Littérature : 2 femmes assassinées et une survivante, la romancière Nathacha Appanah

Certains hommes passent à l’acte, d’autres non, pour des raisons impossibles à sonder. La romancière mauricienne Nathacha Appanah livre le récit de deux assassinats de femmes, tandis qu’elle est sortie vivante d’une relation qui promettait de mal se finir.
« La Nuit au cœur », publié jeudi, est le roman tête d’affiche des Éditions Gallimard de cette rentrée littéraire en France.
C’est un livre né d’une histoire très douloureuse, longtemps enfouie par son autrice. Elle écrit à ce sujet: « Aucune photo de moi entre l’âge de dix-neuf et de vingt-cinq ans. C’est l’angle mort de ma vie ».
« Ça n’a jamais été mon ambition d’écrire là-dessus », dit-elle à l’AFP.
« C’est vraiment quand je vivais à Bordeaux en 2021 et que Chahinez Daoud a été tuée à quelques kilomètres de chez moi (…) que je me suis sentie prête à en faire une œuvre littéraire et non pas simplement, sans jugement bien sûr, un témoignage ou un récit. Prête à l’envisager de manière romanesque », ajoute la Mauricienne installée en France et âgée de 52 ans.
Cousine
Chahinez Daoud, Algérienne de 31 ans, mère de trois enfants, a été tuée par son mari. En pleine rue à Mérignac, il lui a tiré dessus, l’a aspergée d’essence puis l’a brûlée vive. Ce Franco-Algérien, que la romancière appelle seulement « MB », a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, et doit être rejugé après avoir fait appel.
Autre lieu, autre féminicide d’une mère de trois enfants qui avait le même âge. Emma a été tuée en 2000 par son mari, « RD », qui l’a écrasé volontairement avec sa voiture de fonction. Il a été condamné à 12 ans de prison.
Elle était la cousine de Nathacha Appanah, qui avait appris sa mort en lisant sur internet la presse de leur pays, Maurice.
L’autrice, quant à elle, a vécu avec un homme qui la rabaissait, la coupait de ses proches et est devenu violent. Dans l’une des scènes les plus terrifiantes de « La Nuit au cœur », elle sauve sa peau face à ce « HC » aujourd’hui décédé.
Ces trois destins s’entremêlent. Malgré des issues différentes, un même fonds de violence imprègne ces destinées. Qu’est-ce qui fait que l’autrice est en vie, tandis que les deux autres jeunes femmes ne le sont pas? « Pour dire la vérité, je ne sais pas ».
« Privilège d’écrire »
« C’est un mécanisme qu’on peut décortiquer, avec la montée de l’emprise, le contrôle coercitif, avec un caractère aussi, avec un rapport de force inégal, énormément d’éléments. (…) Je dois avouer que j’ai tenté de comprendre et il y a là quelque chose qui m’échappe. En réalité je n’ai pas très envie de savoir à quel moment pour lui les choses ne se sont pas cristallisées », répond-elle.
Concernant l’assassinat de Chahinez Daoud, « à l’heure où ça s’est passé, entre 18h00 et 18h30 à peu près, dans cette rue, il n’y avait personne. J’ai souvent été là-bas, il y a toujours du monde. (…) Et ce jour-là, il n’y avait personne. Il n’y a que la littérature, je crois, qui peut nous consoler de cet insondable destin », avance la romancière.
La montée des menaces et les efforts de cette mère pour prévenir qu’elle est en danger ont été largement commentés lors du procès, devant les assises de la Gironde en mars. Ils sont exposés avec précision, Nathacha Appanah ayant longuement discuté avec la famille.
D’Emma, en revanche, il reste peu de souvenirs. Le procès de son assassin, en 2006, avait été bref. Et « cela m’a surprise de voir que sa famille avait oublié plein de choses d’elle, dont moi, je me souvenais », remarque l’autrice. « C’est un livre que j’ai eu le privilège d’écrire parce que je suis là ».

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