Justice et administration : quand la justice se transforme en boulet

La récente vague de transferts et de nominations au sein du judiciaire cause bien des désagréments aux justiciables et commence sérieusement à agacer, y compris les membres du barreau qui, pourtant, sont rompus à cette lourdeur administrative qu’est devenue la justice à Maurice. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase et qui a fait du bruit en cette fin de semaine en Cour industrielle concerne une affaire entre un ancien pilote de ligne et responsable des opérations et de programmation de vols et la compagnie aérienne pour laquelle il travaille. Le jugement attendu n’a pas été rendu dans les délais convenus dans une affaire où les proceedings ont été pratiquement, sinon entièrement complétés. Avec la mutation de la magistrate, cela avec pour effet que tout le procès doit être repris de nouveau, au mépris de la consigne du Master & Registrar, Wendy Rangan, à tous les magistrats concernés par la dernière vague de transferts les intimant de clear tous les dossiers en suspens avant qu’ils ne changent de posting.

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Les procès très avancés qui ont parfois des mois, voire des années au compteur, et qui doivent être repris à zéro, sont nombreux ces jours-ci parce que les magistrats qui en étaient responsables ont été mutés sur décision de la Judicial and Legal Service Commission. Ce qui est une pratique courante qui peut néanmoins être problématique pour ceux qui la subissent.
« C’est vraiment scandaleux », s’exclame un habitué des cours de justice. « Recommencer une affaire alors qu’elle a été plaidée et tous les témoins entendus et contre-interrogés est tout simplement indigne d’un système judiciaire qui se veut être avant-gardiste », s’indigne-t-il. « Je peux comprendre qu’un procès soit repris depuis le début s’il n’a pas encore été in shape. Mais pas quand toute l’affaire a été complétée et qu’on n’attend que le jugement. C’est inadmissible. Comme pour l’environnement, il est plus qu’urgent d’avoir un rethinking du service au public de la justice, car cela ne peut plus continuer », fulmine-t-il.
« Justice delayed is justice denied »
L’affaire en question, une plainte au civil pour renvoi injustifié, a été logée depuis maintenant cinq ans. Après les procédures d’usage — demand of particulars et demand of further and better particulars, l’affaire s’est retrouvée en état (in shape) deux ans plus tard et plusieurs dates avaient été earmarked pour qu’elle soit prise sur le fond avec l’audition des témoins et les plaidoiries des avocats. Par voie de circulaire, les parties ont été informées que le jugement sera rendu le 30 juin de cette année. Or, la magistrate n’a pas eu le temps de rédiger ledit jugement à temps, et comme un malheur ne vient jamais seul, elle s’est vu transférer de la magistrature au Parquet et a pris ses nouvelles fonctions le 3 juillet dernier. Avec pour effet que toute l’affaire doit être plaidée à nouveau devant un autre magistrat.
« Plus qu’une épée de Damoclès, la justice est devenue carrément un boulet à Maurice », se désole un stakeholder. « Le problème est systémique », observe pour sa part un homme de loi. « Le nombre de cas ne cesse d’augmenter, alors que le personnel ne suit pas. Vous n’avez qu’à regarder du côté des cours de district pour vous rendre compte dans quelles conditions travaillent les magistrats. Bon nombre d’entre eux multiplient des démarches pour retourner au Parquet, tandis que d’autres préfèrent démissionner et retourner dans le privé. Certains tribunaux fonctionnent avec un personnel réduit. Comment voulez-vous que la justice soit rendue dans un délai raisonnable conformément aux dispositions de notre Constitution ? Au lieu de mettre de l’argent dans des projets inutiles aux seules fins électoralistes, n’est-il pas temps d’augmenter le budget de la justice ? » se demande-t-il.
En effet, la Constitution dispose que tout procès doit être entendu et déterminé dans un délai raisonnable. Or, bien souvent, ce délai raisonnable — bien que pas défini dans la loi — est rarement respecté. Se pose alors la question de l’efficacité de notre système judiciaire. « Entre le moment où le problème est identifié et qu’une réponse est apportée ou une décision annoncée, bien souvent, les gens ont perdu le fil et perdent de facto la confiance dans le système », analyse pour sa part une avouée qui a une dizaine d’années de pratique au compteur. « Or, la justice doit être au service des justiciables, pas à leur détriment. »
Comment alors remédier à cette situation ? « Il faut augmenter le personnel et le nombre de cours de justice », déclare un avocat. « Il faut aussi moderniser davantage le système. Par exemple l’e-filing doit être étendu à toutes les branches et à toutes les cours, pas seulement à la Cour commerciale. Les subsidiary courts (intermédiaire, industrielle et de district) pour leur part doit être adaptées afin d’être en mesure d’écouter une affaire in a series of continuous sitting days. Si des interim measures peuvent être prises afin de clear le backlog actuel et apporter un semblant de soulagement aux justiciables, la réforme de notre système judiciaire reste un vaste chantier auquel il faudra s’attaquer tôt ou tard, car il y va de la crédibilité même du système. Ne dit-on pas que justice delayed is justice denied ? »

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