L’utilisation de cette aide sociale, qui est passée à Rs 1,046 par enfant scolarisé, est détournée de son but initial par certains bénéficiaires
Rs 33.3 millions est le montant que le ministère de l’Intégration Sociale a déboursé en 2021-2022 pour assurer que près de 6,000 enfants, dont les parents sont des bénéficiaires du Registre Social de Maurice, vont à l’école. Certains foyers utilisent la Monthly Child Allowance (Rs 1,046 Budget 2022-2023) accordée par enfant scolarisé pour payer leurs factures ou autres dépenses courantes, alors que le but de cette allocation est de soutenir l’achat des besoins en nourriture ou autre matériel des enfants, à la condition qu’ils respectent le taux de présence de 90% chaque mois.
Même si Sarita percevait une Child Allowance mensuelle, elle avait déscolarisé son enfant. Son fils, 7 ans et qui se porte bien, n’avait pas été à l’école depuis la reprise des classes en présentiel, le 2 février dernier. Sa mère explique qu’elle a déscolarisé l’enfant pour des raisons financières. « Je n’ai pas d’argent pour lui acheter ce dont il a besoin pour aller à l’école et de quoi lui donner à manger pour son déjeuner », affirme Sarita, 40 ans. Le garçon, qui est en Grade I, est retourné en classe jeudi dernier, pour la première fois après 5 mois passés à la maison à jouer seul, dessiner et s’ennuyer.
Sans ce retour à l’école, Sarita ne percevra plus l’allocation dont elle a droit parce qu’elle est inscrite au Social Register of Mauritius (SRM). D’ailleurs, parce qu’elle en est bénéficiaire, Sarita a été relogée dans une maison sociale, il y a quelques mois. Toutefois, ayant déscolarisé son enfant pendant une assez longue période, elle n’a pas touché son allocation du ministère de la Sécurité Sociale. Et pour que son fils puisse reprendre les classes, Sarita a emprunté Rs 200 d’une proche. L’enfant doit prendre le bus pour aller à l’école. « Les Rs 200 c’est pour payer mon ticket du bus aller/retour le matin et l’après-midi, car je l’accompagne à l’école. Et pour acheter de quoi mettre dans son pain pour son déjeuner. Mo’nn resi tras enn Rs 200 pou avoy li lekol enn zour. Mo dir ou fran, mo pa kone kouma mo pou fer pou truv kas pou mo re-anvway li lekol », avoue Sarita.
Aucun contrôle sur l’utilisation de l’allocation
Si son enfant s’absente de l’école pendant plus de 4 jours au cours du mois de juillet et que le taux de présence comptabilisé est moins de 90%, Sarita sera pénalisée et ne touchera pas la totalité des Rs 1,046 (Budget 2022-23) de la Child Allowance. Si elle compte sur cette allocation, ce n’est pas pour uniquement assurer que son enfant ait le nécessaire afin d’être scolarisé. « Je ne vais pas vous mentir, la Child Allowance m’est d’un grand secours. Cette allocation m’aide à payer les factures et les dettes qui ne cessent de s’accumuler », confie Sarita.
Nouvelle bénéficiaire d’un logement social, Sarita doit s’acquitter d’une mensualité de Rs 3,000. Ses factures d’électricité sont restées impayées depuis un certain temps. Elle a aussi des ardoises non réglées auprès des magasins. « Pou tanto mo’nn resi gagn diri pou kwi. Kan mo zenfan pou sorti lekol, sa mem li pou manze. Sinon, li pou manz enn minn Apollo an trwa fwa », dit-elle. Depuis que son compagnon, aide maçon journalier, est en arrêt de travail, après une chute sur un chantier, l’argent ne rentre plus dans le foyer.
Sarita est bien loin d’être la seule à compter sur la Child Allowance pour assurer les nécessités de son foyer. Le ministère de la Sécurité Sociale, plus particulièrement la Social Integration Division chargée de recueillir les données sur le taux de présence des enfants scolarisés du SRM, n’a aucun contrôle sur l’utilisation de l’allocation. Au bout du compte, ce qui importe c’est la présence des enfants en classe. Alors que le but initial de cette allocation est d’encourager la scolarité et l’apprentissage des enfants issus des foyers les plus fragilisés, économiquement.
Bénéficiaire de la Child Allowance, Cindy, mère qui élève seule ses deux enfants, en Grade 2 et 3, respectivement, reconnaît que ceux-ci ne savent ni lire et ni écrire correctement. « Mon fils est suivi à l’hôpital pour des troubles psychiatriques. Il ne dort pas sans la prise de médicament. Je l’envoie à l’école normale, il est dans une classe du mainstream et non spécialisée. Mais l’école ne m’a jamais appelée pour me parler de son niveau », affirme la jeune femme, qui perçoit une allocation de Rs 2,000. « Pas assez, au vu des dépenses et de leurs besoins », dit-elle.
Chaque trois mois, tous les maîtres d’école sont tenus d’envoyer (en ligne) le taux de présence des enfants du SRM à la Social Integration Division, laquelle est placée sous la responsabilité du secrétaire permanent du ministère de tutelle. Toutefois, les écoles recueillent les données sur une base mensuelle. Le paiement aux familles se fait après que la Social Integration Division ait pris connaissance des informations qui lui sont parvenues. Les parents dont les enfants s’absentent pendant plusieurs jours doivent présenter un certificat médical, en cas de maladie, ou justifier l’absence lorsqu’il s’agit de toute autre raison valable. Leur Child Allowance est alors maintenue. Après l’exercice budgétaire 2021-2022, le ministère de la Sécurité Sociale avait décaissé Rs 33.3 millions pour le paiement de cette allocation pour enfants.
Payer les cours privés de PSAC
Virginie, veuve ayant à sa charge deux filles en Grade 6, confie, pour sa part, que l’allocation de Rs 3,000 pour assurer leur scolarité ne suffit pas. Elle explique qu’elle utilise cet argent exclusivement pour ses enfants. Tous les mois, elle prélève Rs 1,000 pour payer les cours particuliers de ses enfants. « C’est une dépense prioritaire », dit-elle, car ses filles vont concourir aux prochains examens du Primary School Achievement Certificate. Son allocation finance l’achat de produits alimentaires et hygiéniques pour ses filles. »Le prix de la nourriture pour les enfants, dont le lait, les céréales, le fromage, le beurre et tout ce qu’il leur faut pour le pain de l’école a augmenté. Quand j’ai mis tous ces produits dans le panier, il ne me reste que de quoi pour acheter leur gel pour le bain, car elles ont des soucis dermatologiques, et les serviettes hygiéniques », avance Virginie. Pour l’argent de poche de ses filles et les autres dépenses courantes qu’elle doit encourir pour l’école, Virginie puise dans sa pension de veuvage qui est passée de Rs 9,000 à Rs 10,000. « Les Rs 1,000 supplémentaires me sont d’une grande aide, dit-elle. Avant je n’achetais qu’un œuf, maintenant je peux acheter un plateau ! »