L’étau se resserre autour de Prakash Maunthrooa
L’étau se resserre autour de l’ex-General Manager de la Central Water Authority (CWA), Prakash Maunthrooa, neuf mois après l’ouverture d’une enquête de la Financial Crimes Commission (FCC) dans une affaire alléguée de corruption et de mauvaise gestion de projets d’infrastructure d’un montant estimé à Rs 700 millions. Un bon nombre de cadres de l’instance régulatrice de l’eau ont été cuisinés durant ce laps de temps, avant la publication rapport accablant, publié le 26 septembre, par la FCC. Il fait la part belle à cet item et apporte de l’eau au moulin aux lacunes signalées le 4 janvier 2024 dans le rapport de conformité rédigé par l’’ex-Chief Internal Auditor, Yousra Lalmohamed. Disposant d’éléments probants, la FCC devrait convoquer l’ex-patron de la CWA incessamment. Pour corriger les dérives adressées dans son rapport, la FCC a formulé 18 recommandations, en exigeant qu’elles soient appliquées sans délai afin de restaurer l’intégrité institutionnelle, protéger les fonds publics et regagner la confiance des citoyens.
La FCC est sur tous les fronts. Tandis que l’attention médiatique est focalisée sur les déboires d’Ashik Jagai, ex-patron de la SST, et de l’ex-commissaire de police Anil Kumar Dip, les soupçons de malversation entourant le projet In-House Pipe Replacement, réalisé sous l’ancien régime, devrait se greffer aux dossiers à charge instruits par l’agence dédiée aux crimes financiers. Son rapport, publié le vendredi 26 septembre, jette une lumière crue sur de graves failles stratégiques, structurelles et de faits relevant de la corruption et de la dilapidation de fonds autour dudit chantier évalué à Rs 700 millions. Pour plonger dans les eaux profondes de cette nébuleuse affaire, liée au remplacement de tuyaux vétustes, il faut remonter à juin 2024 et le dévoilement du rapport de conformité rédigé par l’ex-Chief Internal Auditor, Yousra Lalmahomed.
Ce rapport souligne que l’ « Internal Audit Plan 2023/2024 de la CWA n’avait pas été approuvé par le conseil d’administration, ce qui a entravé les progrès du département d’audit interne ». Yousra Lalmahomed avait également relevé « des incohérences autour du projet In-House Pipe Replacement Program », pour lequel une somme de Rs 700 millions avait été allouée dans le dernier budget, avec pour toile de fond les contrats attribués pour ces travaux et le choix de prestataires, et les processus de sélection. Là où le bât blesse est le fait que les Rs 700 millions auraient dû être versées en deux tranches, non pas sur le compte de la State Bank of Mauritius (SBM) de l’organisme, mais sur un compte séparé à l’ABSA. Aussi était-il convenu dans l’accord que la moitié de ladite somme soit créditée après la réception d’un rapport de conformité dûment approuvé par le conseil d’administration de la CWA. En poste à la CWA depuis 2019, Yousra Lalmahomed avait claqué la porte de l’instance régulatrice, après eu le courage d’aller chercher la poussière qu’on cachait sous le tapis, malgré la levée de boucliers de certains énergumènes qui auraient joué de la menace et usé des moyens de pression pour la réduire au silence et la punir.
De graves vulnérabilités systémiques
En dépit des divergences avec l’ex-ministre de tutelle, Joe Lesjongard, et l’institution d’un comité d’enquête visant à décortiquer les conclusions du rapport de conformité et déterminer si les allégations proférées par Yousra Lalmohamed concernant les abus verbaux, intimidations, cas de harcèlement et autres actes de représailles sont fondées, Prakash Maunthrooa réussissait pourtant à tenir la barre. Mais c’était dans compter le changement de régime et la FCC qui a remis les pendules à l’heure en épinglant dans son rapport la gestion de la CWA, durant le règne de celui qui faisait naguère la pluie et le beau temps au Sun Trust. La Financial Crimes Prevention Review, mené en vertu de la section 6 (2) (j) de la FCC Act 2023, met en lumière de graves vulnérabilités systémiques qui exposent l’organisme public à des risques élevés de corruption, de fraude et de mauvaise gestion des fonds publics.
« La CWA opère sans cadre formel de gestion de projets, un vide qui crée un terrain fertile pour la corruption et la fraude systémiques. » Cette remarque de la FCC est à elle seule révélatrice des vulnérabilités systémiques exposant l’institution à toute sorte de dérives. La FCC classe les risques en trois catégories principales : l’infrastructure de gouvernance, avec des faiblesses organisationnelles fondamentales, les étapes de gestion de projets, marquées par des vulnérabilités spécifiques aux processus, et les systèmes de contrôle, caractérisés par une surveillance et une responsabilité inadéquates.
Elle met à l’index la CWA pour ses failles dans la vérification des travaux et la gestion des variations contractuelles. Aucune preuve ne démontre que les mesures effectuées par les entrepreneurs sont validées par des ingénieurs supérieurs. Les inventaires comportent de nombreuses anomalies, tandis que certaines dépenses en capital ont été indûment imputées aux comptes de dépenses courantes, une pratique pouvant masquer des travaux fictifs. L’absence de suivi individualisé des projets brouille la comptabilité et accroît les risques de détournements.
Des projets scindés
artificiellement
Plusieurs postes clés sont vacants, notamment celui de Sworn Land Surveyor, ce qui a conduit à des opérations confiées à des officiers non qualifiés. De plus, le Professional Quantity Surveyor (PQS) n’est employé qu’à temps partiel et placé sous une hiérarchie, limitant son indépendance. Ces faiblesses structurelles favorisent la manipulation des procédures et sapent la transparence. La FCC dénonce la pratique du project splitting, consistant à scinder artificiellement des projets afin d’éviter un contrôle plus strict des appels d’offres. Cette méthode accroît la marge de manœuvre de la direction dans le choix des soumissionnaires. L’absence d’un comité technique pour valider les dossiers d’appel d’offres entraîne également des risques d’incohérences techniques, de surcoûts et de favoritisme. Le rapport pointe aussi des délais de livraison volontairement réduits pour favoriser certains entrepreneurs.
Tout sommairement résumé pour rappeler un fait irréfutable : face à cette bombe à retardement relative aux conséquences que pourraient avoir cette gestion catastrophique de la CWA sur des centaines de milliers d’abonnés, Prakash Maunthrooa, qui a déjà fait face au feu roulant de questions de la part des membres de FCC, devrait de nouveau être convoqué par la commission dans les jours à venir.
Les 18 recommandations formulées par la commission :
•Instaurer un cadre écrit de gestion de projets
•Recruter un Sworn Land Surveyor
•Renforcer le rôle du PQS en le rattachant directement au Deputy General ManagerTechnical
•Mettre fin au project splitting
•Créer un Design Committee
•Appliquer correctement le modèle design-and-build
•Corriger l’usage des provisions dans les Bills of Quantities
•Fixer des délais de livraison équitables
•Inclure le PQS et l’Assistant Quantity Surveyor dans les comités d’évaluation
•Évaluer rigoureusement les ajouts aux devis
•Appliquer des procédures strictes de vérification des travaux
•Documenter toutes les variations contractuelles
•Encadrer les extensions de délais
•Instaurer des protocoles pour la gestion et l’inspection des matériaux
•Renforcer les procédures de vérification des travaux et de gestion des stocks
•Corriger les classifications comptables
•Adopter des méthodes transparentes d’allocation des coûts
•Assurer une comptabilisation individualisée pour chaque projet
Shyam Thanoo, DG de la CWA : « Nous appliquerons les recommandations à la lettre »
« Nous suivrons les recommandations du rapport de la FCC à la lettre ». C’est ce que nous a confié le directeur général actuel de la CWA, Shyam Thanoo, qui s’appesantit sur deux volets essentiels du rapport. « L’un porte sur la gestion des projets au sein de la CWA et l’autre sur des soupçons de corruption liés à certains travaux. Ces recommandations serviront de base pour améliorer nos pratiques de gestion à l’avenir et éviter les dérives constatées en 2024. J’ai l’obligation de les mettre en œuvre dans un délai de six mois ».
Il ajoute que la CWA procède à des recrutements pour pallier le manque de personnel, particulièrement dans les équipes de supervision des projets : « Ce déficit de supervision a contribué à la mauvaise qualité de certains travaux par le passé. » Une question taraude le patron de la CWA : « Qui a approuvé les paiements sans vérifier la qualité des travaux ? Ceux qui sont en faute devront rendre des comptes. »
Même son de cloche du côté du ministre de tutelle, Patrick Assirvaden. Jeudi, lors d’une visite à Beau Songes pour constater l’installation d’un Containerized Pressure Filter Plant (CPF), destiné à améliorer l’approvisionnement en eau dans la région, il a confié à la presse que « toutes les parties prenantes concernées ont pris connaissance des recommandations et qu’elles suivront scrupuleusement les directives de la FCC afin de redresser la situation. »
On verra si les actes suivent les paroles.