Inondations meurtrières 2013 – Allan Wright : “Nou tou nou leker finn kase… Une insupportable peine !”

-« Aucun gouvernement n’a assumé la responsabilité des morts causés ; en 56 ans d’indépendance, est-ce toute la considération que l’État a envers ses citoyens ? ” »
« Nous ne réclamons rien d’extraordinaire, pourtant : un peu d’égard, de la considération pour soulager notre peine, qui est insoutenable; insupportable. Chacune de ces familles a perdu femme, enfants, époux dans des circonstances inédites, c’est vrai. Mais aucun gouvernement jusqu’ici n’a accepté d’assumer ses responsabilités envers ces pertes humaines ! Samem tou konsiderasyon enn pei kapav ena pou so bann zanfan ? » fustige d’entrée de jeu Allan Wright.

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Onze ans déjà. Depuis le dramatique samedi noir qui a emporté 11 Mauriciens quand des pluies torrentielles s’abattirent sur Port-Louis : 152 mm d’eau en 90 minutes continues (voir plus loin). « Les autres familles et moi-même avions rapidement entamé les démarches légales pour poursuivre l’État pour la perte de nos êtres chers. L’affaire est toujours Ongoing. Il nous fallait des actions concrètes; des réponses. Mais ce que nous trouvons tous aberrant, c’est qu’aucun régime, aucun gouvernement n’a jamais daigné nous offrir une ouverture, une lueur au bout de ce tunnel qui semble sans fin. En 56 ans d’indépendance, est-ce tout ce qu’un pays peut faire pour soulager la peine des citoyens victimes d’un drame sans précédent ? » se demande Allan Wright.

Dans les Flash Floods meurtrières du 30 mars 2013, il perd à la fois, son épouse, Sylvia, et leur second fils, Jeffrey. Depuis, lui et Jason, son aîné, vivent une déchirure indicible : « L’ironie de la vie veut que ce samedi 30 mars soit également une veille de Pâques, exactement comme ce fut le cas en 2013. Ces 11 dernières années, Jason et moi avons perdu tout charme à fêter quelque fête que ce soit… Tout a un goût amer. Ki fete pou fete kan pena bann dimounn ki ou pli kontan lamem ? Kan zot lamor touzour pas dan lignorans, kan ou pa kapav fer zot dey…” » Il ajoute : « ce n’est pas que chez nous que c’est ainsi. Dans chacune des 10 autres familles, c’est la même souffrance, la même détresse… Personne ne peut Move On, franchir le cap, aller de l’avant…”

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“Gooroochand et Brinda morts de chagrin”

Allan Wright, un battant de nature, avoue pourtant : « Nou tou nou leker finn kase, sa 30 mars la. Cette déchirure ne nous quitte plus; elle est insupportable. » Le temps, imperturbable, passe. Mais pas sans dégâts. Il renchérit : « en onze ans, nous avons perdu deux parents des victimes. Il y a le papa de Keshav Ramdhari, Gooroochand, et la maman des frères Amrish et Trishul Teewary, Brinda. »

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Allan Wright ne mâche pas ses mots : « Ces deux parents sont morts de chagrin, c’est affligeant. La mort de leurs enfants les a terrassés… Et le fait de ne pas avoir de réponse, ni d’action concrète de la part des autorités pour assumer des responsabilités dans la perte de ces vies humaines, les a évidemment, accablés. Zot finn tap tou laport, rod repons. Pena. Zot leker finn telma kase dan fason ki zot finn perdi zot zanfan. Nous tous qui avons perdu les nôtres n’avons plus de goût à vivre… Le temps s’est arrêté pour nous tous depuis ce jour. Et chaque année, nous vivons avec le maigre espoir qu’enfin quelque chose de concret viendra, avec un gouvernement qui situera les responsabilités… Mais rien encore à l’horizon. »

Allan Wright souligne l’injustice d’être contraint de vivre sans réponses. « Nous n’avons pas perdu les nôtres dans un accident ou autre événement que l’on connaît. Oui, ce qui s’est passé est inédit. Mais ces personnes ne sont pas mortes comme ça. Il y a bien eu des défaillances, des manquements, des fautes humaines qui ont entraîné, causé la mort de ces personnes ! Be kot bann sekinn fane ? Kisannla ki pa’nn fer so travay kouma bizin ? Pourquoi n’y a-t-il pas eu de sanctions, de mesures prises, quand les autorités ont dit, plus jamais ça ? »

Allan Wright fait ressortir : « Peut-on imaginer pire pour des parents que d’enterrer ses enfants, son époux et épouse ? Des fils, des gagne-pains de la famille ? Et on nous condamne, depuis 11 ans, à survivre comme cela : otages de nos propres vies, sans aucun espoir. Est-ce juste ? »

Black Saturday

Comme Allan Wright, les Ramdhary perdent leur fils, Keshav, leur principal gagne-pain dans les Flash Floods dramatiques de mars 2013. Le couple Khoosye voit disparaître à tout jamais son unique fils, Praveen Kumar, dit Vikesh. Vinod Khoosye, le papa, a tiré un trait sur tous les projets qu’il entretenait pour Vikesh.

Brinda Teewary est également doublement accablée : ses deux fils, Amrish et Trishul, meurent dans l’épisode tragique. « Elle s’est retrouvée seule avec ses belles-filles et les petits-enfants à grandir… Elle a lutté, bravement, autant qu’elle a pu, pour leur assurer une vie décente. Mais le chagrin qu’il y avait dans son coeur a fini par avoir raison de son courage », ajoute Allan Wright. Brinda Teewary et la maman de Keshav Ramdhary sont soeurs.

Ce Black Saturday, Sylvia et Jeffrey Wright tenaient, comme à l’accoutumée, l’un des deux points de restauration se trouvant dans le tunnel Sud menant au Caudan Waterfront. Dans l’autre commerce, à l’autre extrémité, Amrish et Trishul Teewary, et Vikesh Khoosye, étaient venus rendre visite à leur cousin Keshav Ramdhary, le tenancier de la tabagie.
Quand les 152 mm de pluies s’abattent sur la capitale, ce tunnel est si vite envahi par les eaux montantes que ces six personnes n’ont pas le temps de fuir… Leurs corps seront retrouvés et extirpés une fois que les autorités avaient fait évacuer l’eau.

« Jason tremble encore quand il se souvient comment il a aidé à remonter les corps de sa maman et de son frère. Ses larmes coulent sans s’arrêter… Ou kone ki ete sa soufrans-la ? Aujourd’hui encore, pour nous deux, ces moments sont encore vifs et présents dans nos mémoires et nos coeurs. C’est comme si c’était hier… Comme nous, chacune de ces familles vit ce même calvaire », soutient Allan Wright.

Plaies béantes

Chez les Bobhany, le temps s’est également arrêté. Jenita, fille unique de l’employé de banque qu’était Rabindranath, et Santa, la veuve, se sont serré les coudes. La jeune femme s’est mariée mais, comme Jason Wright, regrette que ses deux parents n’étaient pas réunis pour ce grand moment.

Marie Hélène Henriette, soeur de Stevenson, tous deux originaires de Rodrigues, et qui habitent à Baie-du-Tombeau, est comme traumatisée. Elle avoue que dès que des grosses pluies tombent, elle tremble de peur et se met en quête de son mari, ses enfants et ses petits-enfants…

Sujatha qui a perdu son frère, Retnon Sithanen, et sa maman se sont réfugiées dans la prière. Véronique Lai, d’origine malgache, a perdu tous ses repères et a eu toutes les peines du monde pour subvenir, seule, aux besoins de leurs enfants…

« Le temps est passé, mais les plaies sont encore béantes. Nous vivons dans un néant permanent. Nous attendons des réponses, des actions. Quelques mesures ont été prises, cosmétiques. En janvier dernier, avec le passage du cyclone Belal et les pluies torrentielles qui l’accompagnaient, nous avons frôlé une nouvelle catastrophe », retient Allan Wright.
Ce samedi 30, autour de lui, les autres parents et proches des victimes déposeront, symboliquement des fleurs et leurs prières au pied d’une stèle érigée en mémoire de ces Mauriciens partis dans des circonstances tragiques. Leur humble requête : « que leur mort ne sombre pas dans l’oubli. Que des leçons soient tirées et que justice humaine soit faite. »

Flash Floods, flash back

Ce samedi 30 mars marque jour pour jour 11 ans depuis la terrible catastrophe des inondations de 2013 qui emportèrent 11 Mauriciens. Ironie de la vie, ce samedi 30 était également la veille de Pâques, comme cette année-là…

Sylvia Wright (46 ans) et son fils Jeffrey (18 ans), les frères Teewary, Amrish (24 ans) et Trishul, (19 ans), leur cousin, Keshav Ramdhary (29 ans), et un autre de leurs proches, Vikesh Khoosye (25 ans) périssent dans le tunnel Sud menant au Caudan Waterfront.

Vincent Lai Kin Wong Tat Chong (45 ans) et Rabindranath Bhobany (52 ans) ont, eux, trouvé la mort dans le parking souterrain du Harbour Front alors qu’ils tentaient de fuir à bord de leurs voitures, et que les eaux sont montées trop rapidement. Les corps de Stevenson Henriette (32 ans) et de Retnon Sithanen (36 ans) furent retrouvés dans le Ruisseau du Pouce, emportés par les flots déchainés. La onzième victime est Christabel Moorghen, une habitante de Canal Dayot. Choquée par la montée des eaux, une crise cardiaque la fit pousser son dernier souffle.

152 mm de pluies s’abattirent sur Port-Louis et durèrent 90 minutes. L’un des premiers épisodes de flash flood que le pays découvrait et vivait. Définitivement l’épisode le plus meurtrier, également. En ces quelques minutes où des pluies torrentielles – phénomène jusque-là méconnu des Mauriciens – s’abattirent sur la capitale, la Place d’Armes se transforma en piscine géante à ciel ouvert tandis que plusieurs des artères principales devinrent des fleuves où voitures, autobus, camions et autres véhicules flottaient ! Un spectacle inédit.

Devant les yeux grands ouverts et incrédules de centaines de Mauriciens qui vaquaient à leurs occupations habituelles, ce tragique samedi, et qui frôlèrent la mort de peu. Un peu partout dans la capitale, des chaînes humaines se créent, pour s’entraider et ne pas se retrouver entraînées par les flots coléreux qui dévalaient dans les rues, transformées en rivières en crue !

Mais il ne s’agissait pas d’une catastrophe inédite. Le 26 mars 2008, le village de Mon-Goût, à Pamplemousses, avait vécu une tragédie similaire. Laura Paul, 14 ans, étudiante du collège Merton, rentrait de l’école sous une pluie battante similaire, quand elle fut emprisonnée et emportée par les flots de la rivière Citron.

Un Fact Finding Committee fut institué. Le rapport de l’ancien juge Bushan Domah donna des paramètres et des recommandations. Pourtant, cinq ans plus tard, Port-Louis vit périr 11 autres Mauriciens.

Et janvier 2024, une fois encore, le scénario catastrophe allait se répéter quasiment dans la même zone…

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