Face à la pénurie persistante de main-d’œuvre et aux mutations démographiques, le secteur hôtelier se trouve à un tournant. Jocelyn Kwok, Chief Executive Officer (CEO) de l’Association des hôteliers et restaurateurs de l’île Maurice (AHRIM), analyse les causes profondes du recours accru aux travailleurs étrangers, et explique comment l’industrie entend préserver l’identité et la compétitivité du modèle hôtelier mauricien.
La présence de travailleurs étrangers dans les hôtels et restaurants est aujourd’hui plus marquée. Quels sont, selon vous, les facteurs structurels qui expliquent cette accélération ?
Le recours à la main-d’œuvre étrangère devient nécessaire pour l’ensemble du pays, que ce soit pour les acteurs économiques, le secteur public – notamment l’éducation et la santé – ou encore pour les ménages, qui recrutent aussi des employés de maison.
La baisse démographique et le vieillissement de la population réduisent la population dite active ; cette même population est aussi attirée par des emplois à l’étranger, de manière temporaire ou permanente. Parallèlement, l’économie continue de croître et nécessite toujours davantage de ressources humaines.
Ainsi, malgré l’existence d’un secteur informel important, employant de nombreuses personnes à temps partiel ou après les heures de travail, il existe un manque évident de bras pour faire fonctionner le pays et soutenir davantage son développement économique.
Vous affirmez que le tourisme et l’hôtellerie ont été parmi les derniers secteurs à s’ouvrir à la main-d’œuvre étrangère. Pourquoi ?
C’est bien le cas et pour nous, il s’agissait d’une solution de dernier recours. Pendant de nombreuses années, nous avons dû composer avec des effectifs réduits issus de l’École hôtelière, une forte difficulté à retenir nos employés face à l’offre très attractive des bateaux de croisière, ainsi que des contraintes réglementaires importantes, notamment l’obligation de prouver que certains postes restaient vacants durablement et le respect de quotas stricts entre main-d’œuvre locale et étrangère.
Aujourd’hui, nous rattrapons ce retard opérationnel et comblons progressivement des déficits en personnel qui ont longtemps pesé sur le secteur.
Au-delà du recrutement international, quelles initiatives sont mises en place pour renforcer l’attractivité du secteur auprès des jeunes Mauriciens ?
Parallèlement à ces recrutements, nous travaillons activement à renforcer l’attrait du secteur auprès de la jeunesse mauricienne. Une vaste campagne intitulée Les Métiers de l’Hôtellerie est actuellement menée par un collectif de dix grandes marques hôtelières, avec des résultats très encourageants. Nous parvenons à mieux faire connaître le potentiel réel du secteur et à réduire progressivement certaines perceptions négatives associées au fait de travailler à l’hôtel. Nous souhaitons également redynamiser l’École hôtelière et l’ouvrir davantage aux étudiants étrangers, tout en renforçant notre engagement dans l’éducation non formelle, bien entendu avec l’appui des autorités.
Le débat public évoque à la fois un déficit de compétences locales et des conditions de travail jugées peu attractives. Comment réagit l’industrie hôtelière à ces critiques ?
Le débat public, que ce soit dans la presse, sur les ondes ou sur les réseaux sociaux, est malheureusement souvent incomplet. Il évoque rarement les difficultés opérationnelles auxquelles sont confrontés tous les employeurs mauriciens, tous secteurs confondus.
L’absentéisme, les congés pris sans préavis, l’abandon de poste, les problèmes de productivité ou encore les attitudes inappropriées sont bien des réalités. Tout Mauricien honnête les reconnaît, mais peu osent les aborder ouvertement.
Vous insistez sur la préférence accordée à la main-d’œuvre mauricienne, tout en reconnaissant la nécessité du recours à des travailleurs étrangers. Comment concilier ces deux impératifs ?
Notre préférence pour la main-d’œuvre mauricienne est indiscutable. Le recours à des travailleurs étrangers n’est pas une solution idéale, mais il est malheureusement devenu nécessaire. Lorsque Maurice a accueilli ses premiers travailleurs étrangers dans le textile-habillement, la construction ou la boulangerie, le débat public n’était pas aussi vif qu’aujourd’hui.
À l’époque, nous parlions surtout de productivité, et certains responsables publics ou industriels n’hésitaient pas à dire que le travailleur étranger était parfois plus productif. Aujourd’hui, plus personne n’ose tenir de tels propos.
Nous pourrions même saluer les hôteliers qui ont longtemps préservé une main-d’œuvre majoritairement mauricienne malgré de fortes contraintes. Certains ont même envoyé des équipes mauriciennes aux Seychelles, aux Maldives ou ailleurs. Ce que nous vivons aujourd’hui était parfaitement prévisible depuis plus de 35 ans.
Le savoir-faire mauricien est souvent présenté comme un atout clé du secteur. La montée du recrutement étranger constitue-t-elle un risque pour l’identité mauricienne de l’hôtellerie ?
Je préfère parler de la nécessité de préserver l’identité de l’hôtellerie mauricienne tout en l’appuyant sur un personnel plus diversifié. Contrairement à d’autres modèles internationaux, le ratio employés-clients reste élevé à Maurice.
Un hôtel repose sur une organisation complexe, totalement orientée vers le bien-être du client. Le manque de personnel crée non seulement des difficultés opérationnelles immédiates, mais oblige aussi les employés présents à travailler davantage, au détriment de leur repos. Ce type de situation ne peut pas durer. Maurice est déjà, à sa manière, une île accueillante et enviée. L’adaptation se fera et prendra le temps qu’il faudra.
Certains secteurs de l’économie fonctionnent déjà avec un personnel composé à 100% de travailleurs étrangers. Dans l’hôtellerie, les besoins sont immédiats et, à l’horizon 2030, la main-d’œuvre étrangère représenterait environ 10% des effectifs.
Un employeur compétent saura organiser ses opérations et mobiliser des équipes mixtes, locales et étrangères, afin de préserver l’attractivité et la compétitivité de son établissement tout en construisant son identité sur le long terme.
L’hôtelier mauricien n’est pas novice : il gère déjà des équipes composées de plus de 15 nationalités dans d’autres destinations de l’océan Indien. Cette expérience est un atout majeur pour préparer l’avenir.
Propos recueillis par Magali Frédéric

