Patrimoine immobilier et achitecturale : le parent pauvre de l’action gouvernementale…

Ravagée par le feu… il y a 18 mois, l’une des ailes importantes des Casernes centrales se dégrade, dans l’indifférence totale
Les Casernes des pompiers (1906) et l’ancienne prison centrale de Port-Louis (1839) au pied de l’échafaud

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La sauvegarde du patrimoine mobilier et architectural : le parent pauvre de l’action gouvernementale ? L’histoire et la mémoire s’opposeraient au progrès aux yeux des politiques ? Autant de questions qui taraudent les amoureux du patrimoine qui assistent, impuissants, à la démolition ou à l’effondrement de ces magnifiques bâtiments en bois
ou en pierre taillée que nous ont légués nos aïeux. Il faut sillonner la capitale pour constater à quel point le béton et le bitume ont pris le dessus dans le paysage, là où, jadis, s’érigeaient de belles demeures coloniales. Aussi, à force de faire l’autruche, on les laisse partir en fumée ou aux mains de promoteurs avides. Zéro annonce et zéro budget consacré à la rénovation d’une aile importante des Casernes centrales ravagée par les flammes… il y a
18 mois. Le reflet d’un laxisme politique, de l’absence de ressources, de mécanismes d’action et d’un responsable qui s’y consacre avec assiduité.

Le tout-Maurice a assisté avec beaucoup d’amertume, de tristesse et de colère comment on a si odieusement procédé à la démolition, en 2017, du bâtiment en bois qui abritait jadis “La School”, le collège Royal de Port-Louis. C’est tout un pan de l’Histoire de notre pays, de notre patrimoine, qui est parti — en catimini, et apparemment avec la complicité de l’État. C’était la même chose avec le bâtiment de l’Imprimerie du gouvernement, démoli, au début des années 1990, afin de faire de la place à la State Bank Tower. Ce ne sont que deux exemples, parmi tant d’autres, de cette manie de faire table rase. Comme s’ils dérangeaient, en travers du chemin du progrès. Les exemples de bâtiments historiques en péril ou qui ont disparu du paysage ne se comptent plus sur les doigts de la main.
Qui n’a pas eu la boule au ventre en découvrant les vidéos et les images de l’incendie qui a ravagé une aile des Casernes centrales, le 4 juillet 2022. Le gouverneur français Mahé de La Bourdonnais, qui a fait construire et façonné les lieux à partir de 1740, doit se retourner dans sa tombe en voyant dans quel état se trouve ce trésor patrimonial inestimable qui se dégrade, pierre après pierre, sans qu’aucun ministre, député ou conseiller municipal ne s’en émeuvent et ne montent au créneau pour réclamer un plan de réhabilitation dans les plus brefs délais.
Et quid du poste de police de Trou Fanfaron ?
Dans un entretien accordé à Week-End le 24 juin dernier, le président de l’ONG SOS Patrimoine en Péril, Arrmaan Shamachurn, a fait ressortir que les mesures budgétaires annoncées par le ministre Renganaden Padayachy n’était « pas en ligne avec nos propositions et recommandations », tout en exprimant son exaspération sur le sort réservé aux Casernes centrales : « Voilà un exemple d’un laxisme criant qui a conduit à l’incendie de cette aile des Casernes centrales… qui était utilisée comme grenier avec un tas de matelas s’entassant ici et là. Nous avons écrit aux parties concernées pour la mise sur pied d’une réunion de réflexion et de planification stratégique, avec la police également, mais on ne voit rien venir. » Le président de SOS Patrimoine en Péril regrette aussi que le projet de rénovation du poste de police de Trou Fanfaron, en souffrance depuis des décennies, et classée au patrimoine national depuis 1951, ait été reporté aux calendes grecques.
Arrmaan Shamachurn a dû bondir de sa chaise en apprenant la décision de la mairie de Port-Louis d’ordonner, en novembre, la destruction du bâtiment en bois (1906) des Casernes des pompiers, patrimoine national, sise à la rue Maillard. Un crève-cœur. Le mot n’est pas trop fort pour décrire l’état lamentable dans lequel se trouve le bâtiment des soldats du feu. Située à quelques mètres de l’ancienne Cour suprême, de l’Hôtel de Ville et du théâtre, la caserne des pompiers faisait jadis la fierté des Portlouisiens. Laissé sans entretien, l’édifice a subi au fil du temps une dégradation évidente malgré moult initiatives de la perte de SOS Patrimoine en Péril pour que la bâtisse en bois soit préservée et rénovée au lieu d’être démolie.
Cette impuissance face au marasme dans lequel se trouve notre patrimoine immobilier peut s’avérer d’autant plus ardue quand l’édifice ne bénéficie d’aucune reconnaissance à l’échelle nationale. À la rue Maillard, l’ancienne prison centrale, inaugurée en 1839 et close en 1953, n’échappe pas à ce « laisser-aller », dont les autorités ne semblent nullement se préoccuper. N’étant pas inscrite au National Heritage, cette œuvre architecturale tombe en ruines et sombre dans l’oubli. La prison est au pied de l’échafaud !
Si l’image des grandes maisons bourgeoises d’antan, à l’instar de la magnifique maison en bois d’Eureka à Moka, se grave plus facilement dans la mémoire collective, d’autres bâtiments en bois, plus modestes, reflètent également le savoir-faire des concepteurs du 19e siècle. Et c’est avec le pincement au cœur qu’on a assisté à l’effacement d’une belle maison coloniale, sise à la rue Pope Hennessy, près du Champ de Mars, qui a été engloutie par les flammes dans la nuit du 19 novembre dernier. Typique du style architectural créole mêlant le bois, la pierre taillée et un toit à forte pente, ladite maison était inoccupée depuis plusieurs années. Une énième page de la riche genèse de la rue Pope Hennessy qui se meurt.
Un déclin qui risque de s’accentuer si les autorités ne se décident pas dans les années à venir à donner un coup de neuf au bâtiment abritant l’ancienne Cour suprême.
Dans le tiroir des projets fantômes
À quelques encablures du centre-ville, Chinatown et ses bâtiments en pierre taillée et en bois ont une valeur historique qui mérite aussi d’être préservés et valorisés. Or, outre la contrainte de la hauteur imposée par la zone tampon de l’Aapravasi Ghat, le manque de moyens financiers à la disposition des propriétaires constitue un obstacle à la réhabilitation de nombreux bâtiments désuets, dont certains menacent de s’effondrer, tombent dans l’oubli.
Certes, des initiatives telles que le Street Art ont permis de redonner un peu de couleur aux édifices et sont fort louables, mais elles ne doivent en aucun cas cacher la forêt de ces œuvres architecturales et symboliques qui se délitent ou sont proches de la ruine. Le temps presse, et afin que les générations futures ainsi que la clientèle touristique ne soient pas privées des mille facettes de ce lieu mythique, le gouvernement a intérêt à suivre certaines recommandations émises par Kwang Poon, Chairperson de l’association East Meets West, dont celle préconisant que « toutes les rénovations faites par les propriétaires dans Chinatown soient éligibles pour des incitations fiscales tant qu’ils remettent à neuf la façade de leurs bâtiments conformément au cahier des charges. »
Dans le budget 2020-21, le Grand Argentier avait donné l’assurance d’une étroite collaboration entre le secteur privé et le National Heritage Fund to « better preserve, protect and promote national heritage sites. » Or, on a l’impression que cet item a été rangé dans le tiroir des projets fantômes. Quid de L’expression of interest censée encourager les opérateurs du secteur privé à restaurer et préserver des bâtiments historiques, à l’instar du Château Bénarès, dont une partie du toit s’est effondrée récemment ? Décédée le 24 décembre, Sélena Leroux, passionnée du patrimoine, avait confié à un journaliste du Mauricien l’année dernière que « les touristes ne viennent pas à Maurice uniquement pour un moment d’agrément mais aussi pour découvrir beaucoup d’endroits qui ont marqué l’histoire de notre pays. » Sauf que le gouvernement préfère orienter ses dépenses vers la construction neuve plutôt que vers la restauration des édifices historiques mal entretenus.

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