QUESTIONS À …  | Amélie François (17 ans), victime de “bullying” : « Les mots peuvent guérir autant qu’ils peuvent dénoncer »

Amélie François, 17 ans, a subi le harcèlement en milieu scolaire. Ses parents ont pris la décision de lui faire changer d’école pour son épanouissement personnel. Lors de la Journée internationale contre la violence et le harcèlement à l’école, y compris le cyberharcèlement, elle a assisté en ce mois de novembre à une conférence sur le harcèlement à l’ICJM. Personne dans la salle ne s’attendait à un témoignage aussi bouleversant de sa part. Amélie pointe du doigt le dysfonctionnement des autorités et d’une société qui peinent à agir, arguant que les campagnes contre le harcèlement ne suffisent plus si, au final, ceux qui ont le pouvoir d’agir ferment les yeux.

- Publicité -

Victime de harcèlement, vous avez eu le courage de prendre la parole à l’ICJM lors d’une conférence-débat sur le “bullying” pour libérer les maux par les mots. Qu’est-ce qui vous a poussée à témoigner ?

J’ai récemment assisté à une conférence-débat sur le bullying, accompagnée de ma maman. Ce sujet m’a tout de suite interpellée, car j’ai été aussi une victime. Au départ, je n’avais pas prévu de prendre la parole. Je voulais simplement écouter ce que les intervenants allaient dire. Mais, au fur et à mesure que la discussion avançait, certaines réponses ne me semblaient pas justes ni représentatives de la réalité que j’avais vécue. Sans même y réfléchir, j’ai décidé d’intervenir. C’était spontané, mais nécessaire. Ma voix est sortie toute seule.

- Publicité -

Vous avez vécu un enfer dans votre ancien collège, étant victime de harcèlement de la part d’une autre élève. Pouvez-vous nous raconter votre histoire?

L’un des épisodes les plus marquants que j’ai vécus s’est produit dans ma classe de chimie. J’étais alors class captain. Le professeur venait de s’absenter quelques minutes et nous avait laissées seules, mon assistante et une élève du Student Council qui était en réalité ma harceleuse. Elle s’est approchée de moi et m’a étranglée devant plusieurs élèves. Personne n’a bougé. Lorsque le prof est revenu, il n’a rien vu.

- Advertisement -

Les jours suivants, elle continuait à me suivre partout, me disant que rien ne lui arriverait. J’avais des douleurs terribles à la gorge, j’ai dû consulter un médecin. Mais ce n’est pas tout : un groupe WhatsApp avait été créé à mon nom, avec ma photo en profil, et les filles y partageaient des images de moi pour se moquer. C’était une période atroce. Même certains professeurs me discriminaient. Une enseignante m’a retiré des points en affirmant qu’elle était certaine que j’avais triché, ce qui était faux.

Quand j’ai rapporté le cas, l’assistante-rectrice m’a ordonné de m’attacher les cheveux. Quand j’ai demandé pourquoi une autre fille aux cheveux longs pouvait les détacher, elle m’a simplement répondu : « Ce n’est pas pareil. » Ce jour-là, j’ai compris que même mes cheveux bouclés devenaient un motif de différence.

Portez-vous des séquelles ?

Quand on me demande le moment le plus dur, je n’hésite pas à dire que c’est celui où elle m’a étranglée. Et pourtant, je n’avais rien fait pour mériter cela.

Aviez-vous signalé les agissements de votre harceleuse, et comment a-t-on réagi ?

J’ai signalé l’incident à l’administration du collège. Résultat ? Aucune sanction. Pas même une retenue. L’administration m’a seulement conseillé de changer de classe, ce que j’ai refusé. Finalement, c’est elle qui a été transférée de classe mais sans aucune conséquence.

Avec mes parents, nous avons porté plainte à la Brigade des mineurs. Là encore, rien n’a été fait. J’ai rempli les formulaires, et dès le lendemain, elle est venue me dire que ses parents « marchent avec des ministres » et que sa famille « avait beaucoup d’argent ». J’ai compris à ce moment précis ce que signifiait la corruption. Concernant le groupe WhatsApp, le collège s’est contenté de dire aux filles de le supprimer. C’est tout ! Aucune mesure éducative, aucune justice.

Vous aviez dit à l’ICJM que faire des campagnes contre le harcèlement ne fonctionne plus dans les écoles. Qu’est-ce qui vous a amenée à ce constat ?

Aujourd’hui, je pense que les campagnes contre le harcèlement ne suffisent plus. Pourquoi continuer à organiser des débats si, au final, ceux qui ont le pouvoir d’agir ferment les yeux ? Les jeunes n’ont plus confiance dans les autorités. Il faut agir autrement, de manière créative et vraie : se mettre à la place des victimes, créer des ateliers immersifs, ou encore utiliser l’art pour faire passer le message, comme le slam par exemple. Parce que les mots peuvent guérir autant qu’ils peuvent dénoncer.

Vous déplorez aussi la lenteur administrative. Aucune action n’a été prise contre cette élève qui vous a narguée en disant : « Mo paran mars ar minis ». Quelles actions, selon vous, devraient être prises ?

Je crois qu’il faut éduquer les harceleurs, et pas seulement les punir. Il faudrait leur faire ressentir ce que vit une victime, les amener à comprendre la souffrance qu’ils infligent. Et, si après un vrai travail sur eux-mêmes, ils montrent qu’ils ont changé, alors oui, on peut leur donner une seconde chance, dans un autre établissement.

Comment percevez-vous les choses aujourd’hui ? Et quel est le regard des élèves qui connaissent votre histoire ?

Aujourd’hui, je me sens libre et épanouie, et je suis fière d’avoir élevé la voix, d’avoir dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. Le regard des autres ne m’atteint plus. Je choisis d’utiliser mon histoire pour aider ceux qui en ont besoin. Et je tiens à remercier du fond du cœur toutes les personnes qui m’ont soutenue dans ce combat.

Quels conseils donneriez-vous aux victimes de harcèlement ?

Mon plus grand conseil à ceux qui traversent ce que j’ai vécu est de garder la foi. Prenez courage et parlez à un adulte de confiance. Peu importe votre religion, priez parce que Dieu est avec vous. Et surtout, ne l’oubliez jamais : votre voix est votre bouclier.

Vous êtes aussi slameuse. Comment se décline votre slam, « Mo lavwa mo boukliye », dans votre combat contre le harcèlement ?

Zot dir pa pran sa personel ti zis enn blag

Me enn blag kapav tap plis ki enn kout pwin

Li kit mark lor lekor, dan latet, dan lam

Bullying pa zis dan lakour lekol, li dan klas, dan biro, lor facebook, lor tiktok.

Li dan manier en profeser kapav kas enn zanfan, dan manier enn bos imilie so travayer.

Pa krwar ki li tipti, parski sak parol li enn ros dan mo sak.

Apre enn moman sak la vinn tro lour ek mo ledo kase anba so pwa.

To trouv mwa oubien to scroll ankor, ankor, ankor?

To like vinn enn klou,

To silans enn marto

Me pli pir ankor, nou sosiete finn aprann kayset bullying.

Met enn mask lor figir fer koumadir tou normal, tou korek.

Dan zournal, dan politik, dan klas,

Zot koz respe,valer, linite,

Me an realite dimounn kontigne kraz lot,

Zis ki zordi zot fer li dan lonbraz.

Mo dir ase!

Bullying pa enn lamod.

Se enn kanser ki pe manz nou memwar ek nou lavenir.

Get mwa bien,

To kapav touye, me mo lavwa kapav sove.

Mo pa zis pou mwa, mo koz pou nou tou,

Pou sak fam, sak zom ki finn soufer andan,

Me finn tini zot labous fermer deor.

Zot finn avoy ros lor mwa,

Mo pa pe avoy zot ros an retour,

Mo pe met zot ros anpile,

Mo fer enn podium ar zot,

E lorla, mo lev mo lavwa!

Wi mo finn gagn sikatris

Me mo sikatris inn vinn mo lezel,

Ek azordi personn pa pou kapav anpes mwa anvole.

Mo lavwa, Mo boukliye.

Réaction

Michaela, mère d’Amélie : « Réagissez avant qu’il ne soit trop tard »

« J’ai accompagné ma fille à cette conférence-débat à l’ICJM pour écouter ce que les intervenants avaient à dire à ce sujet. Après qu’Amélie a partagé son vécu, j’ai été déçue de certains intervenants, car ils n’avaient rien à me dire, ils ne savaient pas quoi répondre.

Pour moi, à cette époque, c’était l’enfer, avec le va-et-vient à l’ancien établissement d’Amélie, le va-et-vient chez les médecins et les psychologues. C’était devenu infernal, car il n’y avait pas eu un jour où l’administration du collège m’a appelée pour récupérer ma fille. La vie ne m’a fait aucun cadeau à ce sujet, car quand Amélie subissait le “bullying”, ma petite en Grade 2 subissait aussi le “bullying” dans son école. Sa harceleuse la suivait dans les toilettes et l’enfermait, jusqu’au jour où elle l’a piquée avec un crayon dans l’œil. J’ai vu la rectrice, fait des plaintes à la SeDEC, rien n’a été fait.

La rectrice m’a fait appeler dans son bureau pour me dire que l’agresseuse de ma fille venait d’un milieu difficile et que je devais la comprendre. Heureusement que la fille a quitté le pays l’an dernier. Ma petite a terminé son Grade 5 et elle est aujourd’hui épanouie. Si je dois comprendre le “family background” de la harceleuse, qu’en est-il de ma fille, la victime ? Le conseil que je donne aux parents, c’est d’être à l’écoute de leurs enfants. Qu’importe la situation difficile, réagissez, ne dites surtout pas : ”Ayo korek sa, zanfan sa, pou bien apre”, car on ne sait pas ce que cet enfant vit vraiment au plus profond de lui. Bougez et réagissez avant qu’il ne soit trop tard ! »

- Publicité -
EN CONTINU
éditions numériques