À Maurice courant juillet avant d’entamer une tournée au Canada durant cette première quinzaine d’août, Yannick Nanette, qui a posé sa valise en Suisse il y a 14 ans, met « sa nostalgie au service de sa création ». Dans une rencontre avec Le Mauricien à l’occasion de la première partie du concert d’Éric Triton qu’il a assurée aux côtés de Nathaniel Letandrie, à l’Institut français de Maurice récemment, il revient sur ses débuts et présente son dernier album Sadela/The Two, du Blues créole. Une pépite empreinte de nostalgie, à découvrir.
Né à Goodlands il y a 41 ans, Yannick Nanette découvre la musique très tôt. « Dan Moris, dan dimans, papa pran enn laguitar, tonton komans sante, lot pran enn triang… finalement to trouv toi ladan ». Issu d’une famille catholique, il poursuit son apprentissage musical au sein de l’église et par la suite à l’école et au collège, malgré les difficultés qu’il a rencontrées, surtout au sein de la famille. « Mon père était un artiste mais il n’avait pas réussi comme il le souhaitait et il ne voulait pas que je connaisse la même déception. Il me disait toujours : “Mo garson poz sa laguitar la, all pran to liv matematik”. » Yannick Nanette obtempérait, le temps de compléter ses leçons avant de reprendre sa guitare. « Je jouais jusqu’à quatre heures par jour. Cela devenait viscéral. Parfois on cachait ma guitare à la maison. On m’a poussé dans la filière académique mais je savais que mon intelligence était plus sociale et artistique. »
Élève au collège de La Confiance, où il a également travaillé après son HSC, Yannick Nanette était effectivement un artiste dans l’âme. En outre, il faisait de la peinture : « Je faisais également de la peinture avec mon oncle, Fabien Cango, parallèlement à la guitare. »
Cependant, il affirme que le déclic est arrivé progressivement. « Quand tu chantes, tu te rends compte. Dimoun pe ekout twa et dir twa : hey to sant bien ; son sorti bien. Petit à petit, cela te nourrit. To nepli kapav san pas twa de linstrima ki prokir twa enn santima bienet. Cela crée des liens avec les autres dans la chorale et ailleurs. » Petite anecdote : « Guet la mizik kouma tir mwa dan dife. Mo fini HSC. Mo dan lakur lekol, mo pe prepar koral pou selebre lames. Pa ankor gagn rezilta HSC. M. Merven, direkter kolez trouv mwa, dan lakour lekol enn zour ki pena lekol. Li dir mwa : ki to pe fer la ? Mo dir li mo pe prepar koral pou fer lames fin dane. Li dir mwa : Viens dans mon bureau lundi. »
Une aubaine pour Yannick Nanette. Le recteur lui propose un poste d’enseignant. Il est recruté pour enseigner le français et le design et les après-midi, il suit des cours menant à un diplôme au Mahatma Gandhi Institute. Et le soir, il jouait dans les hôtels. « C’était ma routine jusqu’à ce que j’aie la possibilité de m’envoler pour la Suisse. » Il sera approché par Christine D’Andrès qui a une compagnie en Suisse, Un jour, le jeune homme se retrouve à jouer à l’hôtel et fait la rencontre d’une troupe réunionnaise qui souhaite travailler avec lui. De fil en aiguille, il développe un réseau et fait la connaissance de Christine D’Andrès qui l’invite pour un spectacle de danse en Suisse. Il accepte. Elle lui signale l’existence d’une bourse. Yannick Nanette postule, passe un examen d’entrée et entame une formation en art visuel qui le mène à un bachelor. Il enchaîne avec un master d’art dans l’espace public et un deuxième dans l’éducation. Entre-temps, il s’adonne à fond à la musique avec ton binôme Thierry Jaccard. Il travaille comme professeur de collège et formateur des maîtres trois fois par semaine et consacre ses longs week-ends à la création et à la musique : composition et concerts. « C’était un choix personnel de ne pas travailler à plein-temps. Sinon, je n’aurai pas eu le temps de me consacrer à la création », précise-t-il. Le duo a fondé une société et embauche des gens pour travailler sur des projets.
Le blues créole
Yannick Nanette revient sur les débuts qui l’ont ensuite mené à du Blues créole. « O depar, mo ti pe sant an angle, mo ti per bann la pa ader a sa blues kreol la tout de swit. Detan zantan, nou ti pe met enn de morso Blue dans nou set. Li ti pe marse mari byen », observe-t-il. Il y avait même un débat sur ce que nous faisions : Est-ce du blues ou pas ? En Europe, on disait que c’était du blues, et dans le Tennessee, aux États-Unis, non. » Pour Yannick Nanette, c’en était puisqu’il chantait avec « mon âme ». « Le blues, c’est chanter pour prier », estime-t-il. D’ailleurs, il en fait son cheminement spirituel. « La musique est fortement spirituelle », affirme-t-il.
Le blues créole a fait son chemin et, en mars de cette année, Yannick Nanette et Thierry Jaccard ont sorti Sadela, un album intégralement en créole produit par David Donatien. Celui-ci a produit des grands de la chanson, poursuit-il en évoquant Yael Naim ou Bernard Lavilliers. Sadela comprend dix morceaux dont une reprise de Roseda de Tifrer, né Alphonse Ravaton, en version blues. “Mama Nette”, “Emy”, “Tiombo”, “Fam couma ou”, “Loin ici”, “Mo ale”, “Fek la”, “Lao” et “Ma” sont les titres des chansons qui figurent sur l’album. « Les textes sont en lien avec la maladie de mon père », affirme le chanteur-parolier Nanette pour qui « la musique est au service du texte ». C’est d’ailleurs en Suisse que le vrai travail d’écriture a commencé pour lui sous l’impulsion de la nostalgie du pays natal. « La distance a peut-être débloqué quelque chose en moi. La nostalgie peut, soit rendre fou, soit permettre de créer. Ces textes parlent d’amour, d’absence et de retrouvailles… Nous sommes des philosophes du dimanche, des raconteurs d’histoires, des passeurs d’émotion, des observateurs. Nous essayons de mettre des mots pour raconter la vie des gens et orienter le regard sur quelque chose. »
Bercé par ses souvenirs, Yannick Nanette les relève dans ses textes. « Monn melanz enn ta zistwar. » Il garde toujours sa guitare à portée de main. Un premier jet est suivi d’une mélodie qui est ensuite retravaillée. Les chansons sont composées par le binôme Nanette/Jaccard. L’arrangement est signé David Donatien, producteur arrangeur.
« Il a une longue carrière en tant que producteur et arrangeur. Il pose un autre regard sur la musique de l’océan Indien et de l’Afrique de l’Est. « Li enn kwisto, li trouv bann ingredian la ek fer enn azansma pour faire du nouveau avec du même. Il cherche de nouvelles textures, un nouveau paysage sonore. »