Bateaux semi-industriels : Les pêcheurs ne monteront pas à bord de sitôt

Tandis que des bateaux de pêche étrangers exploitent la richesse de la zone économique exclusive de Maurice, les pêcheurs à la senne font face, depuis l’ouverture de la pêche en mars dernier, à une autre réalité : les prises ont diminué. L’acquisition de bateaux semi-industriels serait une option plus viable pour les pêcheurs. Et les consommateurs mauriciens profiteraient à leur tour des produits halieutiques de la zone.

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Le présent budget fait état d’une enveloppe de Rs 6 millions aux coopératives enregistrées pour l’achat de bateaux semi-industriels. Cependant, cette annonce pourrait prendre un certain temps avant de se concrétiser. Loin d’être suffisant, ce montant devra être réajusté par les coopératives pour acheter un bateau à l’étranger, alors que sa fabrication est envisageable à Maurice. D’autre part, depuis son acquisition et son acheminement à Maurice l’an dernier, The Perfect  One a effectué quatre campagnes en haute mer.

Une subvention de Rs 6 millions destinées à l’achat de  bateaux semi-industriels, c’est bien. Mais où trouver les Rs 6 millions manquantes pour payer un bateau fabriqué à l’étranger ? Cette question que se posent Judex Rampaul, consultant et porte-parole du syndicat des pêcheurs, et Kenzy Brunet, Chief Operating Officer de la Fédération des coopératives de pêche, préoccupe la communauté des pêcheurs. Pour cause, cela fait longtemps qu’ils réclament et attendent la possibilité d’acquérir des bateaux semi industriels. Le budget 2022-2023 stipule: “The grant for acquisition of semi-industrial fishing boats by registered cooperatives is being increased from Rs 4 million to Rs 6 million”, sans pour autant décliner les conditions.

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Si l’augmentation de la subvention est bien accueillie, Kenzy Brunet rappelle qu’ “un bateau semi-industriel ne coûte pas moins de Rs 10 millions” et que “l’achat d’un bateau semi-industriel à l’étranger coûte cher.” Par contre, ajoute-t-il, “sa fabrication localement serait plus bénéfique financièrement, d’autant que Maurice dispose du savoir-faire requis pour la construction d’un tel bateau.” L’acheminement de The Perfect One à Port-Louis, l’année dernière, à partir du chantier naval du Sri-Lanka, a été quasiment un parcours du combattant. Ce pays était alors en proie à des protestations populaires à l’encontre du gouvernement en place. Les démarches, ne serait-ce que pour trouver du carburant afin d’amener le bateau à Maurice, ont été laborieuses, dit Judex Rampaul. Depuis son arrivée à Maurice, The Perfect One a effectué quatre campagnes de pêche.

La fabrication de bateaux semi-industriels sur le sol mauricien pourvoirait également de l’emploi à la main d’œuvre locale. Judex Rampaul est aussi d’avis qu’il revient à l’État de prendre la responsabilité administrative de la construction des bateaux semi-industriels à Maurice. Kenzy Brunet, lui, pense que la gestion des bateaux semi-industriels doit être confiée à une société spécialisée, car “les pêcheurs ne disposent pas de l’expertise adéquate pour s’occuper de la gestion”. Et s’il insiste sur l’achat de bateaux semi-industriels, c’est parce que, dit-il, “avec le vieillissement des pêcheurs, la pêche artisanale sera appelée à disparaître.” Cependant, la subvention pour l’achat de tels bateaux n’est pas une première annonce au budget. La communauté des pêcheurs attend que, cette fois-ci, l’annonce se concrétise.

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Les bateaux semi-industriels seront une aubaine pour les pêcheurs enregistrés auprès des coopératives, et qui ne ne cessent de réclamer l’opportunité de pêcher en dehors des lagons, en haute mer, dans les zones riches en poissons. Un bateau semi-industriel peut accommoder jusqu’à 8 pêcheurs. Avec des bateaux semi-industriels à la disposition des professionnels de la pêche, les consommateurs bénéficieront aussi des produits halieutiques, frais, disponibles dans les eaux mauriciennes. “La campagne de pêche en bateaux semi-industriels ne va pas au-delà de 15 à 20 jours en haute mer. Les poissons ne sont pas surgelés. Ils arrivent le plus frais possible aux consommateurs”, précise Kenzy Brunet.

De son côté, Judex Rampaul demande au gouvernement d’aider la communauté des pêcheurs à compléter la subvention de Rs 6 millions, car, entretemps, des bateaux de pêche étrangers profitent des richesses de nos mers, privant les consommateurs locaux d’espèces de poissons – tel le thon – qui deviennent rares sur les étals. Il est inconcevable, dit-il, que le thon en provenance d’Afrique du Sud ou d’ailleurs évince celui pêché dans la zone mauricienne.

Par ailleurs, la subvention de Rs 2,500 pour l’achat de matériels tels des hameçons, avance Kenzy Brunet, est une bonne initiative, d’autant que c’est une première. Mais, encore une fois, poursuit-il, le gouvernement devrait ouvrir le marché de la vente d’accessoires, qui est monopolisé par une ou deux sociétés importatrices. “La fédération a déposé une demande de permis depuis presque deux ans. Nous attendons le renouvellement de notre demande et si nous obtenons ce permis d’opération, le prix des matériels sera compétitif”, explique-t-il. Kenzy Brunet dit attendre que le gouvernement mette en pratique l’annonce de la subvention de Rs 2,500.

De son côté, Judex Rampaul salue la décision d’effacer l’ardoise des pêcheurs qui ont contracté un emprunt – datant de plus de 20 ans – auprès de la banque de Développement, et de rehausser à Rs 100,000 le lump sum des pêcheurs âgés de 65 ans.
Les Rs 75 supplémentaires de la Bad Weather Allowance – qui passe de Rs 575 à  Rs 650 – ne sont pas, certes, pas excessives mais importantes, indique Kenzy Brunet. De plus, indique Emmanuel Marianne, pêcheur de Rivière-Noire, les sorties en mer ont été régulièrement interdites en raison du temps, le mois dernier. Pêcheur à la senne, il confie que ses collègues et lui-même ont travaillé en tout 13 jours durant le mois de mai. Malgré l’augmentation annoncée dans le budget, le paiement du montant total de l’allocation peut réserver des surprises aux pêcheurs. Kenzy Brunet explique : “Si, par exemple, les pêcheurs ne travaillent pas pendant 10 jours pour cause de mauvais temps, la somme qui leur sera remise ne sera pas en adéquation avec la période qu’ils n’auront pas travaillé.” Par ailleurs, au lendemain de l’ouverture de la pêche à la senne, le 1er mars dernier, des pêcheurs à travers l’île avaient constaté que les prises, comparées aux années précédentes, avaient diminué.

Trois mois plus tard, la situation n’a pas pour autant changé, dit Emmanuel Marianne. Selon ce pêcheur qui compte des décennies d’expérience, la mer subit des effets provoqués par le changement climatique et la pollution par l’homme. Ce qui a un effet néfaste sur la reproduction des poissons et des activités halieutiques. Depuis mars dernier, Emmanuel Marianne confie avoir totalisé 10 tonnes de prises, “ce qui n’est pas beaucoup”, précise-t-il, avant de confier : “Je pêche autour de l’île. Si je me contentais de pêcher dans une région spécifique, je ne m’en sortirais pas.” Judex Rampaul confirme : “Premie lane kot pa gagn boukou pwason depi lasenn in’nn large.”

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