Notre périple patrimonial dans le district de Rivière-du-Rempart, à la découverte de sites comme Amaury et Antoinette-Phooliyar, ayant accueilli les premiers contingents de travailleurs engagés de l’Inde, à partir de 1834, s’est conclu, au cours de la semaine écoulée, dans le village de Cottage, à l’ancienne sucrerie de Forbach jouxtant le camp en pierre où habitaient les coolies. Cet emplacement, connu comme les longères de Forbach, a fait l’objet de travaux de réhabilitation, menés par le développeur immobilier Novaterra pour accueillir l’école internationale HEI Schools Mauritius. Donnons du crédit à ces institutions pour avoir orienté leurs dépenses vers la restauration de cet édifice historique en déclin, plutôt que vers des constructions neuves. Un travail titanesque, couronné de succès. Un plaisir pour les yeux. L’école a déjà ouvert ses portes dans un cadre arboré et paisible propice à l’éducation des enfants.
Il faut laisser monter le désir… de la découverte. Pour accéder à Cottage, nous décidons de passer par le lotissement Labourdonnais. À la mi-journée, le « Village de la Gratitude », qui abrite environ 3,500 âmes, respire la quiétude. Hormis le va-et-vient aux abords des commerces, la route principale semble très peu animée à cette heure de la journée. A la sortie de Cottage juste avant l’Espérance Trébuchet, trône le samadhi d’Anjalay Coopen. Cette laboureuse, femme militante et symbole de la lutte contre les oppressions pour la défense et les droits des travailleurs, fut tuée lors d’une fusillade à Belle-Vue Harel en septembre 1943. Sur la plaque commémorative de cette stèle taillée dans un bloc de pierre, inaugurée en 2003, sont aussi inscrits les noms des trois autres martyrs de la fusillade de Belle-Vue Harel.
Bordé par une végétation luxuriante et des étendues sauvages, Cottage est une escale de sérénité et de charme authentique. Entre ses belles maisons, ses aménités sportives, culturelles et autres facilités, autant dire qu’il s’est grandement développé au cours des années. Bien que ses contours semblent respirer le calme, aux dires de ses habitants, les fléaux sociaux bousculent son harmonie. En se promenant, on tombe inévitablement sur des ruines mystérieuses, témoins silencieux d’une époque révolue. L’ancienne usine sucrière de Forbach, qui a fermé ses portes dans les années 1970, et les camps en pierre où habitaient les coolies, restaurés avec brio par Novaterra, en sont de parfaits exemples. Chaque pierre taillée, chaque coin érodé porte les marques du temps, et rappellent la richesse de ce patrimoine qui contribue au cachet du village. « Named after a small village located in western Germany, the Sugar Estate of Forbach is one of the main sugar plantations in the north of Mauritius. Current research showed that between 1818 and 1839, an estimated 400 Mozambican, Malagasy, Indian, Creole slaves and apprentices worked and lived on Forbach Sugar Estate. Furthermore, archival evidence revealed that the estate also employed an estimated 3,000 Indian, Creole, Mauritian and Liberated African labourers and their families between 1826 and 1943. During this long period, this workforce was employed by the successive owners namely Joseph Staub, Nicolas Staub, Aristide Aubin who played a central role in making Forbach one of the most important sugar estates in the north of Mauritius during the 19th century », souligne l’historien Satyendra Peerthum.
Les longères de Bretagne
Le 15 juillet 2018, à l’occasion des 200 ans du Forbach Sugar Estate & Camps, l’Aapravasi Ghat Trust Fund (AGTF), en collaboration avec différents stakeholders, avait organisé sur le site en ruine une cérémonie commémorative et un programme culturel. Ce jour-là, la question d’un projet de conservation et réhabilitation de ce joyau architectural était sur toutes les lèvres, compte tenu de son état de délabrement. La vétusté des longères de Forbach devenait une source de préoccupation pour les ONG du patrimoine. Toutefois, comme souvent, les moyens financiers font défaut, il a fallu attendre sept ans avant qu’un projet de réhabilitation et de transformation de grande envergure voit le jour grâce à Novaterra, un des pôles d’activités du conglomérat Terra. Redonner vie à des lieux chargés d’histoire : c’est une philosophie ancrée profondément dans l’ADN du promoteur, qui n’a cessé de le démontrer au fil des années. De l’Aventure du Sucre (une ancienne usine réhabilitée en musée) à l’ancienne fonderie du Creative Park (transformée en boutique-atelier pour la bijouterie Patrick Mavros), en passant par l’école Themis, dans l’ancienne maison de l’administrateur des Bauhinias, Novaterra n’en est plus à son coup d’essai en matière de réhabilitation du patrimoine.
Quelle est l’origine du terme « les longères » utilisé par Novaterra pour décrire ce haut lieu du patrimoine ? Les longères représentent un type d’habitat traditionnel bien ancré dans le paysage rural de plusieurs régions françaises. Avec leur forme allongée et leur architecture simple mais robuste, elles attirent l’intérêt pour des projets d’aménagement combinant charme traditionnel et confort moderne. On les trouve principalement à St-Malo, en Bretagne, dont est originaire le premier gouverneur de l’île à l’époque française, François Mahé de La Bourdonnais. Accompagnés du cabinet Architects Studio, Novaterra et HEI Schools Mauritius ont réfléchi à un plan permettant de préserver l’aspect historique du patrimoine et la nature existante, en choisissant de construire autour d’elle deux bâtiments créés en complément autour du tamarinier, pour rejoindre la structure de l’école. Des pergolas transparentes, laissant filtrer la lumière, ont été ajoutées pour abriter des intempéries. Un espace où la nature accompagne tous les jeux des enfants et même leurs doux rêves.
« Forbach s’est rapidement imposé comme le cadre idéal »
« Lorsque Rebecca Espitalier-Noël, co-fondatrice et directrice de HEI Schools Mauritius, a présenté son projet d’école finlandaise à Novaterra, l’équipe s’est vite laissée séduire par son approche mêlant pédagogie, épanouissement et bien-être. Une idée est née de ces échanges : réhabiliter les longères de Forbach, alors en ruines, pour créer un cadre arboré et paisible propice à l’éducation des enfants. Forbach s’est rapidement imposé comme le cadre idéal. Pratique d’accès depuis l’autoroute, à proximité des écoles existantes du nord de l’île, ce domaine déjà arboré dégage une sensation particulière. Avec 850 m² de ruines, de grands banyans, un tamarinier majestueux, on s’est tout de suite dit que l’endroit était parfait pour accueillir des enfants », dit Philippe Lincoln, Head of Facilities & Assets chez Novaterra.
L’ouverture d’HEI Schools Mauritius a représenté un investissement de plus de Rs 60 millions et a pour but d’offrir une infrastructure éducative premium, alignée sur les meilleurs standards mondiaux. Le campus de 5,400 m² d’espaces extérieurs et 1,000 m² d’infrastructures intérieures peut accueillir 120 enfants. Chaque élève bénéficie d’un suivi personnalisé et d’un ratio moyen d’un enseignant pour cinq enfants. L’équipe comprend plusieurs professionnels expérimentés venus de Maurice et de l’international qui auront pour mission d’introduire et d’adapter le meilleur système éducatif du monde et de le rendre accessible aux enfants mauriciens.
Après avoir nourri les familles mauriciennes avec FoodWise, Rebecca Espitalier-Noël s’attaque aujourd’hui à un autre défi : offrir à chaque enfant les meilleures bases pour réussir sa vie. « Chaque parcours est unique, chaque voix est entendue. Avec un enseignant pour cinq enfants, des groupes restreints et une collaboration étroite, chaque famille bénéficie d’un accompagnement personnalisé. Nous sommes une école pour la famille, pas seulement pour les enfants. Nous accompagnons les parents à travers des ateliers enrichissants, facilitons leur quotidien avec trois repas équilibrés préparés par une nutritionniste, et nous maintenons une communication constante », souligne Rebecca Espitalier-Noël.
ANDY SERVIABLE
Le Trou-Chenille Open Air Museum au centre des débats
SOS Patrimoine : « Les installations sont-elles en adéquation avec les principes de conservation devant guider la gestion d’un site inscrit au patrimoine mondial ? »
Le ministre des Arts et du Patrimoine culturel, Mahen Gondeea, a effectué une visite, lundi, au Trou-Chenille Open Air Museum, situé au Morne, dans la zone classée patrimoine mondial de l’Unesco. C’est la deuxième visite du ministre, depuis sa prise de fonction, sur ce site censé reconstituer le premier village d’esclaves en fuite (marrons) à Maurice. Inauguré le 1er février 2020, il est loin de remplir sa mission de préservation et de transmission de la mémoire, étant délaissé, en l’absence d’un entretien régulier et compte tenu du je-m’en-foutisme dont font preuve les politiques. Mahen Gondeea semble, en tous cas, déterminé à redonner au site ses lettres de noblesse. Toujours est-il que la création d’un « village d’esclaves » à cet endroit fait l’objet d’interrogations de la part de l’ONG SOS Patrimoine en Péril qui se demande « si les installations sont réellement en adéquation avec les principes de conservation qui doivent guider la gestion d’un site inscrit au patrimoine mondial ? »
Lors de sa visite, Mahen Gondeea fait ressortir que « chaque pas au pied de cette montagne rappelle le courage, la dignité et la mémoire de nos ancêtres. Malgré son importance universelle, ce site a été complètement négligé par l’ancien gouvernement, alors qu’il est reconnu mondialement comme symbole de liberté et de résistance. Nous avons le devoir moral de changer cela. C’est un crime envers l’histoire. C’est pourquoi nous avons enclenché des mesures concrètes, dont la mise en place d’enseignes claires pour mieux orienter les visiteurs, la reconstruction complète du parcours avec drains pour éviter toute dégradation, une évaluation complète des risques de la montagne par la SMF et la reconstruction complète de ce site mémoriel, afin de lui redonner toute sa valeur, entre autres. »
Les propos du ministre à l’effet que « l’état de délabrement du site est un crime envers l’Histoire » ont été brièvement commentés par l’historienne, chercheuse-enseignante et écrivaine Vijaya Teelock, sur sa page Facebook. Selon elle « the crime was to have built on a historical site in the first place. Hundreds of people, mostly descendants of slaves, lived at Trou Chenille. Why build on it? To show a fake village of maroons ? »
SOS Patrimoine en Péril a adressé un série de questions à Mahen Gondeea, dans la foulée : « Depuis quand les difficultés actuelles se manifestent-elles ? Remontent-elles à la mise en place de l’équipe actuelle du Le Morne Heritage Trust Fund ou trouvent-elles leur origine antérieurement ? Dans ce dernier cas, ne conviendrait-il pas de s’interroger également sur le rôle et les responsabilités, au fil du temps, de certaines personnes toujours à la tête d’instances décisionnelles au plus haut niveau ? Le Morne Heritage Trust Fund bénéficie-t-il des mêmes moyens financiers et institutionnels que les autres organismes patrimoniaux du pays ? Le dernier budget national a-t-il prévu des moyens significatifs pour la valorisation du Morne, en comparaison avec d’autres institutions patrimoniales ? Quels en sont les montants précis ? Le conseil d’administration du Le Morne Heritage Trust Fund a-t-il été constitué conformément aux dispositions légales ? » La visite du ministre a, en tout cas, permis d’ouvrir des débats constructifs à plus d’un titre…