Le Coup de coeur 2023 de Week-End : Yogita Baboo, la battante en quête de justice

« Cette fin d’année est différente de toutes les autres… Je me retrouve à finir 2023 sans emploi, tandis que j’ai passé les trois dernières années à me battre de toute mon énergie pour préserver l’emploi et les conditions de travail de mes collègues et moi-même en tant que présidente de l’AMCCA… Ironie du sort ? Non, je dirai plutôt que c’est surtout parce que les lois et les institutions qui font de notre pays un État libre, juste et paisible, comme le décrit notre hymne national, ne fonctionnent pas comme elles le devraient. » Celle qui est l’auteure de cette déclaration à Week-End, c’est Yogita Baboo, la syndicaliste présidente de l’Air Mauritius Cabin Crew Association (AMCCA) qui a été licenciée pour avoir combattu avec ses collègues du syndicat la toute puissante et intouchable hiérarchie d’Air Mauritius pour le non-respect des conditions de travail du personnel navigant avant, pendant et après la pandémie.

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Son courage, sa détermination et son savoir-faire pour préserver l’emploi de ses membres mais aussi le sien sont est salués. Même si au bout du compte elle a été honteusement licenciée à la suite d’un pseudo-comité disciplinaire contre lequel elle a entamé une procédure judiciaire. Une justice qui aura à statuer sur le bien-fondé ou les abus de pouvoir d’une institution dont l’histoire est parsemée de scandales, de passe-droits et où les employés qui ne courbent pas l’échine devant les petits caporaux nommés pour leur proximité avec le pouvoir du jour et qui se croient au-dessus des lois ou des institutions.

À Week-End qui en a fait son Coup de Cœur du courage et de l’abnégation pour cette année 2023 et qui voulait en savoir plus sur son état d’esprit et ses états d’âme du fait d’être sans emploi, sans revenus à l’orée de cette fin d’année, Yogita Baboo, qui a alterné des moments tristes mais aussi la fierté de faire face à cette adversité, a déclaré sans fard : « Être sans emploi après près de 30 ans est moralement difficile à supporter. Depuis mes 15 ans, je travaillais pendant les vacances pour financer mes cours d’informatique, démontrant ainsi mon indépendance. À la suite de mon licenciement, j’ai réfléchi sur les raisons de cette situation et son impact sur ma famille, en particulier ma fille, dont l’avenir incertain ne me laisse pas indifférente et m’inquiète… Cependant, je ne regrette rien. Ce licenciement a été nécessaire pour faire avancer les démarches de l’AMCCA contre l’injustice que nous subissions. Le soutien des membres exécutifs, qui ont résisté à la pression de la hiérarchie d’Airports Holding et d’Air Mauritius pour me retirer de la présidence du syndicat, est réconfortant. En tant que présidente maintenue en poste, cela démontre que le travail du syndicat est apprécié par tous. Et cela donne un sens à mon combat. »

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« Je ne regrette rien, mais l’avenir de ma fille ne me laisse pas indifférente »
Mais elle rend hommage à tous ceux qui l’ont soutenue et continuent à la soutenir, mais dénonce l’injustice dont elle est victime : « La SEF et le négociateur Radakrishna Sadien ont été d’un grand soutien et m’ont permis de bénéficier d’un appui national et international. Je remercie tous ceux qui ont apporté leur soutien, y compris l’ITF, Dis-moi et plusieurs ONG, pour leur solidarité. Ce qui me préoccupe le plus, c’est que malgré l’injustice flagrante que j’ai subie, les institutions concernées n’ont pas pu empêcher MK de prendre des décisions unilatérales. J’ai perdu beaucoup, en particulier en termes d’assurance médicale et de contributions au Provident Fund pour ma fille et moi. »
Cette expérience de licenciement a renforcé l’unité des membres de l’AMCCA. Bien que difficile, elle en voit le côté positif, étant maintenant libre de poursuivre sa mission syndicale avec fierté malgré l’embarras de MK qui n’a pas réussi à la destituer de la présidence du syndicat qui le titille le plus. Yogita Baboo ne manque pas l’occasion de remettre une couche sur la justice dans sa double définition : « Le comité disciplinaire que j’ai dû affronter à cause de mes activités syndicales ne respecte pas la clarté de la loi. On ne peut pas pénaliser les employés syndiqués pour leurs activités, et l’employeur n’a pas le droit de s’immiscer dans ces affaires. Mon cas ira devant la cour l’année prochaine, avec une incertitude sur le délai et l’issue. Je lutte pour les droits de mes collègues, dénonçant l’injustice, bien que cela ait entraîné mon licenciement. Je questionne la justice qui semble favoriser les riches qui peuvent se permettre de payer des dédommagements. Notre pays doit créer des lois respectées par et pour tous. »

L’administration volontaire unilatérale
Avec une pointe d’émotion mais aussi une volonté manifeste de relever les défis à venir, elle ajoute plus déterminée que jamais : « Malgré ma dignité, une fois ma mission avec l’AMCCA terminée, je chercherai un nouvel emploi pour me relever. Cependant, je resterai engagée dans la lutte pour les droits des PNC aussi longtemps que les membres le souhaiteront. Il est important de souligner qu’on m’a accusée d’avoir terni la réputation de MK, mais aucune communication n’a été faite sur le cas d’un manager contre lequel pèse une plainte pour « attempt at murder ». Cela soulève des questions sur l’équité de traitement des membres du personnel. De plus, malgré les promesses du nouveau Officer in charge Recoura de revaloriser les employés, les PNC subissent toujours des conditions difficiles de travail avec des vols à huit membres d’équipe au lieu de 10 sans aucune réunion de leur syndicat, l’AMCCA, avec la direction. On n’entend plus parler de l’affaire du CEO et du CFO de MK qui ont été suspendus. Je dénonce également le traitement différencié entre les incompétences du département des opérations de cabine, qui sont ignorées, et la manière dont on m’a présentée comme la « bête noire » de MK, alors que je ne faisais que mon devoir syndical. Je continuerai à lutter pour la justice, même si cela signifie affronter la Cour. »

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Sa mésaventure commence avec la mise en administration volontaire d’Air Mauritius. Une décision prise dès le début par l’administrateur Satar Hajee Abdoula de changer les conditions de travail des travailleurs sans les consulter. Il obtient même l’accord du ministre du Travail pour boycotter les syndicats de MK, car le ministère avait passé des lois durant le Covid à cet égard. L’AMCCA a dû porter plusieurs procès en cour pour obtenir au forceps le droit de négocier avec l’administrateur alors même qu’il avait émis un gagging order pour prémunir toute fuite d’information à la presse lorsque le syndicat négociait le protocole sanitaire. L’AMCCA a fini par accepter de retirer les cas en Cour pour pouvoir négocier avec Satar Hajee Abdoula qui, après avoir été emmené en Cour suprême, avec le ministre du Travail, n’était pas très de bonne humeur pour négocier avec de simples exécutifs d’un banal syndicat de MK. Légalement, il y a eu un accord pour que l’administrateur négocie avec l’AMCCA. Quant aux autres syndicats de MK, ils avaient décidé de prendre Sherry Singh comme facilitateur pour négocier avec Satar Abdoula. Aussi choquant que cela puisse paraître, Sherry Singh faisait partie du Steering Committee de MK qui avait mis la compagnie en administration volontaire, et Satar Hajee Abdoula était l’exécutant en chef des décisions que le Steering Committee avait prises. Évidemment, dans le giron du pouvoir, le mot conflit d’intérêts est banni…

« Ma situation d’aujourd’hui est en grande partie due à l’incompétence de l’administration volontaire. Pendant les négociations, l’AMCCA avait demandé de ne licencier personne et de faire travailler tous les membres à tour de rôle pour préserver les certificats des PNCs. On avait parlé de part-time pour que personne ne soit licencié. Mais malheureusement, l’administrateur, étant très rusé et intellectuellement malhonnête, décida autrement et imposa des conditions de travail inacceptables (Leave Without Pay forcé) à la moitié des PNCs », explique Mme Babboo. Malgré cela, le jour de l’AGM pour décider si l’AMCCA allait concéder les termes de son Collective Agreement (CA) à l’administrateur, les membres votent contre et décident de maintenir le CA tel quel. L’AMCCA savait que le plan était d’éliminer un grade de PNC avec un nouvel accord collectif. Si l’administrateur avait joué franc jeu et donné le contrat à tout le monde, l’AMCCA n’aurait sans doute pas refusé la négociation. Ce n’est qu’à une semaine de la fin de l’administration que Satar Hajee Abdoulah donna les contrats de travail au reste des PNCs en les privant de leur grade et en leur proposant des contrats Cabin Crew au lieu de Flight Purser.

Cela aussi était contre la loi et son esprit, car l’administrateur n’a pas négocié avec le syndicat, et à cette époque, il n’avait plus l’autorisation légale de bypass le syndicat pour prendre des décisions. Toutes ces manœuvres illégales ont eu cours chez Air Mauritius sans que les institutions suprêmes du pays concernées ne puissent faire quelque chose pour rétablir la justice aux infortunés cabin crews.

Pour faire ce que les membres voulaient, c’est-à-dire préserver leur CA, l’AMCCA a mis l’affaire devant l’Employment Relations Tribunal. Après l’administration, c’était le seul point embarrassant pour les dirigeants d’Air Mauritius : le Collective Agreement intact des PNCs qui inclut un backpay datant de 2014 jusqu’aujourd’hui. Il faut savoir que le CA actuel est en dessous de ce que prévoit la WRAct et d’après la loi, un Collective Agreement doit être égal ou supérieur au minimum légal prévu. En vérité, dans sa résistance à l’irrationnel, l’AMCCA n’est pas déraisonnable comme veut le faire accroire les dirigeants d’Air Mauritius. Aussi, le ministre Callichurn lors d’une rencontre avec la hiérarchie de l’AMCCA a concédé que son accord collectif est égal à la loi du travail… Une preuve, s’il en fallait, pour montrer que le syndicat du personnel de cabine ne s’est battu que pour préserver ses droits et conditions de travail. Rien de monstrueux comme ont voulu faire accroire la hiérarchie de MK.

« Je lutte pour les droits de mes collègues et moi-même »
Depuis l’affaire entrée contre Air Mauritius, le cas est resté intact à l’ERT malgré la pression subie par des membres du syndicat de la part du management de MK pour retirer l’affaire : les relations bloquées, zéro relation industrielle, pas de réponses aux mails ni aux demandes de ’meeting’ du syndicat, rien, si ce n’est le néant. Cependant, le Cabin Ops Manager continue à prendre des décisions unilatérales même après l’administration. « Qui plus est, les PNCs non-vaccinés se voient refuser le droit de faire des tests PCR et sont obligés d’être vaccinés pour travailler. Les PNCs travaillaient dans des conditions très difficiles, pas de congé annuel, pas de conditions de travail respectées et c’était devenu intenable, car le syndicat n’avait pas de réunion du tout pour pouvoir faire les doléances de ses membres. C’est là qu’en tant que présidente, je vais faire des déclarations dans les médias. Je dénonce beaucoup de choses, comme le fait que notre cas à l’ERT au lieu de trois mois a dépassé les deux ans, zéro congé pour le PNC, etc. Et la compagnie utilise cette raison pour me licencier », dénonce avec force la présidente licenciée de l’AMCCA qui raconte, émue : « En sortant du comité disciplinaire, mon avocat m’a dit qu’ils vont continuer et me licencier… la décision est déjà prise… et je lui dis que c’est mon sentiment également… donc après cinq jours, je reçois ma lettre à travers un huissier. On me licencie avec effet immédiat sans me payer un mois de salaire comme préavis. Est-ce que c’est normal tout ça ?… »

Le maintien du cas à l’ERT, la vraie raison derrière son éviction
Le combat contre l’arbitraire continue. Une demande légale de réintégration est envisagée. En temps normal, une réintégration éventuelle prendrait deux mois. L’avocat et Yogita Baboo ont longuement discuté là-dessus… deux mois paraissaient alléchants… Mais ils ont décidé plutôt de porter l’affaire en Cour industrielle, même si cela prend plus de temps. Elle a dû mettre ses 27 ans de carrière de côté et oublier la réintégration… Elle s’est dit que si une compagnie telle qu’Air Mauritius peut se permettre de la mettre à la porte sans se soucier des conséquences, alors elle sera prête à utiliser tous les moyens pour l’empêcher de réintégrer son travail… Le cas récent d’un employé licencié par une radio conforte la présidente Babboo de ne pas être partie à l’ERT, car après deux mois, les adversaires de cet animateur vedette ont trouvé une nouvelle raison pour retarder indéfiniment la procédure.

Désormais pour l’AMCCA, dans cette affaire, il faut attendre les conclusions du cas déposé à l’ERT. Tous savent que le licenciement de Yogita Baboo est dû au fait que l’affaire a été maintenue à l’ERT au lieu d’être retirée comme le voulait MK et surtout le Cabin Ops Management de la compagnie… L’heure est à l’attente du verdict attendu dans les premières semaines de la nouvelle année.

Entre-temps, dans cette période avec des sentiments mélangés de bonheur et d’incertitudes qui donnent à cette période festive de fin d’année une teinte différente que d’habitude pour elle et sa famille, Yogita Baboo ne manque pas de remercier ceux qui la soutiennent pour surmonter cette période laborieuse de sa vie : « Pendant les fêtes, bien que différentes, j’ai été entourée par ma famille, mes amis et mes collègues, qui m’ont soutenue. Je me sens toujours partie intégrante de la famille PC, et je les remercie sincèrement de m’aider à surmonter cette épreuve. La générosité des personnes inconnues m’a agréablement surprise, renforçant mon espoir en la grande solidarité des Mauriciens. Je tiens à remercier spécialement Monsieur Houlash qui, à 89 ans, m’a exprimé sa solidarité paternelle et encouragée sur le chemin de la justice. »

Dans l’adversité, elle continue son combat et reste positive et optimiste pour son avenir personnel : « Malgré les difficultés actuelles, je pense que si une porte s’est fermée, dix autres vont s’ouvrir… » C’est le moins que l’on puisse lui souhaiter !

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