La détresse au sein des familles — Mères de victimes : « Lanfer ki nou pe viv … personn pa tann nou kriye… personn pa trouv nou larm ! »

Elles viennent des quatre coins du pays. Pierrette de Bambous; Dorine de Beau-Bassin ; Maisie de Roche-Bois ; Ivy de Vacoas ; Jeanine de Plaine-Magnien; Françoise de Grand-Gaube… et elles n’en peuvent plus. Le constat est « pena mo ! Nepli kone ki pou dir… Ki ou ouver lafnet ou laport, kat kote ou gete, marsan pe vande, lanwit-lizour, pena konze ! Ladrog zame manke. Eski nou tousel ki trouv sa ? Est-ce que les autorités ne voient rien? Pourquoi la police piste un consommateur qui va s’acheter sa dose et l’interpelle, le jette en prison, mais elle ne va jamais à la source ? Pourquoi ? Ki zot per ? »

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Ces mères de familles font partie du groupe SEL (Solidarité Épanouissement Libération) du Groupe A de Cassis/Lakaz A, auprès duquel elles bénéficient d’une écoute, d’un soutien et d’un encadrement. Ces derniers mois, soutiennent ces Mauriciennes, « la situation est intenable. Nous ne sommes plus en sécurité nulle part ! Ni dans nos maisons, ni dans nos quartiers. Et les autorités, malgré toutes leurs promesses et écoutes, ne font rien ! Inn ler nou pans pou desann lor koltar ek manifeste ! On ne peut pas continuer ainsi. Assez de cet enfer permanent. Mwa monn pare pou desann manifeste ! Pa kapav kontigne koumsa. »

L’avis émis par Pierrette est salué à l’unanimité. Malgré une certaine frayeur qui se lit dans les regards de quelques-unes, bien vite, l’hésitation est balayée par « lanfer ki nou pe viv. » Au quotidien, ces Mauriciennes, certaines travaillent, d’autres sont femmes au foyer, sont régulièrement violentées. Psychologiquement, verbalement, moralement…

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 » Nous ne sommes plus que des loques ! S’il n’y avait eu la main tendue par Lakaz A et les rencontres qui nous permettent de partager nos souffrances, nous serions probablement toutes déjà mortes… Lasses de nous battre contre nos propres enfants ! Nous devons nous préparer à leurs accès de violences et nous ne sommes jamais certaines de nous en sortir vivantes… »

Sous l’emprise
Les épaules frêles de Maisie frémissent. Trois de ses fils, âgés entre 30 et 38 ans, sont accros aux substances. « Ils avaient tous leurs emplois… Jamais je ne me serais doutée qu’ils touchaient aux drogues. » Puis, les doutes, et ensuite, la confirmation : les trois consomment simik.

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Cette maman aux yeux hagards revient sur l’épisode qui a fait basculer leurs vies : un soir, une bagarre éclate entre les fils, voulant à tout prix des sous pour se procurer de leurs doses. « Zot inn bate, bate… ziska mo misie inn mor. Dernie-la kinn plis tape. Il m’a confié qu’il ne pensait pas qu’il allait tuer son papa… Il ne réalisait pas ce qu’il faisait .»
En prononçant ces mots, ces terribles souvenirs reviennent hanter cette mère dont l’un des fils croupit en prison. Mais son calvaire n’est pas pour autant fini ; puisque ses deux autres garçons sont toujours chez elle. « Chaque jour, je revis ce cauchemar. Est-ce qu’ils vont s’en prendre à moi ? Quand ? Puis-je dormir ? fermer mes yeux ? Baisser la garde ? »
Solange sort de ses gonds : « komie mama-papa koumsa pe mor ki nou pa kone ? Komie zanfan pe teroriz zot mama-papa nou pa kone ? Les médias font état de certains crimes, certes. Mais combien d’autres cas restent sous silence ? »

Elle poursuit : « qui entend nos cris quand nous avons peur et que nous sommes attaquées ? Qui vient nous aider à nous relever quand nous avons été violentées ? Il y a quelques mois, avant la campagne électorale, nous avions eu des rencontres avec des politiciens qui sont aujourd’hui des ministres et non des moindres ! Après les élections, nous avons eu d’autres personnalités politiques qui nous ont écoutées. Mais au final, qu’est-ce qui est fait ? Plus de sept mois se sont écoulés, mais rien en revanche pour nous, parents, qui souffrons au quotidien ! »

Encouragées par Solange, les autres mamans se font entendre : « nous ne sommes en sécurité nulle part ! À la maison, il y a les enfants toxicomanes qui peuvent, à tout moment, nous tuer. Dans le voisinage, il y a des marchands à tous les coins de rue. Li napa normal sa ! Le gouvernement ne peut pas laisser une telle situation perdurer. Nos vies n’ont donc aucune valeur aux yeux de nos ministres et députés ? »
Dorine se confie sur ses appréhensions. Son fils sort de prison dans peu de jours : « Kouma nou pou fer ? » La peur de l’inconnu perle déjà dans ses yeux…

« Zot inn kas-kas li akoz linn kokin »
Maisie explique comment ses fils l’ont menacé avec des couteaux… « À un certain point, j’en ai eu tellement marre que je leur ai dit que j’allais me jeter sous un bus et en finir avec la vie ! Monn mem dir zot mo pe ale zet mo lekor lor enn pont koumsa mo gagn lape ! » D’autres font remarquer que « désormais, même pour aller prier, à l’église ou au temple, nous devons nous organiser en groupe. Fini le temps de s’y rendre seule… »

Les raisons derrière ces changements bouleversants ? « Chaque soir qui passe, il y a des bagarres… Senn la ek so sab ; lotla dibwa… Les disputes entre gangs, entre dealers, avec le voisinage, c’est le même cinéma tous les jours ! » De fait, soutiennent nos interlocutrices, « les portes restent sous clé tout le temps ! Le soir, pas question de sortir, même si nous entendons crier au secours ! Me eski li normal sa ? Komie tan pou viv dan sa la freyer-la ? »

Ivy est catégorique : « bizin ferm sours lamem, pa robine ! Tant qu’il y a des robinets, l’eau continuera de couler. Donc, les drogues trouveront preneur. Mais les autorités ne s’en prennent pas directement aux trafiquants et importateurs. Zot per… »
Françoise avoue qu’elle est au bord de la dépression. Pas plus tard que la veille de cette rencontre, elle explique qu’elle s’est rendue à 5h du matin à l’hôpital. Les médecins se sont bien occupés de moi ; prise de sang, bilan complet.

Au final, ils m’ont dit que c’est une crise d’angoisse. Ils m’ont donné des cachets pour dormir et me reposer. » L’origine des soucis de cette maman : son fils et son gendre sont tous les deux accros aux stupéfiants. Si son fils a déserté le toit familial, linn abandonn so fami ek pran enn madam parey kouma li, ki droge .»

En revanche, le gendre revient régulièrement la voir. Et justement, « ces derniers temps, il a décroché un travail… avec le marchand. Il s’occupe de quelques besognes pour son compte et en échange, le patron lui donne sa dose. » Il y a quelques jours, un incident s’est déroulé, concernant un vol. « Zot inn bat li, kas-kas so lipie… Mo pa kone si enn zour li pou resi marse ankor. Dockter inn dir so ka pa bon », se désole-t-elle.

Pour l’heure, confient ces mamans éplorées, « nous n’avons d’autre choix que de continuer à vivre l’enfer de nos quotidiens. Au moins, lors des rencontres régulières avec le Groupe A de Cassis/Lakaz A, nous avons des amies ici ; de l’écoute, un encadrement. » Mais une fois qu’elles reprennent leurs bus pour rentrer chez elles, « lanfer-la rekoumanse… »
Des appels pressants sont faits auprès des ministres, députés et représentants des autorités pour « trouver des pistes de solution pour ces familles. Il faut penser à une structure pour les encadrer et les accompagner. Le pays est infesté de drogues – simik, Brown Sugar et autres. Attendre équivaut à mettre en péril des vies et les perdre… »

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« Les politiciens doivent nous rencontrer ! »

« De la même manière que les politiciens organisent des meetings, ils mettent des affiches et font savoir dans les médias, de la même manière, ils doivent organiser une ou des rencontres avec nous, les mamans des toxicomanes », soutient Ivy.

Solange rebondit : « kisann-la ki pe tann zot kriyer kan zanfan pe met kouto ar zot ? Kisann-la trouv zot larm, kan zot pe tranbler kouma fey ? Il est temps que les politiciens viennent vers nous. Nous avons fait notre part, et nous leur avons expliqué nos situations, nos enfers. Nous avons rencontré des personnalités avant et après les élections. Zot dir zot pou fer kiksoz pou nou. Me pa nanye mem… »

Ces mamans sont unanimes : « nos politiciens doivent nous rencontrer ! Nous écouter et partager nos souffrances. Mais pas que !» Elles proposent: « l’Etat doit construire des refuges et des centres. Pour nos enfants, d’une part. Mais également pour nous ! Nous, parents, n’avons aucun recours ; aucune porte à laquelle frapper. Nos familles et nos proches nous rejettent. » Une mère dans l’assemblée explique comment elle doit aller dormir à l’arrêt d’autobus, jusqu’à 2h, 3h du matin quand «mon fils a ses crises de manque et qu’il est prêt à tout pour me soutirer des sous. »

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