L’agriculture mauricienne : un secteur vital fragilisé par la dépendance alimentaire et le manque de relève

L’agriculture mauricienne fait face à une série de défis structurels : Vieillissement et désintérêt des jeunes ; Pression foncière ; Changements climatiques ; Concurrence des importations qui fragilise les producteurs locaux

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Pendant plus d’un siècle et demi, l’agriculture a façonné l’histoire, l’économie et même la société mauricienne. La canne à sucre, introduite sous la colonisation française et industrialisée sous la domination britannique, fut la pierre angulaire de la prospérité du pays. Dans les années 1970 encore, elle représentait près de 25% du PIB et faisait vivre directement ou indirectement une bonne partie de la population active. Aujourd’hui, cette époque semble bien lointaine. L’agriculture ne contribue plus qu’à 3 à 4% du PIB. La majorité de la richesse nationale vient désormais des services financiers, du tourisme et des TIC. Cette mutation, révélée par la dernière étude sur le secteur agrcole,  a certes permis à Maurice d’accéder au statut de pays à revenu intermédiaire supérieur, mais elle a laissé le secteur agricole dans un état de fragilité chronique.

L’agriculture mauricienne, longtemps colonne vertébrale de l’économie, se réduit aujourd’hui à moins de 4% du PIB. Si la canne à sucre reste le pilier historique, elle recule d’année en année, emportant avec elle des milliers de petits planteurs découragés par la chute des prix et la fragmentation des terres. Pendant ce temps, l’île importe plus de 70% de ses denrées alimentaires, exposant la population à une dépendance croissante vis-à-vis de marchés internationaux instables.
Derrière ce constat se cache une réalité préoccupante : l’agriculture locale peine à se réinventer, faute de vision stratégique et d’engagement réel des pouvoirs publics.

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La canne à sucre : du monopole à la survie
Au XIXᵉ et au XXᵉ siècle, la canne à sucre faisait vivre directement ou indirectement près de 200,000 personnes. Aujourd’hui, la surface cultivée est tombée à environ 40,000 hectares, soit la moitié des terres agricoles, avec une production divisée par deux en vingt ans. sont toujours consacrés à la canne à sucre. Mais la tendance est clairement au recul. Les usines sucrières ferment les unes après les autres, et les planteurs traditionnels abandonnent.Dans les années 1990, le pays produisait encore plus de 600,000 tonnes de sucre par an. En 2023, la production est tombée à environ 270,000 tonnes. Avec le prix du sucre qui ne couvre même plus les coûts, cultiver la canne est devenu une perte de temps selon les professionnels . Beaucoup préfèrent vendre leurs lopins pour l’immobilier, plus lucratif.
La production subsiste surtout grâce aux grands groupes qui diversifient vers le rhum et l’énergie bagasse, mais le lien social entre la canne et la petite agriculture se délite.
• La part du sucre dans le PIB est passée de 25% en 1970 à moins de 2% aujourd’hui
Les causes sont multiples : baisse des prix internationaux depuis la fin du protocole sucre avec l’Union européenne, coûts de production élevés, fragmentation des terres héritée des partages successoraux, et désintérêt croissant des jeunes générations pour ce travail jugé pénible et peu rentable.
Les petits planteurs sont les premiers touchés. Alors qu’ils étaient plus de 30,000 au début des années 2000, ils seraient aujourd’hui moins de 12,000. Beaucoup abandonnent leurs champs ou les vendent pour des projets immobiliers, accentuant la pression foncière.
• En vingt ans, le nombre de petits planteurs a chuté de près de 60%
Cultures vivrières : entre efforts de diversification et dépendance
Depuis les années 1980, les gouvernements successifs ont encouragé la diversification agricole : pommes de terre, oignons, légumes, fruits tropicaux. Mais ces cultures vivrières ne suffisent pas à couvrir la demande nationale.
Chaque année, Maurice produit environ 25,000 tonnes de légumes et fruits, alors que la consommation nationale dépasse les 100,000 tonnes. Résultat : le pays importe la majorité de ses besoins. Les oignons proviennent surtout d’Inde, les pommes de terre de Hollande ou d’Afrique du Sud, et le blé d’Australie.
La concurrence des produits importés, souvent moins chers que les productions locales, fragilise les maraîchers. Beaucoup évoquent aussi le manque d’irrigation, le coût des intrants (semences, engrais, pesticides) et les pertes post-récolte liées à l’absence d’infrastructures de stockage et de transformation.
• 75% des oignons et 90% des pommes de terre consommés à Maurice sont importés
L’élevage et la pêche : des compléments
fragiles

L’élevage mauricien n’a jamais atteint une dimension industrielle, mais il assure certaines productions locales, notamment la volaille. Environ 50% de la consommation nationale de poulet provient d’éleveurs locaux, mais la viande bovine et porcine reste massivement importée. Les produits laitiers (beurre, fromage, lait en poudre) sont aussi largement importés, principalement d’Europe et d’Australie.
Du côté de la pêche, la situation est plus préoccupante. Le lagon mauricien, qui fut longtemps une source abondante de poissons pour les ménages, est aujourd’hui largement surexploité. Certaines espèces ont chuté de moitié en deux décennies. La pêche hauturière, qui cible notamment le thon, est strictement encadrée par des quotas internationaux. Quant à l’aquaculture, présentée comme une alternative, elle est freinée par des controverses environnementales et sociales.
Le poisson de lagon, jadis pilier de l’alimentation mauricienne, se raréfie dangereusement. La surexploitation, la pollution et le réchauffement climatique fragilisent déjà des espèces emblématiques. Sans mesures drastiques, le lagon risque de devenir une mer vide.
• Maurice importe chaque année pour plus de Rs 3 milliards de viande et produits laitiers
La démographie des planteurs : un secteur sans relève
L’un des chiffres les plus alarmants est celui de l’âge moyen des planteurs. Il dépasse aujourd’hui 55 ans. Moins de 5% des agriculteurs mauriciens ont moins de 35 ans. Ce désintérêt générationnel s’explique par la faible rentabilité du secteur, le dur labeur que représente l’agriculture traditionnelle. Les jeunes générations, attirées par d’autres secteurs (tourisme, TIC, services financiers), délaissent l’agriculture.
Cette absence de relève pose un problème crucial : qui fera pousser la nourriture de demain ? Sans politiques d’incitation efficaces et sans revalorisation de l’image du métier, une part du savoir-faire agricole risque de disparaître.
• Dans certaines régions, un planteur sur deux envisage d’abandonner sa parcelle d’ici dix ans, faute de repreneur
La dépendance alimentaire : une vulnérabilité nationale
Le chiffre est implacable : plus de 70% des denrées consommées à Maurice proviennent de l’étranger. Cette dépendance coûte cher : la facture des importations alimentaires dépasse désormais Rs 35 milliards par an et pèse lourdement sur la balance commerciale.
Cette fragilité expose Maurice à des risques systémiques. La pandémie de COVID-19 a montré combien la fermeture des frontières pouvait perturber l’approvisionnement. La guerre en Ukraine a provoqué une flambée des prix du blé et des engrais, directement ressentie à Maurice. Le réchauffement climatique, en affectant les récoltes mondiales, pourrait aggraver encore cette vulnérabilité.
• Chaque Mauricien consomme en moyenne 75% d’aliments importés, dont la moitié des produits de base (riz, blé, pommes de terre, viande)
Entre innovation et défis

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Pourtant, des pistes existent. De jeunes entrepreneurs testent des projets d’agriculture hydroponique, de serres intelligentes ou de production biologique. L’agro-transformation (jus, confitures, snacks à base de produits locaux) connaît aussi un début de dynamisme. Mais ces initiatives restent marginales et ne couvrent pas les besoins globaux.
Le défi est double : repenser le modèle agricole pour le rendre viable économiquement et durable écologiquement, tout en redonnant envie aux jeunes de s’investir dans ce secteur vital.
•La sécurité alimentaire n’est plus une question sectorielle : elle est désormais considérée comme une affaire de sécurité nationale

Une agriculture à la croisée des chemins
L’agriculture mauricienne vit une crise silencieuse mais profonde. Entre dépendance alimentaire structurelle, abandon progressif des champs, vieillissement des planteurs et urbanisation galopante, le pays court le risque de perdre le peu de souveraineté agricole qui lui reste. Elle fait face à une série de défis structurels :
• Vieillissement et désintérêt des jeunes pour ce secteur jugé pénible et peu rentable.
• Pression foncière liée à l’urbanisation et au développement immobilier, qui réduit les surfaces cultivées.
• Changements climatiques, avec des sécheresses prolongées et des pluies irrégulières affectant les récoltes.
• Concurrence des importations qui fragilise les producteurs locaux.
Sans un sursaut politique et sociétal, la question agricole continuera à être reléguée au second plan, alors même qu’elle conditionne l’avenir alimentaire, environnemental et social de Maurice. Des initiatives émergent pour valoriser l’agriculture biologique, l’agro-transformation (jus, confitures, produits locaux labellisés), et l’intégration des technologies (hydroponie, serres intelligentes). Ces pistes pourraient ouvrir une nouvelle ère pour l’agriculture mauricienne, à condition qu’elles soient accompagnées de politiques cohérentes et de financements adaptés.

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