Avec ses plages de sable fin, sa mer turquoise et son climat tropical, l’île Maurice incarne pour beaucoup le rêve d’une vie. Un petit eldorado pour ressortissants étrangers qui rêvent de quitter les grandes villes bruyantes d’Europe pour s’installer au calme sous les cocotiers, dans l’espoir de construire une nouvelle vie. Sauf que les choses ne se passent pas souvent comme prévu. Thierry (prénom modifié*), chef d’entreprise française prospère, a tout plaqué en France pour venir travailler et s’installer à Maurice en 2024. Trois mois après, face à des conditions de travail précaires et à un employeur qui n’en fait qu’à sa tête, lui et sa famille sont rentrés en France avec leurs 17 valises. Déçu et surtout choqué, il a décidé de témoigner pour alerter les autorités mauriciennes sur ce type d’abus qui ne fait pas honneur au pays.
« Je suis déçu, mais surtout dégoûté. Je ne veux plus du tout revenir à Maurice à cause de cette mauvaise expérience professionnelle, et c’est dommage parce que Maurice est un si beau pays », nous confie-t-il. Thierry, qui a préféré garder l’anonymat, a souhaité témoigner pour éviter que d’autres personnes ne se retrouvent comme lui dans cette situation. Sa famille et lui sont rentrés en France l’année dernière. Et si aujourd’hui, il arrive à sortir financièrement la tête de l’eau, moralement, les séquelles sont encore très présentes, surtout pour ses deux enfants en bas âge.
Tout commence en juillet 2023. « Ma femme et moi avons commencé à réfléchir sur ce projet de venir vivre à Maurice. J’étais propriétaire de ma propre maison, et j’avais une entreprise qui fonctionnait très bien avec des salariés, mais nous voulions vivre autre chose », raconte-t-il. « En plus, nous avions de la famille qui habitait dans la région et l’on s’est dit pourquoi ne pas essayer Maurice qui avait l’air plus intéressante en termes, notamment, de scolarité pour les enfants. »
Charmé par les atouts de l’île, Thierry commence ses recherches et répond à une candidature spontanée par un employeur mauricien. « J’ai été contacté par ce dernier assez rapidement et j’ai beaucoup échangé avec ses assistantes. On m’a finalement demandé de venir », dit-il. Thierry saisit l’occasion par les cheveux et vient à Maurice pour une semaine d’essai. « De ma poche, à mes frais, je me suis payé mon billet d’avion, mon hôtel, mes repas, etc. », relate-t-il. À ce moment-là, le chef d’entreprise ne se doute de rien et décide de faire confiance à son employeur qui lui vend du rêve. « La semaine d’essai s’est plutôt bien passée et mon ancien employeur aussi semblait être satisfait. On m’a dit que je correspondais au profil, et l’on m’a demandé de poser mes conditions pour commencer le travail chez eux », explique Thierry.
Une fois rentrés en France, Thierry et sa famille commencent à se préparer pour déménager. « Dans les conditions que j’ai posées, j’ai fait comprendre que je gagnais bien ma vie en France et qu’il était hors de question pour moi de partir pour moins bien gagner ma vie à Maurice. Le but était, surtout, de gagner en qualité de vie et, bien sûr, de travailler, le travail étant une qualité importante pour moi qui ai travaillé toute ma vie. » Parmi les conditions, Thierry demande noir sur blanc que le loyer soit pris en charge pour sa famille et lui. « L’entreprise m’a de suite dit oui, mais je saurai plus tard que ce n’était pas vrai… »
Excité à l’idée de s’installer à Maurice, Thierry vend sa maison en France et met son entreprise en location-gérance. Les enfants quittent leur école et la petite famille met le cap sur l’île Maurice. Commence alors le cauchemar. « À notre arrivée, soit en janvier 2024, nous nous rendons compte que personne n’est venu nous récupérer à l’aéroport. » Seuls dans un pays qu’ils ne connaissent pas, Thierry et sa famille finissent par avoir un chauffeur de l’entreprise, et ce « après plusieurs coups de fil. Mais, je pense que c’est la moindre des choses d’envoyer quelqu’un à l’aéroport, surtout lorsque vous recrutez un ressortissant étranger, non ? »
Ils s’installent dans le Nord et les enfants sont aussitôt inscrits dans une école privée. « Il faut savoir que pour le logement, c’est moi qui me suis débrouillé à distance pour en trouver un. J’ai payé aussi les cautions, le premier mois de loyer et tous les billets d’avion de ma poche, pour un total dépassant les 12,000 euros, sans compter les frais de scolarité des enfants », dit-il. Si Thierry avoue avoir vu les signaux d’alerte, il était bien trop tard pour faire marche arrière dans la fatigue du déménagement et dans l’excitation de s’installer à Maurice. Une fois installé, Thierry se met au travail dès lundi. « Là encore, j’ai dû prendre une voiture en location, et au cours des mois qui ont suivi, je n’ai jamais vu les couleurs de la voiture qu’on m’avait promise dans le contrat et lors de nos discussions en amont », indique-t-il.
Pendant les trois premiers mois d’essai, Thierry nous confie avoir travaillé d’arrache-pied. « J’ai fait mon maximum et j’ai été nommé Manager d’une des branches de l’entreprise, mais finalement avec du recul, je me rends compte qu’on m’a jeté dans la fosse aux lions », regrette-t-il. « J’ai vu l’envers du décor de cette entreprise qui traite avec une entreprise haut de gamme. Ça brillait au début, mais j’ai vite déchanté, car les employés travaillent dans des conditions vraiment difficiles et compliquées », dit-il. Nouveau venu dans ce pays qu’il pensait paradisiaque, Thierry découvre avec stupeur ce secteur de travail de luxe… « Le pire dans tout cela, c’est qu’il n’y avait aucune communication entre les employés et l’employeur. J’ai rencontré d’autres expatriés qui vivaient dans des conditions précaires et parfois irrégulières, mais qui n’avaient pas d’autre choix que de rester », dit-il.
Malgré tout cela, Thierry continue de travailler et « j’ai prouvé, avec des statistiques, que j’avais fait évoluer l’entreprise et j’ai dit que mon salaire devait être cohérent, en vain. D’ailleurs, dans le contrat, il avait été indiqué que mon salaire allait être évolutif, mais non… » Après trois mois, il décide de tout plaquer. « Mon épouse et moi, nous avons appris de l’agence immobilière que notre loyer n’avait pas été payé par l’employeur et c’est à cet instant précis que j’ai décidé de tout laisser à Maurice pour rentrer en France », dit-il. Une décision difficile, car en France, ils n’avaient plus rien : pas de maison, pas de travail. « Mais nous ne pouvions plus tolérer cette situation et lorsque j’ai donné ma démission, mon employeur m’a mal parlé, et après plus rien », confie-t-il.
Aujourd’hui, Thierry et sa famille essaient de se reconstruire une vie après cette très mauvaise expérience. « Ma famille et mon épouse m’ont toujours soutenu, mais cela n’a pas été facile pour elles. Nous avons vécu des moments très difficiles à notre retour en France. Mes enfants ont été très perturbés et ma fille m’en veut toujours. » Thierry est unanime : « Si je n’avais pas mis de l’argent de côté, on serait en train de vivre sur la rue aujourd’hui. » Pour lui, « c’était clairement une arnaque. Il y a eu des promesses faites, qui n’ont pas été tenues. » S’il a décidé de ne pas faire de bruit et de ne pas porter plainte pour protéger sa famille, Thierry espère que les autorités mauriciennes seront plus vigilantes face à ces abus, car ils sont nombreux ces employeurs mauriciens qui vendent du rêve et qui recrutent de la main-d’œuvre étrangère, souvent seule et livrée à elle-même…