Coup de tonnerre à la Land Division de la Cour Suprême, hier. La plainte pour dépossession des terres opposant la famille Tancrel à Alteo Agri Limited a été rayée. C’est le premier cas de la Commission Vérité et Justice, que la Land Research and Monitoring Unit (LRMU) du ministère des Terres et du Logement, avait transféré à la nouvelle Land Division de la Cour Suprême. Danielle Tancrel, figure de proue dans la lutte pour la restitution des terres aux descendants d’esclaves, se dit choquée, mais demeure déterminée à faire appel.
La plainte devant la Land Division était inscrite au nom de Marie Zoelle Tancrel, Marie Danielle Tancrel et Jean-Michel Tancrel, contre Alteo Agri Ltd (ex-FUEL). Le Conservator of Mortgage étant le co-défendeur dans cette affaire. Les premiers nommés sont les seuls héritiers de Jean Pierre Tancrel, un des 12 enfants de Benjamin Tancrel, lui-même seul héritier vivant de Wilfrid Joseph Tancrel. Ce dernier était à son tour, le seul héritier de Joseph Angelie Tancrel, décédé le 31 mai 1928.
Leur ancêtre, feu Antoine Tancrel était propriétaire d’un terrain de 86 arpents situé à Rivière Coignard, dans le district de Flacq. Dans sa plainte rédigée par Me Kevin Appadoo, la famille Tancrel affirme que ses ancêtres ont toujours vécu dans le district de Flacq, sur ledit terrain de 86 arpents jusqu’au décès de Joseph Angelie Tancrel, le 31 mai 1928. Son seul héritier, est son petit-fils Benjamin Tancrel, né le 17 octobre 1914 à Trou-d’Eau-Douce et décédé 19 décembre 1983. Ce dernier est le grand-père des plaignants.
La famille Tancrel réclamait la restitution de 86 arpents de terres ayant appartenu à ses ancêtres et actuellement occupés par Alteo Agri Ltd, ainsi que Rs 10 millions de dommages moraux. Ce cas avait été présenté devant la Commission Vérité et Justice qui avait trouvé qu’il y a matière à aller de l’avant. L’ancien CEO de FUEL/Alteo, feu Joseph Vaudin, avait déposé devant la Commission. Le rapport dit à cet effet : «The Commission is not satisfied with the explanation given by the Chief Executive of F.U.E.L as regards their ownership over that plot of land as no mention in their Domaine Book for Domaine Camp de Masque save “that the land in question has been in continuous and uninterrupted occupation by F.U.E.L since 1938 and before by Constance Manes. In other words, F.U.E.L has integrated the portion of land of 86 arpents without any supporting title. One good note is that the land of the Tancrel family appears on their plan submitted to the Commission and is astride on Domaine Camp de Marques and Domaine Gibraltar. »
La Commission Vérité et Justice avait recommandé la mise sur pied d’une Land Court pour traiter toute la question de dépossession des terres. Après une très longue attente et un long combat, ayant notamment mené à deux grèves de la faim de Clency Harmon, dont la famille a également été victime d’expropriation, le gouvernement a finalement mis sur pied une Land Division à la Cour Suprême.
En parallèle, une Land Research and Monitoring Unit a été créée au ministère des Terres et du Logement, pour aider les victimes à préparer leurs dossiers en vue d’être référés à la Land Division. Le gouvernement a même injecté Rs 50 millions dans ce fonds pour aider les familles financièrement dans leurs démarches. Chacun a obtenu une somme de Rs 300 000 pour les différentes dépenses légales.
Le cas de la famille Tancrel a été le premier à être bouclé par la LRMU et présenté à la Land Division. La LRMU mentionne dans son rapport : « based on all searches and sources, Mr Ravindranath Bhurtun, Land Surveyor, has confirmed that the 86 A still belong to the heirs of Antoine Tancrel, is occupied and planted to sugar canes, by Flacq United Estates Limited. »
L’arpenteur de la LRMU, Mr Seebun indique plus loin dans le rapport : « Investigations and searches have been carried out by me. The Survey Report of Land Surveyor, Jean Louis Merle and the ‘Rapport de Constat’ of Mr R. Bhurtun, Land Surveyor have been perused further. Further searches have been carried out. From above, it is confirmed that plot of 86A made of two plots of land of an extend of 10 A adjoining another plot of land belonging to him (Antoine Tancrel) by acquisition, was conceded to Antoine Tancrel… »
Après plusieurs renvois, la plainte a été entendue lundi dernier par la juge Johan Moutou-Leckning. Celle-ci a décidé de rayer l’affaire estimant que tous les héritiers n’étaient pas partie prenante. Elle a cité plusieurs autres cas d’expropriation, dont celui de la famille Lemière, pour soutenir ses points. Elle explique dans son ruling : « To proceed in the absence of the other heirs is tantamount to asking the Court to embark on a series of speculations as to what might have transpired the heirs and the defendant.”
La juge Moutou-Leckning soutient son point de vue du fait que cette plainte est également accompagnée d’une réclamation pour dommages : « In the circumstances, the subject-matter of the present plaint should be adjudicated when all heirs are made parties to the action…”
Un revirement de situation auquel la famille Tancrel ne s’attendait pas. Sollicitée, Danielle Tancrel a indiqué que sa famille comptait faire appel de ce jugement. Soulignons que ce jugement est tombé alors même que l’Attorney General, Gavin Glover, venait d’être interpellé concernant les cas de dépossession des terres portés devant la Commission Vérité et Justice, à la Commission pour l’élimination de la discrimination raciale de l’ONU, il y a à peine deux mois.