Maurice sous surveillance, la réglementation évolue, mais les défis restent grands
Respirer semble aller de soi. Pourtant, chaque inspiration transporte bien plus qu’un simple flux d’oxygène. En moyenne, un être humain inhale 15 000 litres d’air par jour – bien plus qu’il ne consommera jamais d’eau. Et pourtant, la qualité de cet air – invisible, inodore, souvent négligée – est aujourd’hui l’un des principaux déterminants de santé publique, au cœur d’un enjeu planétaire.
C’est pour souligner cette évidence oubliée que le 7 septembre, le monde célèbre la Journée internationale de l’air pur pour des ciels bleus, instaurée par l’Assemblée générale des Nations unies en 2019. Un moment de mobilisation contre la pollution atmosphérique, désignée en 2021 comme le deuxième facteur de mortalité mondiale, responsable de 8,1 millions de décès, selon le rapport State of Global Air 2024.
Au-delà des chiffres, la réalité est crue : aucun continent n’est épargné, aucune génération n’est protégée, et les enfants de moins de cinq ans sont parmi les plus exposés.
« Racing for Air » : un thème sous pression
Pour cette sixième édition, le thème retenu – « Courir pour l’air » (Racing for Air) – illustre l’urgence d’agir. Accélérer les mesures, innover localement, coordonner globalement : la qualité de l’air est un enjeu transfrontalier, multisectoriel, et surtout immédiat.
À travers cette journée, l’ONU appelle les États à dépasser les logiques de déclaration d’intention pour mettre en œuvre des réformes concrètes, capables de réduire les particules fines, les gaz toxiques, les rejets industriels et les émissions mobiles. L’objectif ? Un air respirable pour tous.
Maurice face au défi de l’air pur : des efforts réels, des lacunes persistantes
À Maurice, la pollution atmosphérique ne se manifeste pas toujours sous forme de brouillards toxiques ou de pics d’alerte. Mais la menace est bien réelle – plus diffuse, plus silencieuse, mais non moins préoccupante.
La surveillance de la qualité de l’air repose aujourd’hui sur un réseau de six stations fixes (Port-Louis, Rose-Hill, Vacoas, Quatre-Bornes, Plaine Champagne, Grand-Baie) et quatre capteurs intelligents déployés dans des zones urbaines et scolaires. Ces dispositifs mesurent les particules (PM10), les gaz tels que le dioxyde de soufre, les oxydes d’azote, l’ozone, et transmettent les données en temps réel via le site officiel de l’Air Quality Index et l’application mobile MoNatir.
Selon les dernières analyses, la qualité de l’air est globalement bonne dans les zones surveillées. Seul le site de La Tour Kœnig enregistre à l’occasion des dépassements de la norme horaire pour l’ozone – un polluant transfrontalier souvent hors de contrôle local.
Encadrer, moderniser, prévenir : vers une révision des normes
Créées en 1998, les Environmental Protection (Standards for Air) Regulations sont aujourd’hui en cours de révision pour s’aligner sur les standards internationaux (OMS, Banque mondiale, Union européenne). La réforme prévoit notamment :
- L’introduction de nouveaux polluants réglementés : PM2,5, mercure, dioxines, furannes ;
- Un encadrement plus strict des émissions industrielles, notamment pour les incinérateurs, fonderies, usines de galvanisation ;
- Des normes renforcées pour l’air ambiant, avec des limites revues à la baisse pour les particules fines.
Ces nouvelles dispositions toucheront près de 600 entreprises industrielles, 40 incinérateurs, et des secteurs clés tournés vers l’exportation. Un moratoire de six mois est prévu à l’entrée en vigueur des nouvelles normes, afin de permettre aux opérateurs de se mettre en conformité.
Des véhicules plus propres, des sanctions plus dures
Si les sources industrielles sont encadrées, les véhicules diesel constituent un autre foyer majeur de pollution, en particulier à travers les fumées noires riches en particules fines.
Depuis mars 2022, 5 381 véhicules diesel ont été testés à l’aide d’opacimètres portatifs. Résultats :
- 668 véhicules ont dépassé la limite maximale de 70 % d’opacité ;
- 666 amendes ont été émises (Fixed Penalties) ;
- Des Prohibition Notices ont obligé les contrevenants à représenter leur véhicule en inspection sous 14 jours.
Prochaine étape : une hausse de l’amende de Rs 2 000 à Rs 10 000 pour tout véhicule dépassant un taux d’opacité de 50 %, selon un amendement à la Fourth Schedule of the Road Traffic Act.
La course contre la montre est aussi une course contre l’indifférence
Maurice, bien qu’épargnée par les épisodes de smog extrême ou de pollution urbaine chronique, n’est pas à l’abri. Entre croissance industrielle, urbanisation et pression routière, la qualité de l’air devient un indicateur crucial de développement durable.
Le renforcement du cadre réglementaire, l’adoption de technologies de surveillance modernes et l’implication du secteur privé marquent des avancées indéniables. Mais les défis sont multiples :
- L’absence de normes pour certains polluants ultrafins jusqu’à récemment ;
- La méconnaissance du public sur l’impact de la pollution de l’air sur la santé ;
- Le manque de données sur les zones rurales ou intérieures, peu couvertes par les stations existantes ;
- Et l’absence de plan stratégique national de long terme pour la qualité de l’air.
Et vous, que pouvez-vous faire ?
La qualité de l’air n’est pas qu’une affaire d’État. Elle dépend aussi de choix individuels et collectifs :
- Limiter l’usage de la voiture, privilégier la marche, le vélo ou les transports en commun ;
- Ne pas brûler de déchets domestiques ;
- Planter des arbres, véritables filtres à air naturels ;
- Réduire sa consommation énergétique et utiliser des appareils peu gourmands ;
- Et, pour les entreprises, adopter des technologies propres et respecter les normes d’émission.
Respirer demain dépend de nos choix aujourd’hui
La Journée internationale de l’air pur pour des ciels bleus ne se limite pas à un slogan ou à une célébration symbolique. Elle rappelle que l’air est un bien commun fragile, que l’on ne peut ni stocker, ni remplacer, ni filtrer à l’échelle planétaire.
C’est un appel à transformer nos modèles de production, de mobilité, de consommation.
Un rappel que l’air sain n’est pas un luxe, mais un droit.
Et surtout, que chaque geste compte, car dans cette course contre la pollution, le souffle de demain se décide aujourd’hui.