En 2016, s’appuyant sur les données publiées quant au National Strategy Paper and Action Plan on Ageing 2016-2020, faisant état que près de 20% de la population aura plus de 60 ans d’ici 2023, l’économiste Pierre Dinan évoquait les défis auxquels est confrontée la société face à ce phénomène. Et déjà, il faisait ressortir que « Je suis d’accord pour repousser l’âge du départ à la retraite. Vous avez là une ressource économique, qui est la personne âgée en bonne santé qui a acquis de l’expérience et de la sagesse. Pourquoi l’envoyer à la retraite? D’autant plus qu’en ce faisant, vous vous retrouvez à payer sa pension. Donc, rallonger l’âge du départ à la retraite est tout à fait logique. » Ce dimanche, à l’heure où le pays s’apprête à décrypter le nouveau budget national, une absence pèse lourdement dans le paysage médiatique et intellectuel : celle de Pierre Dinan.
Voilà bientôt un an que l’économiste s’est éteint, laissant derrière lui un vide, particulièrement en cette période où son éclairage attendu — et redouté — au lendemain du discours budgétaire faisait autorité. Depuis des années, Week-End avait établi un rendez-vous devenu rituel : une interview exclusive avec Pierre Dinan, généralement dans sa maison de Rose-Hill, le lendemain même de la présentation du budget. Malgré un emploi du temps toujours très chargé — entre plateaux télé, chroniques nocturnes et petits-déjeuners-débats au matin —, il trouvait toujours le temps de recevoir notre journaliste. L’entretien se déroulait autour de la copie du budget soigneusement annotée, et de feuilles volantes remplies des remarques de l’économiste qui s’était imposé comme une voix incontournable. Autour de nos questions, Pierre Dinan se lançait dans un décryptage clair, tout aussi rigoureux qu’accessible, pesant chaque mot, chaque chiffre, chaque mesure avec la précision d’un orfèvre et la pédagogie d’un professeur.
Cet entretien post-budgétaire était devenu un rituel attendu par les lecteurs comme par les professionnels de l’information. Mais son engagement ne s’arrêtait pas là. Quelques jours plus tard, il livrait à la rédaction une analyse écrite, qu’il rédigeait avec la même rigueur, enrichissant les colonnes du journal d’un regard unique et éclairé. Son approche, à la fois pédagogique et critique, a marqué des générations de lecteurs et contribué à rendre intelligible un domaine souvent perçu comme réservé à une élite : l’économie.
Grâce à ses interventions, de nombreux Mauriciens ont apprivoisé des concepts complexes comme l’inflation, la dette publique, le pouvoir d’achat ou encore le PIB. Pierre Dinan, avec d’autres, a joué un rôle fondamental dans la démocratisation du savoir économique, le rendant compréhensible au plus grand nombre. Même si certains jeunes économistes considéraient ses analyses comme « à l’ancienne », ils reconnaissaient tous la profondeur de son regard, la rigueur de son raisonnement et de ses arguments, fondés sur des décennies d’expérience, et un sens rare de la mesure et, surtout, la justesse de ses conclusions.
Car au-delà de la méthode, Pierre Dinan incarnait une forme rare d’élégance intellectuelle. Même lorsqu’il critiquait une décision gouvernementale qu’il jugeait contraire à l’intérêt public, il le faisait sans jamais céder à la polémique ou à l’attaque personnelle. Il préférait éclairer plutôt que juger, expliquer plutôt que condamner. Cette posture, à la fois éthique et intellectuelle, a forgé sa crédibilité et sa popularité bien au-delà des cercles économiques. Aujourd’hui, alors que l’on tente de comprendre, de décrypter, d’analyser les implications du budget présenté cette semaine, ses interviews après-budget manquent à nombre d’observateurs et lecteurs avertis. Son regard manque…
A sa femme Monique et à ses filles, Week-End porte une pensée spéciale en ces jours post-budgétaires sachant que Pierre Dinan aurait été un précieux collaborateur et éclaireur sur ces débats qui s’ensuivent.