La récente décision du conseil des ministres sur l’usage temporaire de certains plastiques non biodégradables, notamment pour certains usages alimentaires, a suscité de nombreuses réactions, parfois présentées comme un recul. La réalité est tout autre : depuis 2021, Maurice progresse, étape après étape, vers une transition plastique plus responsable, et la mesure annoncée s’inscrit pleinement dans cette dynamique.
L’Association des Manufacturiers Mauriciens (AMM) salue l’adoption de la Roadmap for a Plastic Pollution-Free Mauritius, une stratégie élaborée conjointement par le gouvernement, le secteur privé dont l’industrie manufacturière, les ONG et les experts. Aujourd’hui, Maurice dispose d’un cadre intégré, fondé sur la donnée et conçu pour fonctionner dans les réalités industrielles, économiques et alimentaires du pays.
Depuis quatre ans, le moratoire sur certains plastiques a servi de période de transition active. Il a permis de retirer du marché de nombreux plastiques à usage unique, d’accélérer l’écoconception, de former les entreprises, d’investir dans la recherche et de réduire des tonnages réels de déchets destinés à l’enfouissement.
La prolongation actuelle n’est donc pas une marche arrière, mais un ajustement lucide, rendu nécessaire par l’absence, à ce stade, d’alternatives techniquement viables et économiquement accessibles pour certains emballages alimentaires essentiels comme les yaourts, les margarines ou les viandes sous vide. Il s’agit là d’un impératif de sécurité alimentaire, et non d’un choix politique.
Une première : les importateurs concernés
Le véritable changement de cette nouvelle phase, est l’intégration de tous les acteurs de la chaîne de valeur (Level Playing Field), y compris les importateurs qui représentent près de 80 % des aliments consommés à Maurice. Pendant longtemps, seuls les manufacturiers locaux étaient soumis à des obligations environnementales.
Désormais, avec un cadre commun de transparence et de reporting, Maurice disposera de données fiables, de gisements mieux identifiés et d’une capacité accrue à orienter les plastiques vers les bons exutoires. Ce n’est pas une opposition, c’est un progrès collectif qui renforce la cohérence et l’équité de la transition.
Innovation : une politique pilotée par les données
La Roadmap introduit d’ailleurs une innovation majeure : pour la première fois, la politique plastique mauricienne sera pilotée par la donnée afin de structurer les filières de valorisation des déchets à venir. Les déclarations obligatoires, le reporting harmonisé et la consolidation nationale des volumes permettront de connaître précisément ce qui est produit, importé, consommé, recyclable ou non. Aucune transition durable ne peut se faire sans cela. Maurice comble enfin ce manque structurel.
Inspirée des meilleures pratiques internationales, et notamment du modèle européen à horizon 2040, cette stratégie repose sur des sous-comités techniques, un dialogue public–privé permanent et une logique d’amélioration progressive. Elle adapte à l’échelle d’un petit État insulaire des standards mondiaux qui nécessitent, partout ailleurs, des décennies de mise en place.
Industrie mauricienne engagée
Dans cette dynamique, l’industrie mauricienne a déjà fait sa part, souvent dans l’ombre. Depuis 2021, plusieurs initiatives concrètes ont vu le jour :
une REP pilote financée sur fonds propres par Sofap, Maurilait, PIM et Green Impact ;
le remplacement progressif des pots de glace par du carton chez Maurilait et Innodis ;
la circularité des bacs de 5L entre Maurilait, les hôtels et PIM ;
la réduction d’épaisseur de plusieurs catégories d’emballages ; des efforts continus de récupération et de recyclage ; et
la montée en compétences grâce à des programmes d’écoconception et de Life Cycle Assessment. L’industrie n’est pas en attente, bien au contraire, elle est en mouvement.
Ces avancées se traduisent déjà par des résultats mesurables au sein de plusieurs entreprises locales, illustrant la capacité du secteur industriel à agir concrètement et rapidement. À titre d’exemple, Maurilait (groupe Eclosia) a mis en œuvre un ensemble d’actions de réduction à la source et de substitution d’emballages, permettant une réduction annuelle de 110 tonnes de plastique. Dans la même dynamique, Innodis a renforcé ses programmes d’éco-conception et de valorisation des déchets, atteignant une déviation de 100 tonnes de plastique sur la période 2024-2025.
Parallèlement, l’économie circulaire prend une place croissante dans les chaînes de valeur mauriciennes. Plastic Industry Mauritius (PIM Ltd.) en est un exemple significatif : l’entreprise a réintroduit 300 tonnes de plastiques recyclés dans son processus de production sur l’année passée, réduisant ainsi la dépendance aux matières vierges et favorisant un cycle de production plus responsable.
Cette dynamique s’étend également aux acteurs de la distribution et de l’approvisionnement. Mauritius Oil Refineries (Moroil Ltd.) a, de son côté, lancé un projet pilote en 2022, aujourd’hui en pleine croissance, visant à développer des solutions de vrac à destination du BtoB. Rien que sur l’année passée, cette initiative a permis la déviation de 16 tonnes de plastique, grâce à la réduction des bouteilles et galons en PET utilisés.
Une optimisation qui démontre qu’en repensant les modes de livraison et de consommation, il est possible de diminuer certains emballages plastiques tout en maintenant l’efficacité logistique et la qualité de service.
Soutien nécessaire aux PME
La transition n’épargnera toutefois personne, et les petites et micro-entreprises doivent être accompagnées. L’AMM insiste sur la nécessité d’un soutien adapté pour éviter une fracture dans l’économie. Elle rappelle également que la réussite passe par l’adhésion des consommateurs : même certains pays les plus avancés n’atteignent qu’environ 60 % de tri correct après 25 ans de pédagogie. Maurice devra engager ce travail dans la durée.
Transition plastique responsable
Au regard de ces éléments, une vérité s’impose : Maurice n’a pas reculé. Elle franchit une nouvelle étape, plus réaliste, mieux structurée et plus équitable. L’AMM réaffirme son engagement à soutenir une transition plastique responsable, scientifique, progressive et adaptée à notre réalité insulaire. Elle appelle toutes les parties prenantes – Gouvernement, industriels, importateurs, PME, ONG et consommateurs – à poursuivre ensemble cette trajectoire de progrès pour bâtir une économie durable, résiliente et respectueuse de notre environnement.
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Jean-Pierre Lim Kong, CEO, Innodis
« Pas encore d’alternatives réellement viables »
« Chez Innodis, nous accueillons favorablement la décision du conseil des ministres sur l’extension du moratoire. Nous y voyons une décision pragmatique, qui tient compte à la fois des efforts déjà entrepris par les industriels locaux pour réduire l’usage du plastique non biodégradable, de l’absence actuelle d’alternatives techniquement viables pour certains emballages alimentaires, et des enjeux industriels et concurrentiels auxquels nous faisons face sur le marché mauricien.
« Concrètement, nos emballages les plus concernés sont les pots de yaourt et de crème glacée, ainsi que les sachets utilisés pour le poulet réfrigéré ou surgelé. Nous avons déjà initié plusieurs actions structurantes : le passage au carton pour une partie de nos gammes de glaces, l’amélioration de la recyclabilité via l’introduction de bioplastiques comme le PLA pour notre kéfir, notre lait caillé et nos petits pots, ainsi que l’usage de films compostables. Nous avons aussi déployé des bacs réutilisables de 5 litres pour le secteur hôtelier et la restauration.
« Ces initiatives nous ont permis de détourner à elles seules 100 tonnes d’emballages de l’enfouissement en 2024. Parallèlement, nous avons renforcé la gestion responsable de nos déchets – cartons, papier, palettes, déchets électroniques et métaux – évitant ainsi 94 tonnes supplémentaires d’enfouissement la même année, en collaboration avec des acteurs engagés tels que WeCycle, DKD, BEM Recycling et Pallet World.
« De plus, il n’existe pas encore d’alternatives réellement viables pour certains usages alimentaires. Les plastiques biodégradables testés ne garantissent pas toujours la sécurité alimentaire : résistance insuffisante à l’humidité, risques accrus de contamination bactérienne, performances limitées en environnement congelé, inadéquation avec le remplissage à chaud – notamment pour les flans – ou incapacité à résister aux températures et pressions élevées nécessaires pour des produits stérilisés comme notre boisson Olé. Dans plusieurs cas, les alternatives disponibles sont produites en volumes insuffisants et demeurent nettement plus coûteuses. »
Yashveer Takoordyal, COO, Freelance Distributors
«Un aspect économique qui impactera sur le prix final »
« Nous produisons les biscuits Subana entre autres. Nous reconnaissons qu’il est essentiel de diminuer le plastique dans nos emballages. Nous avons une vraie problématique. Nous étudions actuellement la faisabilité de remplacer nos tray (plateau) en plastique recyclable de nos boites de biscuits par des trays en carton. Cela vient avec des défis bien réels.
« D’abord, le biscuit est un produit alimentaire qui contient, entre autres, du beurre. Cela va automatiquement imbiber le carton. Le consommateur voudra-t-il de nos biscuits emballés ainsi ? Ensuite, un tray en plastique coute moins d’une roupie tandis que le tray en carton coute presque trois roupies. C’est un aspect économique qui impactera sur le prix final.
« Le marché mauricien est trop petit pour intéresser les producteurs de matériaux alternatifs. En tant que producteurs, nous intégrons déjà des plastiques recyclables dans nos emballages. Mais si ces emballages ne sont ni collectés, ni triés, ni recyclés, ou s’ils sont simplement jetés dans la nature, nos efforts ne suffisent pas.
« La responsabilité doit être collective : sans un système national de récupération et sans gestes responsables du consommateur, il est impossible de fermer la boucle et de réinjecter ces matériaux dans la production. »

