INTERVIEW : Le notariat est un bien nécessaire à la société, déclare Me Jean Paul Decorps

Notre invité de ce dimanche est Me Jean-Paul Decorps, président de L’Union Internationale du Notariat, qui participe, cette semaine, au 23ème Congrès des notaires d’Afrique. Au cours de l’interview qu’il nous a accordée vendredi matin, au château de Bel Ombre, Me Decorps nous a fait faire un tour du monde du notariat et expliqué l’importance du notaire dans le fonctionnement de la société et le bonheur du citoyen. Avec des arguments et une verve qui font de lui un excellent avocat des notaires.
Les notaires ont la réputation de se mouvoir dans la plus grande discrétion. Pourquoi organisent-ils des congrès comme celui qui se tient actuellement à Maurice ?
Parce que nous vivons à l’ère de la mondialisation, qui n’est pas seulement économique, technologique, mais aussi juridique. Il est indispensable, aujourd’hui, de montrer que le droit n’est pas quelque chose d’isolé, d’enfermé dans un pays, mais qu’il circule, suscite des échanges d’expériences, de savoir-faire et d’évolutions législatives. Ces congrès sont des forums qui permettent ces échanges et ces comparaisons.
Donc, le notariat se met à la mode des congrès internationaux. Le notaire n’est plus un personnage qui vit dans un bureau mal éclairé entourés de dossiers poussiéreux ?
Vous savez le notaire, qui est un acteur économique dans tous les pays où il est présent, ne doit pas s’enfermer dans son étude coinçé dans ses dossiers mais s’ouvrir au monde. Le notaire à la Balzac que vous décrivez n’existe plus. Nous sommes à l’ère du numérique et de l’informatique et pouvons, en un clic sur Internet, contacter les presque 500 000 notaires en exercice à travers le monde. Nous avons un statut d’officier public nommé par l’Etat, un tarif, des compétences réservées dans certains domaines et des obligations : une éthique, une déontologie, un respect de l’autre, l’impartialité, la recherche de l’équilibre dans un contrat. Les échanges avec nos confrères de l’étranger, comme dans le cadre de ce présent congrès, nous permettent aussi de nous rendre compte que nous partageons ces valeurs.
Question générale : pourquoi est-ce qu’on perd autant de temps chez un notaire ? A tel point qu’à Maurice, on est presque convaincu qu’une démarche chez un notaire nécessite beaucoup de temps, plusieurs rendez-vous. C’est une tendance générale ou c’est particulier à Maurice ?
C’est une tendance internationale. Pour avoir visité quelques études ici, je dois dire que les notaires mauriciens ne sont pas aussi lents qu’on le prétend. La lenteur s’explique par le fait que nous vivons dans un monde juridique qui est un véritable maquis. Les lois s’ajoutent les unes aux autres, sont parfois contradictoires, incompréhensibles et, du coup, l’administration avec laquelle nous sommes en rapport est débordée et ne répond pas dans les délais qu’on souhaiterait. De sorte que le notaire est une sorte d’interface entre le citoyen et l’administration. Aujourd’hui avec l’informatisation, nous sommes capables de rédiger un acte de vente en quelques heures. Mais pour le faire, il faut contrôler plusieurs documents et ces contrôles prennent un temps de plus en plus long parce que l’administration est débordée.
Pourquoi est-ce que l’Union Internationale du Notariat, dont vous êtes le président, réunit 250 notaires africains à Maurice ?
C’est le 23ème Congrès des notaires d’Afrique qui se déroule chaque année dans un pays différent. C’est, comme je vous l’ai déjà dit, un forum d’échanges d’expériences, où l’on compare les évolutions de nos activités. Le thème de ce congrès est « La pratique natoriale en Afrique : état des lieux et perspectives ». Nous somme heureux que la jeune Association des notaires de l’Ile Maurice ait acceptée de nous accueillir.
250 notaires, c’est beaucoup à l’échelle du continent africain ?
Si l’Afrique est un grand continent, son notariat est naissant dans la mesure où il ne date que des indépendances, il y a soixante ans. Il existe environ 50 000 notaires en Afrique, le nombre est en augmentation, et la majorité n’a pas pu faire le déplacement. Il faut avoir des moyens et des collaborateurs pour quitter son étude pendant plus d’une semaine afin d’assister à un congrès hors du continent.
J’ai noté dans la présentation du congrès qu’un des thèmes au programme est la problématique qui existe en Afrique entre le droit coutumier et la loi.
C’est un aspect très important de notre métier qui fait de nous instituteurs de loi. C’est-à-dire que le notaire explique la loi à ses clients avant de l’appliquer. Dans beaucoup de pays africains, il existe la tradition coutumière qui doit être respectée. Le travail du notaire consiste à expliquer que dans certains cas, il faut appliquer la coutume dans d’autres, la loi étatique. Le notaire est à l’écoute de ses clients, doit les conseiller, les guider à travers les différentes lois tout en veillant à l’intérêt général et à la paix civile, surtout en Afrique.
Les partisans de la coutume acceptent-ils ce partage avec la loi étatique ?
Oui, lorsque le notaire a le savoir et les qualités pour expliquer son rôle et la voie à suivre. C’est plus difficile d’être notaire en Afrique que dans une ville de France. Nous avons chez nous une clientèle lettrée et informée de l’évolution des lois. Ce n’est pas le cas dans les endroits reculés d’Afrique où l’information ne circule pas ou très lentement. Je souligne que le notaire est obligé de lire un acte à son client, ce qui permet à celui qui ne sait pas lire d’être informé et de pouvoir poser des questions, surtout dans les pays africains. Le notaire permet donc à son client d’accéder au service juridique comme n’importe quel autre citoyen…
…si le notaire fait bien son travail et lit ce qu’il y a sur le document…
… évidemment. Il y a des brebis galeuses dans tous les métiers…
… il y en a plus chez les notaires que dans les autres professions ?

Non, mais c’est plus spectaculaire chez les notaires, car cela intéresse beaucoup de gens, dont ceux de la presse, puisque cela fait vendre du papier journal. Et c’est normal dans la mesure où le notariat est une profession honorable, respectée et que nous sommes le relais entre l’Etat et le citoyen. Si un notaire ne respecte pas ses engagements, il doit être sanctionné. Je sais qu’à Maurice cela se fait et c’est tant mieux. Il faut avoir le courage de le faire ; c’est une question de réputation de la profession.
Retournons en Afrique, dans les pays comme le Zimbabwe où un dictateur change les lois ou ne respecte pas celles qui existent, à sa guise. Quel est le rôle du notaire au Zimbabwe ?
Vous posez un problème fondamental, un problème d’éthique même. Le notaire, je le disais, est un relais entre l’Etat et le citoyen, mais si le citoyen est sous l’emprise de l’Etat qui a un comportement dictatorial, il ne peut pas faire son travail. Nous essayons dans ce cas de faire évoluer les choses par le dialogue, à travers notre commission des affaires africaines, mais c’est très difficile.
Est-ce que la coutume a préséance sur la loi étatique ou est-ce le contraire ?
Selon mes confrères africains, la situation est la suivante : il existe un droit coutumier, qui est souvent celui de la famille et celui des biens et il y a un droit étatique qui est celui de l’entreprise. Il faut concilier, faire une osmose entre les deux. Comme le disait l’écrivain André Gide, « le droit est la plus belle école de l’imagination. Jamais le peintre n’a décrit la nature comme le juriste l’a réalisé ». Donc, il faut s’adapter aux circonstances du moment. Le notaire est sur le terrain, il faut qu’il fasse preuve de pragmatisme, d’inventivité, de bon sens.
Le même problème se pose-t-il dans les pays islamiques ?
Il se pose de la même manière, mais a été résolu de manière différente. Dans les pays de tradition islamique, il y a, à côté des notaires d’Etat, des hadouls qui ont une fonction religieuse et sont seuls compétents pour le domaine familial. C’est plus logique, mais en même temps, plus artificiel, parce que dans un problème de succession c’est l’hadoul qui établit l’acte de succession, mais pour une transaction immobilière, il faut appel à un notaire d’Etat ou moderne, comme on les appelle. Les choses se passent bien dans la mesure où la tradition est respectée.
Dans quels types de pays est-ce que le notariat n’arrive pas à fonctionner correctement ?
Dans les pays comme le Zimbabwe ou l’emprise de l’Etat est telle que le notaire n’arrive pas à faire son travail comme il se doit, c’est-à-dire rechercher l’impartialité, l’équilibre et le rétablissement de la différence de connaissances en faveur du consommateur. En tant que président mondial, je me dois d’essayer d’aller à la rencontre des dirigeants de ces pays pour leur dire qu’ils font fausse route. Mais il est très difficile d’intervenir lorsqu’il s’agit de questions politiques.
Changeons de continent pour aller en Chine ou après des siècles de féodalité, le communisme est en train de céder le terrain au capitalisme. Comment travaille un notaire dans un pays où la propriété privée n’existe pass, en théorie.
La situation en Chine est, en fin de compte, assez surprenante quand on pénètre sa façon de fonctionner. En Chine, l’Etat reste très fort. C’est un Etat qui a un masque communiste avec un corps capitaliste. C’est une osmose entre ces deux systèmes. Je vous donne un exemple vécu à Shanghai où j’étais il y a quinze jours : aujourd’hui les nouveaux adhérents du parti communistes chinois sont… des chefs d’entreprise ou des hauts cadres…
…donc des capitalistes.
Tout à fait. Voilà donc des capitalistes qui intègrent le parti communiste, ce qui me permet de parler d’osmose entre les deux systèmes politiques. La Chine fonctionne comme un Etat capitaliste au nom de principes communistes. Des principes qui sont à la fois un inconvénient et un avantage pour les notaires. L’inconvénient vient du fait d’un certain dirigisme d’Etat, beaucoup moins fort qu’il ne l’était il y dix ans, mais un dirigisme quand même. L’avantage, c’est quand le ministre de la Justice dit : nous allons créer des notaires en Chine, on a crée sur le champ des notaires dans les trente deux provinces et aujourd’hui, il y 12 000 notaires dans ce pays.
J’ai le sentiment que les notaires aiment bien les pays où le gouvernement a de la poigne à la limite de la démocratie.
Je ne partage pas votre sentiment. Les notaires sont les délégués de l’Etat et plus l’Etat est fort, plus notre rôle est important. Mais fort dans le sens démocratique, dans le sens de l’intérêt général, pas celui de la dérive qu’on regrette dans certains pays. Je veux vous dire qu’en Chine, même s’il y a beaucoup de chemin à faire on évolue dans le bon sens. Je vous donne un exemple : le droit de propriété qui n’existe plus a été rétabli dans la Constitution et une loi votée il y a quatre ans à créé le concept de copropriété.
Le pays n’est plus la propriété de l’Etat en Chine ?
La seule propriété appartenant à l’Etat et qui est immuable est le sol. Tout ce qui est construit dessus est la propriété des citoyens qui le font. C’est une conception que l’on connaît même dans les pays européens, puisque, vous le savez peut-être, la ville de Londres est construite sur un terrain qui appartient à la reine et que la ville de Paris est propriétaire de pas mal de terrains sur lesquels on a construit des immeubles. Ceux qui construisent sur ces sols bénéficient de baux renouvelables. La Chine a créé le notariat pour accompagner l’ouverture économique, attirer les investisseurs étrangers et assurer le développement du pays qui est éclatant. D’autres pays ont suivi cet exemple, comme la Corée du Sud et le Vietnam.
La même chose s’est produite en ex-URSS et dans les anciennes républiques socialistes de l’Est de l’Europe ?
Beaucoup moins. L’Union soviétique et le contreexemple de la Chine : après la perestroïka, il y a eu presque une démission de l’Etat et toutes ses fonctions régaliennes ont été dissoutes et confisquées par quelques oligarques qui ont une puissance plus forte que l’Etat. Il y a eu une déliquescence de la fonction publique, des dérives, la corruption, etc. Je le répète, le notariat est une profession qui a besoin d’un état qui joue son rôle, exerce ses fonctions régaliennes. Et on revient à ce constat et cette définition de Tony Blair : les deux formes d’Etat qu’on connaissait au 20eme siècles ont montré leurs limites, l’Etat communiste et le libéralisme. Entre les deux, il faut trouver une nouvelle notion d’Etat modéré qui doit se concentrer sur ses fonctions régaliennes : le justice, la diplomatie et l’armée et déléguer les autres activités qui représentent un intérêt public à des institutions qu’il contrôle et cela ne coûte rien à l’Etat.
En prenant l’exemple de la Chine, on pourrait dire que les meilleurs élèves du système de fonctionnement des notaires sont les ex-pays communistes ?
Vous pouvez le dire. Encore une fois, un pays qui n’a pas d’Etat suffisamment fort est un pays qui part à la dérive. C’est évident en Russie et dans certains pays d’Amérique du Sud où les pouvoirs publics sont impuissants. Quels que soient les continents, les mêmes causes produisent les mêmes effets.
Quelle est la situation du notariat en Inde où il y a également un mélange de loi moderne et de droit coutumier, je pense aux Zamindar qui possèdent la terre et exploitent les petits fermiers.
L’Inde est un pays cible pour l’Union Internationale du Notariat. C’est un pays qui a une tradition majoritairement anglo-saxonne, mais avec des états, surtout dans le sud, qui ont un Code civil. La complexité de la tâche vient du fait que l’Inde est une fédération et que certaines compétences légales relèvent des états. Nous avons des contacts avec certains états en vue de la création de notaires.
Vous avez fait une déclaration surprenante. Que si aux Etats-Unis les contrats des sub primes avaient été contrôlés par des notaires, on aurait pu éviter la crise économique mondiale de 2008. C’est fort comme affirmation.
Je n’ai fait que reprendre les conclusions d’un certain nombre d’économistes américains connus, qui ont analysé les origines de la crise des sub primes. Quelle est cette origine ? Entre les banquiers et les emprunteurs il n’y avait personne sauf des courtiers intéressés par des commissions. De sorte que les crédits se sont mis en place sans aucun contrôle, ni de la part du banquier pour savoir si l’emprunteur était bien propriétaire, ni de l’emprunteur qui ne s’est pas préoccupé de savoir s’il pouvait vraiment rembourser son crédit. Les banquiers américains se sont retrouvés avec des créances non vérifiées, les ont renégociées avec des banques dans le monde entier qui les ont rachetées cash à moindre prix. Et quand les banques ont voulu se faire rembourser, les emprunteurs ont été incapables de le faire et les banques se sont retrouvées avec des actifs virtuels, des créances pourries.
Comment expliquez que des banquiers américains, européens et asiatiques se soient lancés dans cette opération sans vérifier le solidité des créances ?
Parce que les banquiers se font totalement confiance entre eux. Regardez l’histoire des traders qui est l’illustration de la confiance aveugle qu’ils se font entre eux. Sinon, comment expliquer qu’un trader puisse détourner 5 milliards d’euros sans que personne ne s’en aperçoive dans la banque qui l’employait ? Cela veut dire qu’on ne le contrôlait pas plus qu’on contrôlait les créances des sub primes.
Donc, si les emprunteurs américains étaient passés par un notaire il n’y aurait pas eu de crise de sub prime ?
Il y aurait eu certainement moins de crise. Parce que le professionnel neutre qu’est le notaire — ou l’avocat américain, le lawyer, qui n’a pas joué son rôle dans ce cas précis — aurait vérifié si l’emprunteur était bien propriétaire et avait les moyens de rembourser son prêt. Savez-vous que 25% des titres de propriétés des sub primes étaient irréguliers. C’est dire l’insécurité juridique qui règne aux Etats-Unis. Deuxièmement, le notaire qui a un devoir de conseil aurait demandé à l’emprunteur s’il avait les moyens réels de rembourser l’emprunt et ses intérêts. On a fermé les yeux sur tout ça et c’est comme ça que le crise a éclaté. Elle est la conséquence du non respect des règles de bases que le notaire applique automatiquement dans l’exercice de ses fonctions.
A vous écouter, au terme de ce tour du monde, le notariat serait un mal nécessaire au bon fonctionnement de la société ?
Je ne suis pas d’accord avec votre définition : le notariat est un bien indispensable au bon fonctionnement de la société. Le notaire répond à un besoin économique. Il représente la sécurité juridique sans laquelle il n’y a pas de confiance, pas d’investissement, pas de crédit, pas de développement économique, pas de progrès social. Si l’insécurité s’installe, on débouche sur la crise des sub primes, la défiance, la récession, le chômage, la pauvreté. Donc, le notaire répond à un besoin économique, également à un besoin du citoyen : celui du contrôle d’une opération avant qu’il ne s’y engage. Le besoin de conseils, dans ce maquis juridique qui nous entoure.
Excusez-moi de lancer une note discordante dans ce concert de louanges : est-ce que le notaire ne fait partie, pour le citoyen, de ce que vous appelez le maquis juridique ?
Il est au milieu du maquis. Il est le GPS dont on a besoin pour s’en sortir. Le citoyen est victime de l’avalanche de textes légaux et sans aide, il ne s’en sort pas. Le citoyen a également besoin de paix juridique et c’est peut-être, finalement, le plus important. Personne ne peut être heureux d’être concerné par un procès. On n’en connaît ni le coût, ni la durée, ni le résultat. C’est comme une épée de Damoclès suspendue sur votre tête. Moins il y a de procès, plus on trouve à harmoniser les accords, plus on trouve à prévenir ou à arbitrer les conflits par la médiation. Et plus, on peut trouver ce que finalement tout un chacun doit viser : le bonheur de l’homme. C’est aussi ça le rôle du notaire : essayer de rendre les gens le plus heureux possible. Et dans notre société, c’est malheureusement, de plus en plus difficile.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -