Après l’achat surprise de trois nouveaux avions A350-900, à peine les portes du salon du Bourget ouvertes, dans une conjoncture annoncée de meilleure santé économique pour la compagnie aérienne nationale, Air Mauritius demeure dans les hauts faits de l’actualité avec cette fois l’institution d’un comité disciplinaire pour une l’hôtesse de l’air suite à ses déclarations et commentaires sur une radio privée qu’elle a faits en tant que cheffe du syndicat de l’Air Mauritius Cabin Crew Association (AMCCA).
Si Yogita Baboo, que Week-End a sollicitée, s’est muée dans le silence, en attendant des développements à venir sur le plan judiciaire, le syndicaliste de la puissante State & Other Employees Federation (SOEF), Radhakrishna Sadien, qui la soutient fortement depuis le début de cette affaire, fustige cette action de la direction d’Air Mauritius, qui non seulement est en infraction flagrante à la loi du travail locale et aux dispositions des conventions du Bureau International du travail (BIT/ILO), pourtant signées par le gouvernement mauricien, mais aussi parce que MK n’a pas honoré les engagements pris lors d’une réunion de conciliation au ministère du Travail il y a quelques semaines.
Radhakrishna Sadien a confirmé à Week-End que la cheffe du syndicat des Cabin Crew, Yogita Baboo, a reçu une lettre du département des ressources humaines d’Air Mauritius la semaine dernière la convoquant pour un comité disciplinaire, le mercredi 5 juillet prochain à 14 heures, au Paille-en-Queue Court. Aux dires de ceux qui ont eu accès à la lettre de convocation signée de la Human Ressource Manager, la menace à peine voilée d’une sanction de « dismissal » est brandie si les explications fournies par la syndicaliste ne sont pas satisfaisantes à la direction d’Air Mauritius.
Autant dire qu’en instituant ce comité disciplinaire, malgré le désaveu du Bureau international du Travail, la compagnie aérienne nationale donne l’impression de ne pas écarter la possibilité de se débarrasser de l’encombrante syndicaliste Yogita Baboo, quitte à payer des millions de roupies de dommages par la suite pour un « abusive dismissal », une goutte d’eau pour Air Mauritius, eu égard aux milliards dépensées sans compter par le management pour l’achat des avions et d’autres activités de promotion bien arrosées.
C’est pour cette raison que la partie défenderesse ne compte pas rester les bras croisés et envisage des actions judiciaires d’envergure pour contrer cette offensive de la direction de MK. Par ailleurs une pétition « Stop the Disciplinary Committee » a été mise en ligne pour susciter le soutien des autres employés d’Air Mauritius, mais aussi de la population mauricienne dans son ensemble à ce qui ressemble à la volonté de réduire à néant toute résistance ou contradictions aux divers pouvoirs en place ces jours-ci dans le pays.
Une pétition contre la persécution en cours
Cette pétition (voir hors texte) en appelle « au soutien inconditionnel et total à la présidente de l’AMCCA, Mme Babboo Rama Yogita, contre la persécution en cours, à savoir,
a) Congé prolongé sans salaire/pas d’accès au lieu de travail, pas de couverture d’assurance, pas de fonds de prévoyance ;
b) Gagging Order. Elle est victimisée sur le plan personnel alors qu’elle s’acquitte de son devoir de syndicaliste qui s’est maintenant transformé en comparution devant un comité de discipline. »
Le soutien à la syndicaliste est unanime si l’on s’en tient aux premiers commentaires enregistrés avec la pétition qui disent en substance : « oui, je signe cette pétition » ; « Dire NON à l’intimidation ! » ; « Avoiding injustice » ; « Courage and commitment deserves respect and rewards » ; « Yogita did the right » ; « Truth cannot be silenced », « Areet faire domineer are dimoune », alors qu’il y en a qui souhaite une solution négociée : « Trusting the good faith of all stakeholders, I believe in solutioning situations in the most conducive manner. »
Cette convocation et menace de licenciement à peine voilée fait suite à son intervention à une émission radio de Top FM le 25 avril dernier où, selon le management d’Air Mauritius, elle aurait exprimé des observations à l’encontre de la compagnie aérienne nationale. Il lui est notamment reproché d’avoir fait des déclarations qui seraient « in breach of your obligations as an employee towards the company… in breach of our code of Ethics and business Conduct in breach as an employee of the company…, in breach of the Data Protection Act 2017 », alors qu’il était clairement annoncé dans ladite émission qu’elle intervenait en tant que syndicaliste dans le cadre de la loi du travail de la République de Maurice.
Radhakrishna Sadien, président de la State & Other Employees Federation et aussi négociateur de l’AMCCA, déplore cette attitude qu’il qualifie d’ “abusive” du management et du Human Ressource de MK.
Violation du droit syndical
« Pour moi, c’est une violation pure et simple du droit syndical », déclare-t-il avec une certaine colère à l’encontre d’Air Mauritius, qui a failli aux recommandations du ministère « d’être raisonnable » lors d’une récente réunion de conciliation, en gardant le silence jusqu’à l’envoi de cette lettre de convocation à un comité disciplinaire, au lieu de poursuivre les discussions pour une solution négociée.
Le syndicaliste d’expérience de la fonction publique insiste que Yogita Baboo, employée en tant qu’hôtesse de l’air d’expérience, a agi en tant que présidente du syndicat et a le droit de représenter ses membres dans n’importe quelles instances, y compris parler avec la presse. D’ailleurs, la section 31 B (1) de l’Employment Relations Act (“No person shall discriminate against, victimise, or otherwise prejudice a worker for his involvement in trade union activities”) fait provision pour que les syndicalistes opèrent sans qu’il n’y ait aucune interférence de la part de l’employeur. De même, outre la convention 98 du BIT, ratifiée par le gouvernement mauricien, qui stipule, selon l’article 1, que “workers shall enjoy adequate protection against acts of anti-union discrimination in respect of their employment”, la convention 190 du BIT sur la violence et le harcèlement au travail est aussi explicite. À savoir que selon la constitution du BIT, (article 22), tous les États membres ont une obligation de faire un rapport régulièrement sur les mesures qui ont été prises pour donner effet à cette convention.
« Ce qui est drôle, c’est qu’elle a reçu sa première lettre de demande d’explication la veille de son cross-examination par l’Employment Relation Tribunal », ce qui démontre qu’elle est une cible, un maillon qui dérange la chaîne d’action et de dénonciation des maldonnes au sein de l’entreprise Air Mauritius Ltd dirigé par le CEO, Kresimir Kucko, et comme ultimate décideur, Ken Arian, représentant du GM à la tête d’Airports Holdings, unique actionnaire de MK aujourd’hui.
Pour Radhakrishna Sadien, le ministère du Travail a le pouvoir et devoir d’agir, “car nous avons fait une plainte devant le ministère”. En effet, dans l’Employment Relations Act, il est aussi prévu des sanctions pour les employeurs qui violent cette section de la loi concernant l’indépendance du syndicaliste. Ce qui choque, c’est que malgré le fait que ministère du Travail avait convoqué MK la dernière fois pour lui dire qu’elle devait être raisonnable, la compagnie persiste. « Clairement, c’est du harcèlement ! MK pe azir d’une façon illégale, et ce faisant, Air Mauritius est en train de créer un très mauvais précédent », a déclaré le syndicaliste à Week-End hier. Le syndicaliste ajoute que « ce faisant, li pe sali repitasion de Maurice sur le plan international, car nous avons déjà alerté les instances internationales dédiées. » Yogita Baboo a même reçu personnellement le soutien de ces instances internationales.
Il annonce avoir adressé, samedi, une lettre au ministre du Travail pour l’informer des tenants et aboutissants de cette affaire et lui demander d’agir une fois pour toutes. La balle est aujourd’hui dans le camp du ministre Soodesh Callichurn, qui a été informé des derniers développements, dont la convocation abusive à un comité disciplinaire, le mercredi 5 juillet prochain. Le ministre est alors personnellement informé que « the Federation considers this as an act of intimidation and harassement against the president of AMCCA who has this same moment to be cross-examined in the ERT regarding industrial relation issues at the Air Mauritius Ltd. This decision of the Management of Air Mauritius constitues a violation of fundamental trade union rights !… Note that the case fixed for cross-examination in front of the Employees Relations tribunal is scheduled on the 17th of July.»
Il conclut sa lettre en disant qu’il y a « reasonable grounds to believe that Miss Baboo is being subjected to victimization and discrimination on the ground of her trade-unions activities which constitutes an offence under section 31 (1) Bb (iii) and that the employer is liable to prosecution under 2 (b) of the employment Rights Act. » Il demande au ministre d’agir en intimant la direction d’Air Mauritius de « fully comply with the provisions of the ERA Act »…
La machinerie étatique
En conclusion, le syndicaliste a annoncé à Week-End que concernant le comité disciplinaire, il n’aura pas d’autre choix que de prendre une action légale. Il a déclaré être d’ailleurs en consultation avec ses hommes de loi. Affaire à suivre cette semaine…
En attendant, Yogita Baboo, jeune femme de conviction, courageuse et déterminée à se battre pour les droits de ses collègues et les siens, se terre dans le silence avant de retourner dans l’arène. Elle a besoin de soutien, car aujourd’hui, elle se trouve face à l’hostilité de son employeur, mais aussi à la machinerie étatique. La réponse du ministre de la Santé, Kailesh Jugatpal, à une demande de la part de la députée Anquetil au Parlement récemment d’une possible voie de conciliation avec le ministre Callichurn, la syndicaliste, MK et lui-même, est troublante de faux-fuyants.
À l’injustice et à l’intolérable abus d’autorité, il suffit d’une étincelle pour que le feu se propage. Demandez à Emmanuel Macron ce qu’il en pense… !Stéphanie Anquetil: “Cherche-t-on à museler la liberté d’expression syndicale?”
“Maurice a-t-elle basculé dans une autre dimension? Cherche-t-on à museler la liberté d’expression syndicale? Cherche t-on à neutraliser le droit syndical de l’employée syndicaliste Mrs Yogita Baboo?”, C’est autant de question que se pose la députée PTr Stéphanie Anquetil, qui d’ailleurs a interpellé mardi dernier, le ministre de la Santé, Kailesh Jagutpal, au sujet des employés d’Air Mauritius, dont la syndicaliste Yogita Baboo, qui ne sont pas vaccinés, et toujours interdits de travail. Mais le ministre s’est muré derrière une action en cour pour ne pas avoir à prendre position. Alors que la plupart des compagnies aériennes internationales ont permis à leur personnel navigant non vaccinés de reprendre le travail, cette discrimination spécifique persiste chez MK. C’est la seule catégorie d’employés pour laquelle l’exigence des 3 doses de vaccin est maintenue et sans possibilité de présenter un test PCR négatif en alternance”, dit-elle. La députée souligne avoir aussi réclamé une table ronde avec les ministères de la Santé, du Travail, le SLO et Air Mauritius pour trouver une solution pour ces 15 familles qui ne perçoivent pas de salaire depuis février 2022 et qui avant février 2022 percevaient deux mois de salaire sur deux. Sans succès. “Mon rôle de députée c’est aussi de protéger la démocratie alors je ne vais pas baisser les bras et je reviendrai à la charge”, prévient-elle. Concernant le comité disciplinaire auquel la présidente de l’AMCCA doit faire face ce mercredi, Stéphanie Anquetil est d’avis que “c’est tout simplement un acharnement de la direction de MK envers Yogita Baboo. C’est inacceptable et je ne peux rester les bras croisés devant tant d’injustice”.
Pétition contre le comité disciplinaire de la présidente de l’AMCCA
Nous, employés d’Air Mauritius Ltd.et citoyens de la République de Maurice, conjointement et In Solido, apportons notre soutien inconditionnel et total à la présidente de l’AMCCA, Mme Babboo Rama Yogita, contre la persécution en cours, à savoir
1. a) Congé prolongé sans salaire/pas d’accès au lieu de travail, pas de couverture d’assurance, pas de fonds de prévoyance
2. b) Gagging Order. Elle est victimisée sur le plan personnel alors qu’elle s’acquitte de son devoir de syndicaliste qui s’est maintenant transformé en comparution devant un comité de discipline.
Nous condamnons fermement la commission disciplinaire constituée à l’encontre de la présidente de l’AMCCA exerçant ses droits constitutionnels/syndicaux en tant que présidente d’un syndicat conformément à : a) b) c) Statuts et règlements de l’association (règle Il) paragraphe 4 « Militer contre toutes les formes de mauvaise administration chez Air Mauritius Ltd » En ce qui concerne les dispositions de l’article 30 de la loi sur l’emploi en ce qui concerne les relations (sécurité d’occupation). Conventions 87 et 98 de l’OIT ratifiées par le gouvernement mauricien qui prévoient la protection des employés en tant que représentants syndicaux. En outre, nous, pétitionnaires, demandons au conseil d’administration d’Air Mauritius Ltd d’intervenir immédiatement pour arrêter toutes les procédures dudit comité de discipline contre le président de l’AMCCA afin de promouvoir de bonnes relations professionnelles au sein de l’entreprise.