « généreux », « bienveillants », « rassurants » « attentionnés »… Et surtout dévoués à leur travail. Et c’est malheureusement sur ce front de bataille qu’ils ont succombé. Voici le témoignage de quelques-uns de leurs proches pour eux.
Populaire au-delà de son quartier, que ce soit à l’hôpital ou dans le privé, le Dr Asraf Pooloo, pédiatre, était « dévoué à ses patients ». « « Il était plus qu’un médecin », dit son fils Zakaria, 19 ans. Plus que le métier en lui-même, c’est « le lien social qu’il pouvait tisser avec ses patients qui l’animait », avance le jeune homme, qui a pu l’observer durant ces longues années autant à la maison que dans son cabinet de consultation privée jouxtée son domicile à Plaine Verte. « Il recevait des patients tout le temps. Il n’y avait pas d’heure où il ne travaillait pas. Minuit, une heure du matin, dimounn rest tap laport ek papa zamé pa ti refusé pou aider. Et souvent meme, li pa ti pran kas », poursuit-il.
Ce dévouement pour les autres, Asraf Pooloo l’a développé dès son plus jeune âge. Orphelin alors qu’il n’avait que trois ans, il n’a pas connu une enfance facile, mais sa mère a tout fait pour qu’il puisse réussir ses études. C’est ainsi qu’à sa sortie du collège, il a travaillé comme enseignant pendant quatre ans avant d’obtenir une bourse d’études en Algérie. Toutefois, la vie n’est pas facile pour le jeune homme qui se retrouve, en dépit de sa bourse, à dormir dans les gares, faute de moyens financiers. Faisant de petits boulots ici et là, il parvient à poursuivre ses études de médecine en Angleterre et terminera sa spécialisation en pédiatrie, à Paris.
« Kan al laba pena retourne »
Père de deux filles et d’un fils, Asraf Pooloo était un homme dévoué à sa famille. « Il s’est toujours assuré que nous ne manquions de rien, car lui a connu la misère et ne voulait pas que nous subissions le même sort. Il a fait la fierté de sa mère également », dit Zacharia, qui ne tarit pas d’éloges sur ce père parti trop tôt. Hospitalisé en réanimation, le pédiatre est décédé le 30 novembre à l’âge de 64 ans. Une dure réalité à supporter, mais que la famille accepte malgré tout, sachant que la bonne âme d’Asraf Pooloo « est sans aucun doute en paix. » Car le Dr Pooloo était une bonne personne qui pensait à son prochain avant lui. « C’est la raison pour laquelle il a choisi de travailler avec les enfants. Pour aider les parents », dit son fils, remerciant toutes ces personnes qui n’arrêtent pas ces derniers jours de témoigner leurs sympathies à la famille endeuillée.
Son départ subit a choqué nombre de personnes. Et plus particulièrement sa famille. Pour cause, lorsque le Dr Asraf Poolooo, qui travaillait à l’hôpital Jeetoo, a été testé positif au Covid, il ne s’en est pas inquiété. C’était à la mi-novembre. S’il était en auto-isolement à la maison, Asraf Pooloo n’avait pas de signes de Covid, mis à part un peu de fatigue. Les premiers symptômes du Covid-19 sont apparus une semaine après. « Il a commencé à avoir des problèmes respiratoires », se souvient son fils. Ne voyant pas d’amélioration, ses proches préfèrent le conduire à l’hôpital ENT, en dépit des paroles du pédiatre qui leur disait : « Kan al laba pena retourne. » Il ne croyait pas si bien dire, car deux jours après, le Dr Asraf Pooloo s’éteignait. La veille de son décès, le 30 novembre dernier, il avait conversé au téléphone quelques minutes avec un de ses amis. Les derniers mots qu’il a prononcés étaient « prends soin de mes trois enfants », dit Zacharia, bouleversé, mais confiant que son père se retrouve heureux au paradis.
Ce que la famille ne comprend pas, c’est comment d’autres personnes ont appris la nouvelle du décès du Dr Asraf Pooloo avant elle. « Ma sœur qui est médecin également actuellement en apprentissage à l’hôpital a reçu les condoléances de nombres de personnes, alors que nous ne savions pas encore que mon père était décédé », dit son fils. Si la famille, choquée, n’est toutefois pas amère, elle souhaiterait que les autorités rendent hommage à ces frontliners qui sont en train de perdre leur vie pour les autres. « Aujourd’hui, nous entendons de plus en plus de soignants qui décèdent. Ces personnes font des sacrifices, et font passer leur métier avant eux, avant leur famille. Rendons leur grâce. Disons-leur merci », dit le jeune homme.
Rajesh Girwar, le sourire réconfortant
Au service des urgences, ses anciens collègues évoquent, le cœur lourd, un homme « très aimé », « consciencieux », « humain et empathique » et surtout totalement dévoué à son métier. Ils parlent là de Rajesh Girwar, ambulancier, positif au Covid-19, emporté mercredi matin à l’hôpital Dr Bruno Cheong à Flacq. L’habitant de Bramsthan a été testé positif au Covid fin novembre. Si au départ, il n’avait pas de douleurs handicapantes, la semaine dernière, son taux d’oxygène a baissé. Sur les conseils des professionnels de santé, il a été conduit à l’hôpital Bruno Cheong pour lequel il travaillait depuis quelques années, après avoir gravi les échelons, passant d’attendant à ambulancier.
« Mais il était déjà trop tard, car son état avait empiré », confie un de ses collègues, qui évoque le grand vide que la disparition subite de Rajesh Girwar laisse au sein de l’équipe des ambulanciers de l’établissement de santé. Car Rajesh Girwar était un homme volontaire, très gentil et très professionnel. Une personne d’un dévouement et d’une patience infinis. « Pendant des années, il a transporté des gens pour sauver leur vie, mais il n’a pu sauver la sienne », regrettent ses collègues, qui retiennent de lui « ce sourire réconfortant » qu’il avait pour tous. Volontaire et engagé, ce professionnel de santé avait toujours un mot gentil pour les patients aussi bien que pour leurs proches.
Soucieux de défendre les droits de sa profession, il était membre du syndicat des transports des hôpitaux. Krishnadeo Boodia, le président de la Ministry of Health Transport Workers Union, salue pour sa part, un « ambulancier au grand cœur ». « C’était quelqu’un de très estimé des patients, surtout les dialysés qu’il transportait souvent, et dévoué comme pas possible », dit Krishnadeo Boodia, qui se désole de ces décès, dont le nombre va croissant, parmi le personnel de santé. « Ces derniers temps, si le nombre de décès semble se réduire, nous constatons que beaucoup parmi le personnel soignant meurent alors qu’ils étaient au combat. Cela, car en dépit de toutes les précautions que nous prenons tous, tous les protocoles suivis, incluant la triple vaccination, nous sommes vulnérables car nous subissons une pression de travail accrue », dit le syndicaliste, citant en exemple ceux qui, comme Oomah Lallchand, ou Rajesh Girwar, et d’autres médecins, malgré la fatigue, ont continué à travailler pour sauver des vies en y laissant la leur.
Le Dr Sanjay Goorah, « un Mahatma »
« Pour Sanjay, c’est trop tard, mais pour les autres, il faut revoir le traitement à domicile des patients positifs au Covid. Il faut faire comprendre quand il faut se rendre à l’hôpital au plus vite et faire savoir quels médicaments sont nécessaires et peuvent aider à lutter contre le virus et l’inflammation des poumons ». C’est le cri de coeur de la Dr Sharmila Seetulsingh-Goorah, Associate Professor à l’université de Maurice, qui a perdu son mari, le Dr Sanjay Goorah, médecin généraliste, affecté au Floreal Community Health Centre, mercredi dernier.
Un choc pour sa famille, dont son unique fils, Advik, mais aussi pour nombre de ses collègues et patients. Surtout que les Goorah étaient très méticuleux quant aux précautions à prendre pur éviter de contracter le virus. « On désinfectait même les semelles de chaussures », confie Sharmila Goorah. Malheureusement, cela n’a pas suffi, car à la mi-novembre, mari et femme ont été testés positifs. « J’ai été testée positive le 16 novembre et Sanjay m’a mise en isolement immédiatement. Il s’est donné corps et âme pour me nourrir et me soigner en dépit de la fatigue et des courbatures qu’il ressentait », raconte son épouse.
Quatre jours plus tard, ce fut au tour du Dr Goorah d’être positif au Covid et au tour de son fils de prendre soin des parents. Dès qu’elle a senti ses forces revenir, Sharmila a repris les rênes pour soigner son mari et éviter que son fils unique ne contracte le Covid. Toutefois, le niveau d’oxygène du médecin oscillait quotidiennement. « Ça baissait puis remontait, mais pas d’une façon alarmante selon Sanjay », dit sa femme, confiant que le Dr Goorah se soignait à base d’un antiviral, du paracétamol et des tisanes naturelles qu’elle lui préparait.
Si le médecin avait deux stents au cœur depuis 2016, il était en parfaite santé depuis et ne prenait aucun médicament sauf pour la prévention, souligne son épouse qui regrette amèrement cette disparition subite. Le jeudi 25 matin, le médecin a commencé se à sentir mal et n’arrivait pas à marcher sans être essoufflé, confie sa femme, indiquant que la saturation d’oxygène était très basse, son visage sombre et ses lèvres pâles. C’est ainsi que le SAMU a été dépêché et le médecin conduit au Covid Ward de l’hôpital Victoria où il a séjourné jusqu’au 30 novembre. Cependant, souligne son épouse, son test PCR du 30 novembre était négatif.
Un brave soldat
Durant son hospitalisation à Candos, le Dr Goorah a souvent communiqué avec ses proches pour les réconforter et les rassurer que le personnel soignant s’occupait bien de lui, et qu’il avait besoin de full time oxygen support. « Il n’a pas compris pourquoi on voulait le transférer à l’hôpital ENT », dit son épouse. C’est quand son état s’est détérioré qu’il y a été admis, le 1er décembre, et a été intubé le lendemain. « Il m’a appelée pour me prévenir et c’était la dernière fois que j’entendais sa merveilleuse voix », dit Sharmila Seetulsingh-Goorah.
Malheureusement, le médecin qui avait sauvé tant de vies a succombé. Durement affectée par cette perte, son épouse, encore sous le choc, décrit une personne aimante, qui laisse une grand vide dans la vie de ceux qui l’ont côtoyé, et plus particulièrement son fils et sa femme. « Nous avons perdu notre trésor. Mon fils perd un père, un guide, un ami et un carrom and singing partner. Il était apprécié de tous, grands et petits. C’était un homme exceptionnel, charismatique, humble, bon et beau, passionné et dévoué à sa famille et à son travail », dit son épouse, qui décrit « un homme très à l’écoute, très apprécié, très demandé aussi ».
Le Dr Goorah était en effet un praticien respecté et apprécié. Après des études au collège Royal de Port-Louis, Sanjay Goorah s’était envolé pour l’Inde où il a étudié la médecine à l’Université de Kerala. Il a débuté sa carrière de médecin au sein du ministère de Santé en 1992, et a intégré l’hôpital Victoria. Il a aussi travaillé en Australie, au Royal Prince Alfred Hospital et au Sydney Children’s Hospital. Devenu médecin en santé publique (Community Physician) en 2007, il a travaillé dans plusieurs dispensaires à travers le pays avant d’être posté avec le Dr Fazil Khodaboccus aux headquarters du ministère de la Santé en 2010 en marge du développement de la Communicable Disease Control Unit pour laquelle, dit son épouse, il s’est totalement dévoué et où sa contribution a été énorme. « Il était physiquement un brave soldat sur le terrain pour lutter contre les épidémies comme la dengue et le chikungunya… », raconte-t-elle.
Ses derniers mots pour sa famille, qu’il a envoyés à sa femme à travers un sms sont : Love you both always. « On n’a pas pu lui dire un dernier au-revoir », regrette le Dr Sharmila Seetulsingh-Goorah, qui, durement éprouvée, remercie avec son fils toutes les personnes qui leur ont témoigné leurs sympathies et apporté leur soutien. « Il était vraiment un Mahatma, a great soul who loved and belonged to everyone », pleure-t-elle.
Oomah Lallchand, l’âme humanitaire
Elle était « la joie de vivre ». Celle que l’on surnommait « Oum », était « toujours là » pour rire et « remonter le moral » de ses proches, mais aussi de ses collègues et surtout des enfants de l’unité de pédiatrie de l’hôpital Bruno Cheong où elle travaillait comme Nursing Officier jusqu’à récemment. Il y a moins d’un mois, lors du mariage d’un proche, elle a insisté auprès de ses trois autres frères pour une photo de famille. « C’était comme si elle savait qu’elle s’en irait bientôt. Elle a beaucoup profité de ce mariage, nous faisant danser, rire. On garde de très beaux souvenirs de ces bons moments passés en famille », dit Rakesh Tetaree, qui n’arrive toujours pas à croire que sa sœur est décédée samedi dernier.
La quadragénaire, mariée et mère de deux jeunes enfants, âgés de 13 et 14 ans, dit-il, a été emportée en quelques jours par le coronavirus, dit-il. Les choses se sont passées très vite. Elle n’arrêtait pas de dire qu’elle étouffait et ses collègues ont tout fait pour la sauver. Malheureusement, la mauvaise nouvelle est tombée, dit-il, revenant sur cette semaine tragique. « Une semaine avant, elle est rentrée du travail et s’est dit fatiguée. Le lundi quand elle a repris le travail, comme c’est le protocole, elle a subi un test qui s’est révélé positif. Elle s’est alors mise en auto-isolement », raconte son frère. Si au départ, outre la fatigue, Oomah Lallchand n’avait pas de symptômes du Covid, le lundi soir, elle confie à ses proches qu’elle sent qu’elle étouffe, dit Rakesh.
Si bien que mardi, ses proches décident de la conduire à l’hôpital où son état s’est détérioré. Trois jours plus tard, elle a rendu l’âme. Pour ses proches, c’est sans doute à l’hôpital ENT où elle avait été récemment postée que l’infirmière, même si doublement vaccinée, a attrapé le virus. « Elle a refusé à trois reprises d’être mutée à ENT. Mais finalement, avec le système de rotation mis en place, elle n’avait plus le choix. C’était son tour. Et elle a fini par y rester », regrette son frère, qui ne tarit pas d’éloges sur « le rayon de soleil qu’était Oomah Lallchand, pour sa famille mais aussi pour ses collègues et ses patients.
« Dévouée pour son travail, proche de tout le monde et très attentionnée avec les enfants surtout, Oomah avait le cœur sur la main. Dans la localité, elle aidait tout le monde. A sak fwa dimounn malad, li donn zot konsey. Li ti enn ero », dit Rakesh Tetaree, qui souhaite lui aussi qu’un hommage national soit rendu à tous ces soignants qui sont en train d’y laisser leur vie.
À l’initiative des syndicats — « Nurse lives matter »
Dès lundi et pendant toute la semaine, les infirmiers arboreront des t-shirts blancs portant le slogan “Nurse lives matter”. L’objectif étant de sensibiliser le public, mais surtout rappeler aux autorités l’importance du personnel soignant auprès des malades du Covid, et plus particulièrement leurs conditions de travail. Cette démarche relève de la Nurses Union, qui participera également à une candlelight demain, à 18h, sur le parvis de la cathédrale Saint-Louis, en hommage à « ces soldats morts au front ».
Un lieu symbolique, situé en face du bureau du Pay Research Bureau (PRB), qui n’a pas accédé, souligne le syndicat, à la requête des infirmiers pour une Risk Allowance dans son dernier rapport. Qui plus est, une circulaire émise par le bureau du Secretary for Public Service informe que les frontliners testés positifs au Covid-19 auront à déduire de leurs sick leaves, local leaves ou vacation leaves le nombre de jours où ils se retrouvent en auto-isolement.
Rencontrant la presse, vendredi, le président de la NU, Nasser Essa, a invité les familles dont les proches sont décédés du Covid-19 à venir se recueillir et prier pour que les autres frontliners ne connaissent pas le même le sort. L’appel a aussi été lancé au Premier ministre, au ministre de la Santé, ou encore au directeur du PRB à venir sur place pour vivre la douleur des familles.
Une cagnotte pour les familles
Parallèlement, la Nursing Association, qui revendique également de meilleures conditions de travail pour les infirmiers, qui se retrouvent à travailler dans des services saturés, se mobilise pour rendre hommage à ceux qui ont laissé leur vie dans l’exercice de leur fonction. À ce titre, l’association compte organiser une cagnotte pour tous ces soignants qui ont succombé au Covid ces derniers jours. L’objectif étant de soutenir ces familles qui se retrouvent dans la détresse.