Konekte, entreprise sociale fondée en 2005, place le développement intégral de l’humain au cœur de ses actions. Structure professionnelle de référence, elle offre des services et des programmes œuvrant à la meilleure santé mentale de l’humain, en milieu scolaire. Cette semaine, les professionnels du secteur reviennent sur le bullying dans les écoles et sur leurs recommandations envoyées au ministère de l’Éducation. Nous partageons leurs observations.
Quelles dernières semaines mouvementées pour la prise en charge de la souffrance des enfants en milieu scolaire dans cette toute petite république…Nous laissant presque sans mots. Presque. Notre article du 27 juillet s’est orienté sur le bullying en milieu scolaire, notamment sur la Méthode de Prévention Participative qui a fait ses preuves depuis quelques années et permet de stopper efficacement les situations de harcèlement. Et à Konekte, tant qu’une méthode est scientifiquement évaluée, efficace et que les enfants sont protégé.e.s, nous avançons en confiance ! Nous partageons avec beaucoup de satisfaction et de plaisir, de part et d’autre, ses points principaux et bénéfices au vu de son efficacité en milieu scolaire mauricien !
Depuis des années, nous œuvrons avec conviction pour construire un partenariat solide autour de la prévention du harcèlement scolaire. En mai 2023, nous avons adressé un courrier au ministère de l’Éducation afin d’exprimer notre inquiétude face à la montée du phénomène de bullying. Cette initiative avait abouti à une rencontre, ce même mois, avec la ministre ainsi que certain.e.s de ses collaborateur.rice.s.
Une séance de travail constructive avait été organisée en vue de développer un projet commun avec l’équipe de Konekte. À cette occasion, plusieurs acteur.rice.s clés du ministère avaient été conviés à une session de sensibilisation sur l’application de la Méthode de Prévention Participative (MPP), en présence de responsables d’établissements scolaires primaires et secondaires catholiques. Malgré les retours positifs reçus, aucune suite concrète n’a pu être mise en œuvre en 2023 afin de poursuivre cette collaboration.
Pleinement disponibles pour collaborer
C’est donc avec un intérêt renouvelé que nous avons pris connaissance, début juillet 2025, de la déclaration du ministre de l’Éducation affirmant sa volonté de mettre fin au harcèlement scolaire, et de son invitation à collaborer avec les services du ministère. Dans cet esprit, nous avons adressé plusieurs courriels cette année pour réitérer notre disponibilité et notre désir de contribuer activement à cette démarche. À ce jour, nos sollicitations sont restées sans réponse.
Nous aurions grandement souhaité participer à l’atelier de sensibilisation sur le harcèlement scolaire qui s’est tenu le 5 août dernier. Cela aurait été une belle opportunité pour échanger, partager notre expérience de terrain et contribuer à une réflexion collective sur des actions concrètes. Nous avons également pris connaissance, par voie de presse, des 14 mesures annoncées le 4 août par le ministère pour faire face à cette problématique. Nous espérons sincèrement qu’elles ont été élaborées en concertation avec des professionnel.le.s qualifié.e.s et qu’ils.elles sauront répondre efficacement aux besoins du terrain.
Il nous semble donc important de redire, avec clarté, mais dans un esprit d’ouverture, que nous restons pleinement disponibles pour collaborer. Nous avons près de vingt ans d’expérience concrète en milieu scolaire, en tant que psychologues et citoyennes engagées. Nous souhaitons continuer à partager des pratiques que nous savons pertinentes et efficaces.
Serons-nous entendues ? Nous l’espérons.
Quoi qu’il en soit, nous continuerons à nous engager, avec professionnalisme et conviction. Nous revenons donc aujourd’hui, sur la thématique 2 nommée par le ministère soit « la lutte contre l’indiscipline, le harcèlement, la violence et l’abus de substances ». L’une de nos recommandations sous ce thème concerne le nombre de psychologues en milieu scolaire.
En 2024, au niveau national il y a en moyenne un.e educational psychologist pour environ 5 300 enfants de tous âges scolarisé.e.s. Aux États-Unis, l’Association nationale des psychologues scolaires recommande un ratio d’un.e psychologue pour 500 élèves et l’American School Counselor Association recommande un ratio d’un.e school counselor pour 250 élèves. En 2021, le rapport officiel de l’Éducation nationale en France indique un ratio d’environ 1 pour 1 500 élèves, même si selon l’APsyEN (Association des psychologues de l’Éducation nationale), un ratio d’un.e professionnel.le pour 600 à 800 élèves serait une norme acceptable pour exercer efficacement. Maurice, exemple à plusieurs niveaux, pourrait-il l’être sur ce plan aussi ?
Un article publié le 29 juillet rapporte que le ministre de l’Éducation reconnaît que le nombre de psychologues scolaires en poste — actuellement 39 — reste largement insuffisant pour répondre aux besoins. Il est même précisé qu’il en faudrait 42 de plus pour offrir un accompagnement adéquat aux élèves en difficulté. Le ministre évoque à ce sujet des contraintes budgétaires, expliquant que de nouveaux recrutements ne pourront se faire qu’à travers les prochains budgets.
Ouvrir un dialogue constructif
Dans ce contexte, nous avons été quelque peu surprises de lire, dans un article paru le 11 août, que « chaque établissement scolaire dispose désormais d’enseignants formés à l’écoute, capables de détecter les signaux de détresse ». Nous nous étions déjà interrogées sur les alternatives que le ministère pourrait envisager en attendant les prochaines dispositions budgétaires, et nous nous demandons, avec prudence, si une formation mise en place dans un délai aussi court permet véritablement de répondre à la complexité et la sensibilité des situations de détresse psychologique vécues par les élèves.
Notre intention ici est d’ouvrir un dialogue constructif : que pouvons-nous mettre en place collectivement pour nous assurer que les équipes éducatives disposent des outils, du soutien et de l’encadrement nécessaires pour faire face à des situations complexes et préoccupantes, dans l’intérêt fondamental des enfants et adolescent.e.s ?
Depuis 2009, à Konekte, nous avons mis en place un service d’écoute et d’accompagnement en milieu scolaire, grâce au soutien de divers partenaires financiers, dont la NSIF comme principal contributeur. À ce jour 21 établissements scolaires bénéficient chaque semaine d’une présence d’un.e professionnel.le en psychologie/de l’écoute dédié.e. à écouter et accompagner des élèves et membres du personnel en souffrance. Cela représente un ratio d’un.e professionnel.le pour 1,133 élèves.
Une ligne d’écoute gratuite par zone ?
Depuis 2020, un service en ligne au 5450 88 88 est aussi assuré par des professionnel.le.s, à la population mauricienne de plus de 12 ans, avec évidemment, le consentement parental obligatoire, comme en milieu scolaire, pour l’accompagnement des mineur.e.s. Chaque année plus de 120 personnes sont aidées de cette manière, aussi, à Konekte. Le ministère pourrait-il, en attendant le prochain budget mettre en place une ligne d’écoute gratuite par zone, avec des professionnel.le.s qualifié.e.s pour les membres de la communauté scolaire qui aurait besoin de soutien psychologique ? C’est juste un partage d’une pratique qui aide. Et cela pourrait peut-être soulager aussi en attendant 2026, avec la condition que des personnes formées et compétentes assurent le service ?
Nous espérons que ce recrutement de professionnel.le.s sera effectivement considéré au prochain budget car il nous semble primordial que le quart de la population mauricienne que constituent les mineur.e.s soit bien pris en charge et en soin. Au vu de la grande vulnérabilité psychique, de la hausse des troubles de santé mentale : états dépressifs et des risques suicidaires, anxiété, troubles de conduites au sein de la communauté scolaire depuis ces dernières années.
Chaque jour au CDU, environ 15 cas d’enfants victimes
En moyenne de 2020 à 2024, parmi les 800 élèves qui accèdent au service d’écoute de Konekte annuellement, 55% rapportent d’être ou avoir été victime d’une forme de violence. De janvier à mai 2025, 59% des 427 jeunes qui ont accédé à nos services dans les 21 établissements secondaires en font état…Ces chiffres ne sont qu’indicatifs et ne représentent qu’environ 6 % du nombre total d’élèves au sein des établissements scolaires secondaires. Cela interpelle néanmoins.
Chaque jour au CDU, environ 15 cas d’enfants victimes sont signalés et nous savons à quel point les situations de violence ne sont pas rapportées par peur, méconnaissance, proximité avec les auteur.e.s, peur, honte, déni, menaces, etc. 100 % des 46 adultes et 6 adolescent.e.s qui accèdent au service d’écoute en ligne sont victimes de violence et 33 % des adultes présentent des symptômes dépressifs, de janvier à mai 2025.
Beaucoup de souffrance qu’il importe de voir, d’entendre et de prendre en considération vue les conséquences tellement importantes des violences sur le développement des enfants, sur les plans physique (troubles somatiques, blessures, mort), psychologique (dépression, troubles du comportement alimentaire, risques suicidaires), sur le plan social (difficulté de faire confiance, impact sur les relations sociales, reproduction éventuelle de comportements agressifs), sur la vie sexuelle, sur la santé mentale.
Gestion des émotions, discipline positive…
Plusieurs enseignant.e.s, le personnel administratif et les responsables d’établissement scolaire se sentent souvent démuni.e.s face à la violence et l’indiscipline. Faute de formation, d’encadrement et de ressources adéquates certain.e.s ont recours à des méthodes répressives comme crier, menacer, humilier, punir, exclure, ou même frapper les élèves malgré l’interdiction et l’illégalité. Ces pratiques ne permettent pas aux élèves d’acquérir les outils nécessaires pour comprendre et gérer leurs émotions, résoudre les conflits de manière respectueuse, ou développer des compétences sociales adaptées. Ces approches risquent d’aggraver la situation à long terme, en renforçant un cycle de violence et en détériorant le climat scolaire.
Une équipe thérapeutique renforcée, bien formée, permettrait aussi que des sessions de sensibilisations/d’informations sur divers thèmes soient menées de manière régulière en milieu scolaire : connaissance de soi, développement de l’adolescent.e, gestion des émotions, discipline positive, etc. Cela rejoint notre 7e recommandation concernant ces sessions auprès des membres du personnel, responsables d’établissements scolaires et conseillers pédagogiques/school inspectors, comme formation continue. Ainsi que nous tentons de l’assurer au mieux, dans les établissements dans lesquels notre équipe thérapeutique assure des services d’écoute et d’accompagnement.
En attendant que l’équipe thérapeutique soit renforcée, tant au ministère de l’Éducation, que celui de la Santé et celui des l’Égalité des genres et du Bien-Etre de la Famille, pour toute situation de violence ; il importera d’agir sur quatre plans pour protéger les enfants. D’abord, croire les enfants quand ils.elles disent être victimes de violence est fondamental. Puis il s’agira d’agir sur le plan social pour les protéger des auteur.e.s de violence. Les actions légales sont requises par le Children Act. Le suivi médical est important pour protéger l’intégrité physique de l’enfant et un suivi psychologique de qualité, en parallèle, contribuera à ce qu’il.elle se sente mieux.
Comme le dit Dr Pierre Sabourin : « la parole de l’enfant a valeur d’appel au secours », pouvons-nous entendre cela et agir efficacement ? Ensemble ?
Emilie Rivet, Teresa Lim Kong, Amélie Saulnier et Mélanie Vigier de Latour-Bérenger, psychologues de l’équipe de direction de Konekte.
Mail : info@konekte.mu