Depuis le 1er mars, la pêche à la senne est autorisée dans le lagon à Maurice et à Rodrigues. Cette pratique, qui fait partie du folklore, est appelée à disparaître, car depuis quelques années, les autorités n’octroient plus de carte pour ce type d’activités de pêche dans le lagon pour des raisons écologiques. Ceux qui résistent encore sont aussi les derniers à garder la tradition vivante. Le Phasing Out se fera naturellement, laissant un goût amer chez ceux qui ont pratiqué ce métier depuis des années.
Assis sur un rocher, en bord de mer, à Trou-d’Eau-Douce, Ange Rosette scrute l’horizon et attend patiemment le moment pour aller poser ses filets. Pendant ce temps, ses coéquipiers inspectent le matériel et réparent les parties abîmées. Le type de senne utilisée ici est appelé Gilnet. Il est posé en mer vers 18h pour être récupéré le lendemain matin, vers 6h.
À 72 ans, il n’est pas prêt de prendre sa retraite. C’est tout ce qu’il n’a jamais connu comme activité professionnelle toute sa vie. Lui-même a appris ce métier de son père, qui l’a aussi appris du sien. « Toute ma génération pratiquait ce type de pêche. La senne existait déjà à l’époque de Jésus. Moi, je fais ce métier depuis 30 ans. Je ne me vois pas aujourd’hui changer pour un autre type de pêche », raconte-t-il.
Avec sa société coopérative, la Gueule Pavé Gilnet Fishing, il profite des derniers instants de pêche à la senne dans le lagon mauricien. Il est estimé que cette activité est néfaste pour l’environnement marin, car les filets détruisent les coraux. « De nos jours, le ministère ne donne plus de carte pour pratiquer la senne dans le lagon. Ceux qui restent sont les derniers. On a dit qu’il faudra maintenant aller pêcher hors du lagon, mais ce n’est pas pratique pour tout le monde », fait-il comprendre.
Ange Rosette explique ainsi que, sur la côte Est, il y a toujours beaucoup de vents. Ce qui rendrait une activité hors lagon beaucoup plus compliquée que dans d’autres régions, où la mer est plus calme. « Il y a toujours beaucoup de poissons dans notre mer, mais c’est le temps qui a changé. La mer est devenue plus houleuse. Imaginez maintenant si on doit pêcher à la senne hors du lagon uniquement. »
Le pêcheur ne cache pas son amertume face à l’argument environnemental. « Combien de Pleasure Crafts y a-t-il dans le lagon ? Les hélices peuvent abîmer aussi les coraux. Et tous ces pesticides utilisés dans les champs de cannes, n’ont-ils aucun impact sur l’environnement marin ? On ne leur interdit pas pour autant. Pourquoi nous, pêcheurs, doit-on renoncer à notre métier ? Dans la vie, quand vous êtes faible, on vous écrase davantage. Peser inn vinn kouma enn leponz, li bizin absorb tou… »
Il faut savoir que la pêche à la senne est pratiquée seulement sept mois par an, soit du 1er mars au 30 septembre. Une dizaine de jours supplémentaires sont régulièrement accordés pour compenser les jours de mauvais temps. Après quoi, les filets sont gardés sous scellé dans les postes des Fisheries en attendant la saison suivante.
On dénombre 12 grandes sennes et cinq Gilnet en utilisation cette saison. La grande senne mesure 500 mètres, tandis que le gilnet, lui, est de 250 mètres. La première est généralement utilisée le matin et le deuxième, installé en mer le soir, pour être récupéré le matin.
Avec la décision du ministère de la Pêche de ne plus octroyer de cartes pour la pêche à la senne dans le lagon, les coopératives se retrouvent face à un manque de main-d’œuvre. Pour la présente campagne, une dérogation a été requise auprès du ministère afin de permettre à ceux ayant des cartes pour pêcher hors de lagon de prêter main-forte aux équipes.
Ce métier fait vivre bien plus que les familles de pêcheurs. Les banians attendant l’arrivée des bateaux pour s’approvisionner ne diront pas le contraire. Il y a également les petits artisans, comme Jules Victoire, 71 ans, qui, lui, répare les filets. « C’est un travail que je fais depuis que je suis jeune. Je répare les filets des pêcheurs avec une aiguille spéciale. »
Celle-ci ne ressemble en aucun cas à une aiguille à coudre. Il s’agit d’un objet plat, de la taille de la paume de la main, que Jules Victoire utilise habilement pour faire des mailles de 11 cm, avec un mono-filament. « Auparavant, les aiguilles étaient faites en bambou. Et elles s’abîmaient avec le temps. Maintenant, elles sont faites en fibre de verre. C’est plus résistant. »
Il dit constater lui aussi avec nostalgie que la pêche à la senne est appelée à disparaître. « C’est un métier qui se meurt. Bientôt, je ne pourrais plus réparer des filets. Les jeunes ne sont pas intéressés non plus quand je veux leur transmettre ce savoir. »
Pendant la saison de la senne, les villages côtiers connaissent une animation particulière. Car cette pratique relève du folklore et mobilise de grandes équipes, alors que les autres types de pêche peuvent se pratiquer seul ou un petit groupe. En attendant que les dernières sennes ne soient mises sous scellé à jamais, ceux qui en ont l’occasion profitent encore du beau spectacle où les pêcheurs font preuve de beaucoup de maîtrise, mais aussi d’intelligence, pour scruter les marées et le ciel.
Pour certains, l’arrêt de la pêche à la senne pourrait ne pas être aussi bénéfique pour le lagon, comme on le croit. Ils avancent que certains poissons dangereux, comme les thazards, ne sont pêchés qu’avec la senne. L’arrêt de la senne pourrait alors être synonyme d’une prolifération de thazards dans le lagon, le rendant ainsi plus dangereux…