• « Rodrigues n’a pas progressé comme elle aurait dû »
Rodrigues vient de célébrer les 23 ans de son autonomie. Pour le commissaire à l’Agriculture, Louis-Ange Perrine, qui était de passage à Maurice, les réjouissances auraient été plus complètes si Rodrigues avait atteint le niveau de développement économique et social espéré après deux décennies d’autonomie. Par ailleurs, dit-il, c’est avec un certain intérêt que Rodrigues attend la visite du Premier ministre, Navin Ramgoolam. Les Rodriguais, déclare le commissaire Perrine, veulent l’entendre sur la question de l’avenir de l’autonomie.
Rodrigues a célébré les 23 ans de son autonomie, dimanche dernuer. Dans un contexte politique peu harmonieux, sur fond de référendum sur l’autonomie, quel était l’état d’esprit de l’île à l’occasion de cette célébration ?
La majorité de la population rodriguaise, qui a milité pour l’autonomie de l’île, est déçue. Après plus de deux décennies, l’autonomie a permis des avancées, mais Rodrigues n’a pas progressé comme elle aurait dû. Les opportunités professionnelles restent limitées pour les jeunes Rodriguais par rapport à leurs homologues mauriciens, ce qui entraîne une émigration continue et un manque de professionnels sur l’île. Les écarts se manifestent également dans le développement économique et infrastructurel. Les projets et investissements réalisés à Maurice ne se reflètent pas pleinement à Rodrigues, et la continuité territoriale promise n’est pas encore une réalité concrète. L’économie locale, essentiellement basée sur la production, a souffert : la production a diminué et l’île doit importer de plus en plus de biens. Dans l’ensemble, le bien-être de la population reste une grande question, aggravée par les défis du changement climatique et la rareté de certaines ressources. En pratique, l’autonomie a assuré une certaine stabilité administrative, mais elle n’a pas encore permis une véritable autonomie de développement. La prochaine étape devrait transformer cette autonomie administrative en performance économique et écologique, dans le cadre d’une vision de « Maurice archipélique ». L’évolution de l’autonomie de Rodrigues ne doit pas être perçue seulement comme une dévolution de pouvoir, mais comme une modernisation de la gouvernance territoriale de la République. Rodrigues pourrait s’inspirer du modèle de Zanzibar, où une autonomie pleine est assurée dans un consensus national sans barrières. Pour garantir cette cohésion et un suivi efficace, un conseil conjoint Rodrigues–Maurice apparaît nécessaire. L’autonomie de Rodrigues demeure un atout national. Sa consolidation exige un financement prévisible, une coordination claire, des institutions renforcées et une participation inclusive. Un véritable partenariat Maurice–Rodrigues, fondé sur la solidarité, la durabilité et la prospérité partagée, peut transformer l’île d’une périphérie en un pilier central du futur bleu et vert de la République. Pa servi Rodrigues kouma enn stepne !
C’est le Président de la République, Dharam Gokhool, qui a assité à la cérémonie officielle à Camp-du-Roi. Week-End a appris, de sources sûres, que Rodrigues aurait préféré la présence du Premier ministre, Navin Ramgoolam, et considère son absence comme un affront à la population. Quelle est votre opinion à ce sujet ?
Je ne suis pas au courant de ce que vous avancez. Par contre, je peux vous assurer que nous étions heureux d’avoir à nos côtés le Président de la République, Dharam Gokhool. Nous avons aussi pris connaissance de l’indisponibilité du Premier ministre ; d’ailleurs, il s’est rendu au Royaume-Uni pour une visite privée et effectuer un bilan médical. Les Chagos sont aussi sur son agenda. Nous aurions, bien évidemment, aimé que le PM partage ce moment spécial avec les Rodriguais. Les Rodriguais aimeraient entendre le PM sur la question de l’autonomie. Mais je suis convaincu que Navin Ramgoolam sera des nôtres lors d’une autre occasion. Nous aimerions l’accueillir à n’importe quel moment, car sa présence sera très appréciée. Permettez-moi de partager un souvenir anecdotique avec vos lecteurs. J’étais collégien quand Sir Seewoosagur Ramgoolam était venu à Rodrigues. Il avait visité le collège St-Louis, devenu Rodrigues College, où j’étudiais. Il m’a serré la main et m’a dit : « Tu feras de la politique plus tard. »
Où en est votre gouvernement avec son vœu de référendum ?
Comme vous le savez, il n’y a pas de disposition pour un référendum dans la Rodrigues Regional Assembly Act. La discussion entre le Chef Commissaire et le PM n’a pas encore été débattue à l’Assemblée. Nous attendons la présentation de la motion pour savoir comment nous irons de l’avant avec le référendum. Si le gouvernement nous donne le feu vert, ce sera d’accord. Il restera alors à déterminer quand et comment le référendum sera organisé. Li interesan ki kapav konsilte lepep ek gagn konsansis tou dimounn.
Vous évoquez le consensus : peut-on parler d’unité au sein du gouvernement régional actuellement ?
Il ne faut pas confondre unité et soumission. C’est pourquoi j’apprécie particulièrement la liberté d’expression qui prévaut au sein du Conseil exécutif. Bien entendu, cela ne signifie pas que l’on puisse dire n’importe quoi. Le standing order du Conseil exécutif de l’Assemblée régionale de Rodrigues est clair : le Chef Commissaire doit être solidaire des actions de ses collègues. Cette solidarité n’implique pas d’accepter tout sans discussion. Je déplore les commentaires faits en dehors du Conseil, dans la presse ou sur les réseaux sociaux, et ce comportement doit absolument cesser. C’est ce type d’attitude qui laisse croire, à tort, qu’il n’y a pas d’unité au sein du Conseil.
Vous venez de créer votre parti. Est-ce pour tourner définitivement la page du PMSD ?
Si je veux apporter un changement en profondeur à Rodrigues, je dois fédérer les Rodriguais autour d’un véritable élan patriotique. Sans patriotisme, il ne peut y avoir de progrès. Le Parti Rodriguais Social Démocrate (PRSD) fait partie de l’alliance du gouvernement régional. Avec ma partenaire politique, Ludmie Allas, nous entendons nous présenter aux prochaines élections de l’Assemblée régionale sous la bannière du PRSD.
La réouverture de la pêche à l’ourite a eu lieu le 7 dernier, avec une prise record de 18 tonnes et 420 kg en une demi-journée, contre 16 tonnes et 383,65 kg en 2024. Cette stratégie porte manifestement ses fruits. Vous en êtes évidemment satisfait ?
Par cette stratégie, nous voulons amener les pêcheurs à comprendre l’importance de protéger leur lagon et d’une pêche durable et productive. À Rodrigues, nous abordons la pêche à travers trois visions : une approche fondée sur l’écosystème, l’empowerment des pêcheurs et l’inclusion de la communauté. Le programme de fermeture de la pêche à l’ourite fait actuellement l’objet d’une étude menée par le Professeur Warwick Sauer. Lorsqu’il soumettra son rapport, prévu pour décembre, nous déciderons de la fréquence des fermetures, et envisagerons éventuellement de délimiter des zones de pêche ainsi que de désigner certaines zones comme sanctuaires de reproduction. Nous accorderons une attention particulière à ce rapport, car il concerne un secteur économique important. D’ailleurs, lors de notre dernière exportation vers Maurice, avant la fermeture d’août dernier, nous avons expédié près de 184 tonnes d’ourites. Nous comptons également introduire des règlements concernant l’exportation d’ourites vers Maurice. Ena boukou dezord ladan ! Par ailleurs, nous allons élaborer un plan dédié à la transformation, avec l’appui de la FAO, car les intermédiaires tirent aujourd’hui bien plus de bénéfices que les pêcheurs eux-mêmes. J’ai rencontré Mbuli Charles Boliko, représentant de la FAO pour Maurice, Madagascar, les Seychelles et les Comores. Il était de passage à Maurice et j’ai fait le déplacement pour le voir. La FAO est un partenaire de Rodrigues dans le développement du secteur de la pêche depuis 1987. Nous avons eu une très longue séance de travail consacrée à ce domaine. Nous avons un projet intitulé Technical Corporation Programme et qui prend fin en décembre prochain. Je pense qu’il y a des activités qui doivent se poursuivre au-delà de ce délai.
Mais Rodrigues est-elle suffisamment équipée pour proposer des produits transformés de qualité et diversifiés ?
Pour le moment, la seule transformation pratiquée est le séchage avant l’exportation. D’autres types de transformation nécessitent des normes spécifiques et une structure organisée, comme une coopérative, par exemple. C’est l’objectif de notre collaboration avec la FAO. Nous prévoyons de relancer la production d’ourites précuites pour l’exportation, de remettre en activité l’unité qui, par le passé, faisait griller les ourites, et de travailler sur l’utilisation de l’énergie solaire dans ce processus car l’électricité coûte cher, d’autant qu’il nous faudra installer une chambre froide.