INTERPRÉTATION DES LOIS DU TRAVAIL: La réintégration d’un employé injustement licencié est un droit garanti

Selon Me Sonah Ruchpaul, ancien président de la défunte Commission des relations industrielles (CRI) qui exerce maintenant au privé – principalement dans le domaine du droit du travail – le Privy Council a déjà statué que le droit d’un employé d’être réintégré à son poste après un licenciement jugé abusif est « un droit garanti ». Il nous faut rappeler que l’ancien président de la CRI avait déjà jeté un éclairage pertinent sur la question dans Week-End, il y a… 21 ans (édition du 23 septembre 1990), dans le sillage du renvoi massif d’une douzaine de dirigeants du Central Electricity Board Staff Association (CEBSA), après une mémorable grève qui vit le Premier ministre d’alors, sir Anerood Jugnauth, jouer au Rambo exterminateur des droits syndicaux.
Lors de l’entretien que Me Ruchpaul avait accordé à notre journal en ce septembre 1990, il avait surtout été question de l’Industrial Relations Act (IRA), aujourd’hui abrogé, et de son Code of Practice, lui-même facultatif, et dont l’esprit établissait une distinction stricte entre le rôle du patron et celui de l’ensemble de son personnel, syndiqué ou non. L’avocat spécialiste du droit du travail, ayant occupé la présidence de la CRI pendant une dizaine d’années, avait fait ressortir que le patron gérait sa boîte comme « sa » propriété et selon « ses » règles, qui étaient celles de la libre entreprise.
Parmi « ses » règles se trouvait celle de pouvoir recruter et licencier (hire and fire) à sa guise, pouvoir qui s’étendait à son « droit » de dire à un employé dont il n’aimait pas la tête, de tout simplement passer à la caisse, se faire payer le maximum de compensation qu’une cour pouvait lui accorder et disparaître de sa vue. Le patron pouvait ainsi agir, même s’il se rendait coupable de ce fait d’une violation de l’un ou l’autre des droits fondamentaux du travailleur, comme par exemple son droit d’être épargné de tout préjudice lié à son appartenance raciale ou religieuse… Me Ruchpaul avait souligné que l’ensemble des décisions du judiciaire mauricien, et ce jusqu’à nos jours, sur les licenciements abusifs semble être en accord avec ce « droit » du patron.
Le paradoxe américain
L’ancien président du CRI avait mis l’accent sur le paradoxe du droit à la réintégration d’un salarié aux États-Unis, berceau de la libre entreprise, soutenu maintenant de ses Tea Parties. Le développement de ce paradoxe faisait suite à l’adoption de la Wagner Act par le Congrès américain depuis les années 30.
Me Ruchpaul affirme qu’on a ainsi passé sous silence à Maurice, pendant presque trois décennies, l’arrêt du Privy Council – instance qui a toujours le dernier mot pour ce qui est de la justice à Maurice – dans un procès qui avait opposé la Société United Docks et autres au gouvernement de Maurice. Cet arrêt du 25 octobre 1984, en fait un raisonnement juridique, justifie la réintégration du travailleur mauricien. Le gouvernement d’alors avait fait adopter par l’Assemblée Législative la Mauritius Sugar Terminal Corporation Act, laquelle faisait de la Mauritius Sugar Terminal Corporation un genre de monopole du « storage, sampling, bagging, packing and loading and unloading of sugar », des activités entreprises auparavant par ce qu’on appelait les « Dock companies » et les « Stevedoring companies », dont les services étaient retenus par la Mauritius Sugar Syndicate, qui, à son tour, organisait l’exportation des sucres au nom des propriétés sucrières.
Jugeant que leurs intérêts avaient été affectés suite à l’avènement de la Mauritius Sugar Terminal Corporation Act, les dock and stevedoring companies ont eu recours à l’intervention de la Cour suprême en évoquant leur droit à une « protection from deprivation of property without compensation » inscrite à la Section 3 (c) de la Constitution. Société United Docks et autres avaient affirmé que la Section 3 (c) de la Constitution était rendue plus explicite par la Section 8, qui, elle, stipule que « no property of any description shall be compulsorily taken possession of, and no interest in or right over property of any description shall be compulsorily acquired, except … ». Bref, les dock and stevedoring companies devaient alors réclamer une compensation financière, énorme, sous la Section 17.
Déboutées par la Cour suprême, ces compagnies s’étaient pourvues en appel auprès du Privy Council. Résultat : l’instance britannique interpréta les mots « compulsorily taken possession of » et « compulsorily acquired » limitativement, comme cela doit se faire dans ce cas. Selon les Law Lords, « il n’y avait pas eu de transfert ou d’expropriation actuelle, c. à. d. des activités d’exportation elles-mêmes » et ceux-ci devaient ajouter que « the Constitution does not afford protection against progress or provide compensation for a business which is lost as a result of technological advance. »
« Un droit garanti qui égale propriété »
Pour l’ancien président de la Commission des relations industrielles, il est manifeste que depuis l’arrêt du Privy Council, personne, ni l’État, ni l’Opposition, ni les syndicats et encore moins les employeurs locaux, ne semblent s’être donnés la peine de savoir comment s’attèle cette importante décision des Law Lords à la réintégration d’un travailleur dans son entreprise à Maurice ! Pour Me Ruchpaul, si l’on suit la logique du Privy Council, le droit du travailleur à la protection sous les Sections 3 et 8 de la Constitution, que ces articles soient combinés ou non, est aussi un droit garanti. Mais, souligne-t-il, ce droit garanti n’est-il pas plus tangible ou visible en tant que « propriété », donc plus sujet à l’appropriation irrégulière ?
Par ailleurs, soutient encore l’avocat, cette interprétation de l’arrêt du Privy Council est consolidée par une autre décision de la même instance dans l’affaire Marine Workers Union and Ors v. Mauritius Marine Authority and Ors. Cette autre décision, prononcée le même jour (le 25 octobre 1984) par le Privy Council, avait stipulé qu’un droit acquis des travailleurs du port mauricien suite à un arbitrage
(le rapport Lefèvre, 1981) était une « propriété quantifiable et se devait d’être rendu à ces travailleurs. »

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