Le Senior Counsel and Senior Attorney Bill (No. XXIII of 2025) sera présenté ce vendredi au Parlement par l’Attorney General, Gavin Glover. Cette présentation intervient à la suite de la nomination de 19 avocats et de 12 avoués comme Senior Counsel et Senior Attorney. Cet exercice a suscité une vive polémique au sein du barreau, certains allant jusqu’à contester ces nominations devant la Cour suprême. Mais quelle est l’utilité réelle de ces fonctions ? Et pourquoi ont-elles provoqué autant de remous ? Plusieurs avocats livrent leur point de vue.
Pour Kushal Lobine, très sollicité par les médias ces derniers jours, ces titres demeurent avant tout un vestige du passé colonial. « Ils s’inspirent du modèle britannique où la désignation de King’s Counsel récompense l’éthique et l’indépendance professionnelle », souligne-t-il.
De son côté, Nabil Moolna, avocat de formation et ancien journaliste, actuellement conseiller de l’Attorney General et membre du comité central du MMM, s’exprime ici en son nom personnel. Il estime que « l’utilité du Senior Counsel, si tant est qu’il en ait une, se limite à honorer symboliquement les membres de la profession légale ayant atteint un niveau d’excellence et d’exemplarité ».
Enfin, Nando Bodha, avocat et ancien parlementaire, considère que ces titres visent à reconnaître l’excellence professionnelle et à distinguer les praticiens les plus expérimentés. « Ils incarnent à la fois l’expertise juridique, la contribution au développement du droit et le rôle de mentor auprès des jeunes praticiens », précise-t-il.
Nabil Moolna, avocat
« Aucune atteinte à l’indépendance du judiciaire »
Quelle est l’utilité de la fonction de Senior Counsel et de senior attorney ?
Pour moi, et je ne parle ici qu’en mon nom personnel, ce n’est qu’un titre honorifique, pas une fonction. Son utilité, si tant est qu’elle en a une, se limite à honorer symboliquement les membres de la profession légale ayant atteint un niveau d’excellence et d’exemplarité.
Une utilité que beaucoup contestent, car dans une république démocratique, il est sain de se rappeler que tous les citoyens sont égaux devant la loi, et que donc leurs représentants doivent également être égaux devant la justice. Après tout, la vraie hiérarchie, celle du mérite, ne se décrète pas par Letters Patent.
Est-ce que cela représente une promotion au sein du corps de légistes ?
C’est perçu comme tel en tout cas. Même si certains, comme moi, doutent de l’intérêt de ces titres, beaucoup de mes confrères et de mes consœurs y attachent de l’importance. Certains en font l’objectif de toute une carrière. D’autres, comme ma défunte mère, nommée Senior Attorney en 2010, le vivent comme une reconnaissance professionnelle inespérée.
C’est tout à fait humain, puisque le système existe, pour un avoué ou un avocat de s’y intéresser et de s’attendre à ce qu’il soit juste et transparent. Quand ce système est bloqué, comme aujourd’hui, il devient alors nécessaire pour le législateur de s’y intéresser également.
Comment interprétez-vous le déplacement du pouvoir de nomination vers une commission mixte ?
Sous la loi actuelle, l’initiative et la recommandation d’un nom vient d’une personne seule, la Cheffe Juge, et aucun critère – sauf celui de 15 ans de pratique – n’est défini pour ce choix. Le nom est soulis à la présidence qui, en accord avec le Conseil des ministres, peut accepter ou refuser la recommandation. C’est donc déjà un processus qui nécessite la collaboration entre le judiciaire et l’exécutif.
Dans le projet de loi, il s’agit toujours d’une collaboration entre ces pouvoirs, il n’y a pas de déplacement. Il y aura cependant des critères définis, une procédure transparente et efficace contre les blocages, et une base plus large pour les recommandations, avec notamment plusieurs juges impliqués. C’est évidemment une amélioration.
Y voyez-vous une atteinte à l’indépendance judiciaire ou une ouverture vers plus de transparence ?
Aucune atteinte à l’indépendance du judiciaire. Cette question vient sans doute de la circulation d’une précédente version non finalisée du projet de loi, sans doute fuitée par ceux qui s’y opposaient. Je ne la commenterai donc pas.
Par contre, une précision : tout changement dans les provisions légales concernant le judiciaire n’est pas automatiquement une atteinte à son indépendance. Juger en appliquant la loi, voilà son domaine exclusif. Avoir les moyens de le faire sans interférence des autres pouvoirs, publics ou privés, voilà la condition de son indépendance.
Voilà ce qu’il faut préserver à tout prix. Mais le rôle du judiciaire dans l’octroi de titres honorifiques à des avocats, c’est autre chose. Il ne faut pas tout mélanger, sinon on ira vers un conservatisme mortifère.
Tout ce que le législateur fera pour rendre notre justice plus juste, efficace et accessible sera discrédité parce qu’il bousculera les habitudes du judiciaire.
Quelle est votre lecture symbolique du passage de “Queen’s Counsel” à “Senior Counsel” dans le contexte mauricien ?
La symbolique, c’est celle d’un cordon ombilical avec le pouvoir colonial qu’on n’a jamais rompu complètement. On a changé le titre, mais on a gardé l’esprit, basé sur l’idée des hiérarchies et des privilèges. Notre judiciaire est rempli de ces reliquats britanniques. On fait la révérence – même quand il n’y a pas derrière le magistrat, le Coat of Arms qui justifie la courbette au Royaume-Uni. On s’adresse à « My Lord » et à « My Lady ». On porte des tenues plus appropriées à Londres qu’à Port-Louis. On se coince à dix sur le banc de derrière alors que la première rangée est occupée par un seul « senior ». Et je ne parle même pas des problèmes plus graves, comme la survivance des vieux délits coloniaux
Doit-on être Senior Counsel pour plaider en Cour suprême ?
Non. Comme je vous l’ai dit, le titre est uniquement honorifique.
Le texte est présenté comme une réforme “inclusive”. Quels mécanismes garantissent que cette inclusivité ne se transforme pas en politisation ?
Regardez le projet de loi. Les juges sont majoritaires pour la recommandation. Mais on y ajoute maintenant les représentants des organes professionnels des avoués et des avocats, donc un pas certain vers plus d’inclusivité. Il y a aussi l’Attorney-General. Si ce dernier n’est pas forcément un politicien, il est toujours un avocat, donc tenu à un devoir d’indépendance.
Ensuite, le Président – qui agit ou pas sur une recommandation – est conseillé par le Conseil des Ministres, comme le veut la section 64 de notre Constitution. Mais cela est déjà le cas actuellement. Il n’y a donc aucun mouvement vers plus d’influence politique.
En passant, c’est vraiment le comble que dans une démocratie, les seuls qui sont élus par le peuple soient ainsi constamment entachés de soupçon, comme si les « apolitiques » n’avaient pas eux aussi des intérêts privés et des agendas personnels !
Pourquoi les Senior Counsels ne sont pas nommés par le Bar Council ?
Je vous accorde volontiers qu’il y avait des centaines d’options possibles. En Angleterre, ce sont des laypersons, des non-juristes, qui font les recommandations. Vous me parlez du Bar Council, pourquoi pas… Cette idée de la reconnaissance par ses pairs est d’ailleurs présente dans ce projet, avec la présence des Présidents du Bar Council et de la Law Society sur le panel. Le choix qui a été fait ici toutefois est d’un certain équilibre, entre le judiciaire, l’exécutif et les pairs.
Comment envisagez-vous la coexistence entre les titres de Senior Counsel et Senior Attorney dans la hiérarchie symbolique du droit mauricien ?
Sur papier les deux titres ont la même valeur, l’un pour les avocats l’autre pour les avoués. Mais c’est sûr qu’à Maurice, on met plus en avant les avocats, dans l’opinion publique, dans la presse mais aussi dans le monde légal. Peut-être parce que l’idée de la plaidoirie éloquente fascine plus, peut-être par snobisme – parce que les avoués ont tous étudié à Maurice, contrairement aux avocats. Il y a parfois une inégalité de traitement qui est injustifiée et déplorable. Et c’est un avocat fils d’avoués qui vous le dit.
Kushal Lobine :
« Un vestige de notre passé colonial »
Quelle est l’utilité de la fonction de Senior Counsel et de Senior Attorney ?
À mes yeux, ce sont deux titres simplement honorifiques. Mais pour l’ensemble de la profession légale, c’est une reconnaissance de l’intégrité et la contribution des femmes et des hommes de professions liées à la justice mauricienne.
Pour moi , cela reste avant tout un vestige de notre passé colonial. Cela s’inspire du modèle britannique où la désignation de King’s Counsel récompense l’éthique et l’indépendance professionnelle. Le texte de loi qui va être débattu au Parlement désormais va formaliser cette reconnaissance dans un cadre institutionnel, sans créer de hiérarchie procédurale : le mérite reste la seule mesure de valeur.
Cela représente-t-il une promotion au sein du corps de légistes ?
Non, c’est une reconnaissance, c’est honorifique, pas une promotion. Au Royaume-Uni, le King’s Counsel est une Mark of Distinction obtenue après un processus rigoureux devant un panel indépendant présidé par un Lay Member. De la même façon, la reconnaissance mauricienne honore les parcours exemplaires sans instaurer de grades au sein du Barreau.
Comment interprétez-vous le déplacement du pouvoir de nomination vers une commission mixte ?
C’est une évolution attendue : confier la désignation à un panel présidé par le Chief Justice permet d’assurer la collégialité et la transparence. Le modèle britannique repose sur un Selection Panel indépendant; et l’exemple indien, depuis le jugement Indira Jaising v. Supreme Court of India (AIR 2017 SC 5017), sur un Permanent Committee composé du Chief Justice, de deux juges séniors, de l’Attorney General et d’un membre du Barreau fait jurisprudence et donne un exemple à suivre. Maurice s’inscrit dans cette même logique : collégialité et responsabilité partagée.
Y voyez-vous une atteinte à l’indépendance judiciaire ou une ouverture vers plus de transparence ?
C’est une ouverture souhaitable et voulue dans une démocratie, où la séparation des pouvoirs reste le pilier pour approfondir notre état de droit. L’indépendance n’est pas l’isolement : c’est la confiance.
La transparence du processus, la publication des critères et la présence d’un membre indépendant sont les meilleurs garants de cette confiance. Le Royaume-Uni en donne l’exemple : le panel KC comprend plusieurs Lay Members et agit de manière totalement indépendante du gouvernement et des Inns of Court, ces institutions (Lincoln’s Inn, Gray’s Inn, Inner Temple et Middle Temple) qui assurent la formation, l’éthique et la discipline des Barristers sans intervenir dans les nominations.
Quelle est votre lecture symbolique du passage de Queen’s Counsel à Senior Counsel dans le contexte mauricien ?
L’appellation Queen’s Counsel vient du Royaume-Uni, où elle désignait les Barristers conseillers de la Couronne. Adopter le titre de Senior Counsel affirme cette tradition britannique et notre passé colonial, mais c’est désormais fondé sur nos institutions nationales.
Doit-on être Senior Counsel pour plaider devant le Privy Council ?
Non. Les règles du Judicial Committee of the Privy Council 2024 n’imposent aucun titre spécifique – ni King’s Counsel (KC), ni Senior Counsel (SC) – pour pouvoir plaider devant le Privy Council. Selon la définition donnée dans les règlements, le terme Counsel comprend toute personne ayant le droit d’être entendue en tant qu’avocat dans une audience complète devant le Privy Council, soit parce qu’elle dispose du droit d’audience dans la juridiction d’où provient l’appel, soit parce qu’elle détient ce droit dans une Senior Court du Royaume-Uni. Autrement dit, tout Barrister mauricien admis à plaider devant la Cour suprême de Maurice peut également plaider devant le Privy Council, même sans le titre de SC ou de KC. Plusieurs Barristers mauriciens non titulaires du titre de Senior Counsel ont plaidé eux-mêmes devant le Privy Council.
Le texte est présenté comme une réforme « inclusive ». Quels mécanismes garantissent que cette inclusivité ne se transforme pas en politisation ?
L’expérience indienne depuis le jugement Indira Jaising est riche d’enseignements : un comité permanent, des critères publiés, un secrétariat permanent et la publication des candidatures ont rendu le processus plus objectif. Maurice pourrait s’en inspirer en ajoutant un rapport annuel du panel et des règles de récusation claires pour prévenir toute perception de favoritisme.
Quelle est votre position sur l’équilibre entre reconnaissance professionnelle et indépendance judiciaire ?
Reconnaître le mérite renforce l’indépendance lorsque la procédure est claire, ouverte et professionnelle. Le modèle britannique – panel indépendant, sélection basée sur l’éthique – et le modèle indien, avec une grille de critères objectifs, montrent que la méritocratie et l’indépendance ne sont pas antagonistes, mais complémentaires.
Craignez-vous que la présence de représentants politiques dans le panel n’altère la perception publique de l’intégrité des nominations ?
Tout mécanisme de nomination doit inspirer confiance et garantir l’impartialité. Lorsque des représentants institutionnels siègent au sein d’un panel, il est essentiel que les principes de transparence, d’équilibre et de professionnalisme guident son fonctionnement. Ce n’est pas tant la présence de certaines institutions qui pose difficulté, mais la manière dont le processus est conduit et perçu. L’expérience d’autres juridictions montre que la crédibilité du système repose avant tout sur la rigueur, la neutralité et la clarté des critères appliqués.
Pourquoi les Senior Counsel ne sont-ils pas nommés par le Bar Council ?
Parce qu’il y a une perception que la légitimité vient de la collégialité. Un pouvoir exclusif du Bar Council serait perçu comme corporatiste; un pouvoir entièrement gouvernemental paraîtrait politique. Le panel mixte recherche l’équilibre, une participation pleine du Bar et de la Law Society, mais une décision collective.
Comment voyez-vous la coexistence des titres de Senior Counsel et de Senior Attorney ?
Cette dualité reflète notre système juridique mixte. Le Senior Counsel incarne cette contribution dans l’évolution de notre système juridique en pleine évolution et du développement jurisprudentiel; le Senior Attorney celle du conseil, de la procédure et de la gestion des dossiers. Mais les deux sont complémentaires et honorent des formes différentes de longévité dans la profession, comme le système français reconnaît ses « avocats honoraires » pour distinction et long service sans créer de hiérarchie.
En conclusion ?
Le Senior Counsel and Senior Attorney Bill, qui sera examiné ce vendredi au Parlement, constitue à mon humble avis, dans l’immédiat, une étape dans la bonne direction pour la modernisation de la reconnaissance professionnelle au sein de la justice mauricienne. Il peut dans le court terme réconcilier la tradition britannique de l’éthique et la transparence institutionnelle issue des réformes indiennes. Reconnaître le mérite, la longévité et l’éthique, oui, mais dans le respect de l’indépendance et de la dignité du Barreau.
Le titre n’a de valeur que s’il reflète l’excellence et la confiance du public. Et j’ouvre une parenthèse en guise de conclusion à une réflexion : ne doit-on pas aller plus loin pour promouvoir nos valeurs républicaines d’un État souverain et démocratique en lançant un débat au sein de la profession légale et de la société civile s’il faut perpétuer, ou move on comme on dit en anglais, cette pratique héritée de notre passé colonial ? J’ouvre ce débat !
Nando Bodha, avocat et ancien parlementaire
« Un système juste dépend autant de sa structure que de la confiance qu’il inspire »
Quelle est l’utilité de la fonction de Senior Counsel et de Senior Attorney ?
Ces titres ont pour vocation de reconnaître l’excellence professionnelle et de distinguer les praticiens les plus expérimentés. Ils incarnent à la fois l’expertise juridique, la contribution au développement du droit et le rôle de mentor auprès des jeunes praticiens. Sur le plan institutionnel, ils instaurent un standard d’excellence nationale comparable à celui du King’s Counsel britannique, tout en affirmant une identité propre à la magistrature mauricienne.
Est-ce une promotion dans la hiérarchie légale ?
Il ne s’agit pas d’une promotion statutaire, mais bien d’une distinction honorifique. Le nouveau texte, à la clause 3(3), précise d’ailleurs que le titre est Honorary, sans conférer de droits légaux particuliers.
Cependant, dans la pratique, cette reconnaissance apporte prestige, crédibilité et visibilité, notamment dans la conduite des affaires complexes ou les plaidoiries devant les juridictions supérieures. Dans un État de droit soucieux de préserver la démocratie, cette distinction prend une valeur symbolique essentielle.
Comment interprétez-vous le déplacement du pouvoir de nomination vers une commission mixte ?
Autrefois, la nomination relevait principalement du pouvoir exécutif, sur avis du chef juge. Le projet actuel introduit un Recommendation Panel (clause 4) composé du Chief Justice, du Senior Puisne Judge, de deux autres juges, de l’Attorney General, ainsi que des présidents du Bar Council et du Law Society Council. Ce transfert partiel du pouvoir vers un organe collégial ouvre la voie à une transparence accrue. Toutefois, la présence de l’Attorney General, représentant du gouvernement, maintient une composante politique. Et dès que la politique s’invite dans le processus, le risque d’influence n’est jamais négligeable.
Y voyez-vous une atteinte à l’indépendance judiciaire ou une ouverture vers plus de transparence ?
Il reste difficile de savoir précisément qui, ces dernières années, a exercé le pouvoir décisionnel final – le judiciaire, l’exécutif ou la présidence. Cette ambiguïté nourrit un risque latent d’ingérence du pouvoir politique. Or, dans une démocratie, le Judiciaire doit demeurer le dernier rempart pour protéger les droits fondamentaux des citoyens. Toute tentation d’empiéter sur son indépendance compromet la confiance publique.
Quelle est votre lecture symbolique du passage de Queen’s Counsel à Senior Counsel dans le contexte mauricien ?
Ce changement s’inscrit dans un mouvement amorcé depuis 1992 au Royaume-Uni et adopté par plusieurs anciennes colonies. Il marque la fin de la référence monarchique (Queen’s ou King’s Counsel) et l’affirmation d’une identité juridique nationale post-coloniale. Pour Maurice, cette évolution symbolise la maturité de son système judiciaire et sa volonté d’affirmer une autonomie institutionnelle.
Faut-il être Senior Counsel pour plaider devant le Privy Council ?
Non, aucune disposition légale ne l’exige. Cependant, dans la pratique, les affaires portées devant le Privy Council sont généralement confiées à des Senior Counsels, en raison de leur expérience, de leur réputation et de la complexité des dossiers concernés. Le titre facilite donc l’accès à ces causes majeures, sans en faire une condition obligatoire.
Le texte est présenté comme une réforme « inclusive ». Quels mécanismes garantissent que cette inclusivité ne se transforme pas en politisation ?
L’intégration du Bar Council, de la Law Society et du Bench constitue en soi une avancée vers une gouvernance plus ouverte. Mais si cette inclusivité n’est pas accompagnée de critères publics, objectifs et mesurables, elle risque de masquer des influences politiques sous couvert de diversité institutionnelle. L’enjeu est de maintenir un équilibre entre ouverture et rigueur procédurale.
Quelle est votre position sur l’équilibre entre reconnaissance professionnelle et indépendance judiciaire ?
Le titre de Senior Counsel doit récompenser le mérite juridique pur : la compétence, l’intégrité et la contribution à la jurisprudence. Mais si cette distinction devient un instrument de prestige distribué selon l’allégeance ou la proximité politique, elle sape la confiance du public dans l’impartialité de la justice. L’excellence ne peut se substituer à l’indépendance.
Craignez-vous que la présence de représentants politiques dans le panel n’altère la perception publique de l’intégrité des nominations ?
Oui. La présence de l’Attorney General au sein du panel soulève des réserves légitimes. Même si son rôle peut être consultatif, sa position politique risque d’influencer – ou du moins de donner l’apparence d’une influence – dans un processus qui devrait rester strictement professionnel. Pour préserver la crédibilité du système, il serait souhaitable qu’il ne siège pas au panel.
Pourquoi les nominations ne passent-elles pas par le Bar Council ?
Parce que le titre de Senior Counsel s’adresse à l’ensemble du corps judiciaire, et non au seul Barreau. Toutefois, le Bar Council y participe à titre consultatif, ce qui demeure cohérent avec sa mission de représentation des avocats.
Comment voyez-vous la coexistence des titres de Senior Counsel et de Senior Attorney ?
Le Senior Counsel incarne l’excellence du Barreau de plaidoirie, alors que le Senior Attorney met en valeur la maîtrise de la préparation, de la stratégie et de la gestion des dossiers. En Angleterre, la sélection repose sur un comité indépendant présidé par un juge, avec des auditions publiques, dans un esprit de méritocratie. En Inde, la sélection est confiée à un comité judiciaire présidé par le Chief Justice, mais le processus reste régulièrement contesté – preuve qu’un système juste dépend autant de sa structure que de la confiance qu’il inspire.
En conclusion ?
La clé réside dans la transparence et la méritocratie, seules garantes de la confiance du public dans le Judiciaire. C’est en préservant ces valeurs que l’institution peut continuer à incarner le véritable gardien de l’État de droit et de la bonne administration de la justice.