« Si l’on jugeait les choses d’après leur apparence, personne n’aurait jamais voulu manger un oursin », disait le célèbre auteur français Marcel Pagnol. Depuis près d’un an, un petit groupe de cinq pêcheurs de Mahébourg s’est lancé dans l’échiniculture, une aventure folle pour le moins… épineuse, en élevant des oursins de mer, destinés à la consommation.
Le tout en étant encadrés par des spécialistes japonais de la Japan International Cooperation Agency (JICA) dans le cadre du projet de coopération Project for the Improvement of Livelihood of Coastal Communities through the Sustainable Development of Blue Economy. Ils étaient là mardi après-midi lors de la visite de l’ambassadeur du Japon à Maurice, Kawaguchi Shuichiro, qui en a profité pour cuisiner, sur place, un mets à base d’oursins. Un moment de découverte gustative et de convivialité à la japonaise. Reportage.
13h30. L’été bat son plein dans le grand village côtier de Mahébourg. Sur le Waterfront, des badauds se désaltèrent, eau de coco ou “konfi” à la main, appréciant l’air marin de la baie du village. À une centaine de mètres, devant La Maison des Pêcheurs, les cinq pêcheurs de la Brand Coral Multipurpose Cooperative Society s’affairent à s’occuper de leur ferme d’un tout autre genre. « On est tous des enfants de Mahébourg, des pêcheurs », lance Benyamin Fangoo, secrétaire de l’association. Ces cinq pêcheurs ont en effet décidé de se jeter à l’eau en se lançant dans cette activité d’aquaculture d’oursins, qu’ils espèrent voir grandir au fil des ans.
Avec minutie, ils nettoient, décortiquent et dépècent les oursins pour l’ambassadeur japonais, qui attend l’ingrédient principal de ses pâtes. Double événement donc : d’abord pour pouvoir assister en direct à la préparation de l’oursin, et en goûtant pour la première fois à ce fruit de mer très prisé au Japon, mais aussi parce que ce bon petit plat aura été préparé par l’ambassadeur en personne !
Hervé de Robillard, autre membre de l’association, précise que tous les oursins ne sont pas comestibles. Ainsi, dit-il, « l’oursin de couleur rose est à éviter ». En revanche, la chair de l’oursin marron, soit le “gona”, est « un petit trésor de la mer ». Considérée comme un produit de luxe, elle est généralement utilisée dans la haute gastronomie. « Nous ne savions pas que nos oursins avaient autant de valeur », ajoute Vikram Ramgoolam, président de la coopérative.
Les oursins nourris de légumes et de fruits
La coopérative, composée de Dhiraj Boodhoo, Vikram Ramgoolam, Lilawtee Ramgoolam et Deevesh Beetunee, ne s’occupe cependant pas que des oursins, mais aussi d’autres produits de la mer, dont des poissons salés ou fumés. Qui plus est des produits locaux 100% mahébourgeois.
Benyamin Fangoo explique que le projet d’aquaculture d’oursins a commencé en octobre de l’an dernier. Un travail de longue haleine, car n’est pas cultivateur d’oursins qui veut. « On a dû préparer les casiers, aller chercher les oursins en mer, et ensuite prendre des restes de légumes des marchés pour pouvoir les nourrir », explique-t-il.
Ainsi, les oursins sont élevés près de l’îlot Mouchoir Rouge, et c’est uniquement à marée basse que les pêcheurs peuvent aller les nourrir ou les récolter. « On les nourrit avec des fruits et des légumes », précise Dhiraj Boodhoo, qui s’affaire, sans gants, à nettoyer des oursins. « On a l’habitude. Avec le temps, on a fini par développer les techniques qu’il faut pour ne pas se piquer avec les épines », dit-il.
Saviez-vous que ces animaux étaient cannibales ? « C’est pour cela qu’on ne peut pas placer trop d’oursins dans un même casier. Sinon ils se mangent entre eux », lance Benyamin Fangoo, qui a visiblement développé une réelle passion pour ces « petites bêtes ».
En attendant, l’heure presse, et les pâtes de l’ambassadeur sont quasi cuites. Grand passionné de cuisine, Kawaguchi Shuichiro a souhaité, à sa manière, remercier les pêcheurs de Brand Coral pour leur travail acharné.
De couleur légèrement ocre, la chair des oursins est servie crue sur les pâtes à la crème de l’ambassadeur. Au goût, c’est littéralement Mahébourg en pleine bouche. Goûtu, salé comme il le faut, et rempli de saveurs, le “gona” d’oursins est une petite pépite gustative à essayer au moins une fois dans sa vie. « J’ai donné un peu de pâtes à goûter aux personnes âgées d’à côté. Elles avaient presque les larmes aux yeux, car elles ne savaient pas qu’il y avait là, sous leurs yeux, dans leur mer qu’elles connaissent par cœur, un mets aussi savoureux », explique Hervé de Robillard.
En plus des pâtes aux oursins, nous avons aussi eu droit à un gâteau aux fruits secs, toujours préparé avec soin par l’ambassadeur japonais ! Une expérience inédite et authentique, loin des grands restaurants 5 étoiles et des couverts qui n’en finissent plus. Si les oursins ne sont pas encore prêts pour la vente, et que les pêcheurs continuent à perfectionner leurs techniques aux côtés des spécialistes japonais de la JICA, gageons que cette nouvelle industrie niche trouvera preneurs, tant pour la qualité du produit que pour le savoir-faire et la passion des cultivateurs de Brand Coral. En tout cas, nous, nous sommes conquis !
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Ataka Mugiho (spécialiste en aquaculture) : « Les ressources se font rares dans le lagon »
Le Dr Ataka Mugiho, de l’Oafic Co Ltd, accompagne depuis près d’un an les pêcheurs de Brand Coral. Spécialiste dans le domaine de l’aquaculture, il explique que « les ressources se font rares dans le lagon » et qu’il est donc « important de trouver d’autres moyens pour permettre aux pêcheurs de gagner leur vie ».
Pendant un an, il a ainsi partagé son savoir-faire sur l’échiniculture avec les pêcheurs locaux. « Ce n’était pas facile au début, mais les pêcheurs mauriciens ont beaucoup de volonté et ont vite appris », dit-il. Ce projet, qui a vu le jour à Mahébourg, devrait s’étendre à d’autres régions. « Nous lançons un appel aux personnes qui seraient intéressées à en savoir plus sur l’échiniculture », conclut-il.
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Kawaguchi Shuichiro (ambassadeur du Japon) : « L’autonomisation des pêcheurs est une priorité »
En plus d’avoir eu l’occasion de cuisiner avec un produit frais, sorti tout droit de la mer, l’ambassadeur japonais s’est dit ravi de sa visite. « Il s’agit d’un bel exemple de coopération entre Maurice et le Japon. Nous souhaitons épauler les pêcheurs locaux pour les aider à développer leurs propres entreprises en leur partageant nos techniques et notre savoir-faire. Le but est aussi de développer l’économie bleue et de créer des Value-added Projects », dit-il. Il soutient aussi que l’ambassade et la JICA mettent l’accent sur « l’autonomisation des pêcheurs de la région », qu’il qualifie de « priorité ».