Rapport de Reporters Sans Frontières 2025 – la liberté de la presse sous pression 
économique : vers un recul global inédit

À l’heure où la liberté de la presse connaît un recul inquiétant dans de nombreuses régions du monde, un facteur majeur, souvent sous-estimé, fragilise profondément les médias : la pression économique. Concentration de la propriété, pressions des annonceurs ou des financeurs, absence, restriction ou attribution opaque des aides publiques… À l’aune de ces données mesurées par l’indicateur économique du Classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans Frontières (RSF), un constat s’impose : les médias sont aujourd’hui pris en étau entre la garantie de leur indépendance et leur survie économique. Le nouveau Classement mondial de la liberté de la presse publié par RSF en 2025 tire la sonnette d’alarme : pour la première fois, la situation de la liberté de la presse est qualifiée de “difficile” à l’échelle mondiale. Si les attaques physiques contre les journalistes continuent d’alimenter l’inquiétude, la précarité économique des médias constitue désormais la menace la plus profonde et la plus insidieuse.

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Un indicateur économique à un niveau critique
L’indicateur économique du classement, l’un des cinq piliers analysés par RSF, atteint en 2025 un niveau critique. Dans 160 des 180 pays observés, les médias ne parviennent plus à assurer leur stabilité financière. La conséquence est immédiate : fermetures massives de rédactions, exil forcé de journalistes, baisse drastique de la qualité de l’information.

34 pays enregistrent des fermetures à grande échelle de médias, avec des conséquences directes sur le pluralisme et la sécurité des professionnels. C’est le cas notamment du Nicaragua (172e), de l’Iran (176e), du Bélarus (166e), ou encore du Soudan (156e) où la double pression économique et politique mène à une véritable hémorragie médiatique.

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Les États-Unis en chute libre : désertification de l’information locale
Malgré son rang relativement élevé (57e), les États-Unis deviennent emblématiques de la crise économique du journalisme. Le second mandat de Donald Trump a renforcé l’instrumentalisation économique de la presse : gel des financements internationaux (USAID), arrêt des subventions à l’USAGM, et coupure brutale de l’information pour plus de 400 millions d’auditeurs et téléspectateurs dans le monde. Dans plusieurs États américains (Arizona, Nevada, Floride…), les journalistes interrogés par RSF décrivent un contexte de viabilité économique quasi impossible. Le journalisme local s’effondre, laissant place à des déserts médiatiques vulnérables à la désinformation.

Hégémonie des GAFAM et concentration toxique
L’économie des médias est aussi plombée par la domination croissante des GAFAM – l’acronyme des géants du Web : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft –, qui captent une part écrasante des recettes publicitaires mondiales (247,3 milliards USD en 2024, en hausse de 14%). Cette asymétrie met les médias traditionnels à genoux, les poussant à des stratégies de survie, au détriment de la rigueur éditoriale. À cela, s’ajoute une concentration excessive de la propriété médiatique dans au moins 46 pays. Ce phénomène – qu’il s’agisse de monopoles d’État (Russie, Vietnam) ou de concentrations privées entre les mains de grandes fortunes (France, Hongrie, Liban) – réduit la diversité éditoriale, accroît l’autocensure et menace l’indépendance journalistique.

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Dégradation rapide
Plusieurs pays affichent une dégradation rapide : la Tunisie perd 11 places (129e) dans un climat où l’aide publique se fait opaque et orientée politiquement. Le Rwanda (146e) reste miné par une concentration étatique et l’ingérence directe des autorités. Le Pérou (130e) subit un effondrement de son modèle économique, rendant les rédactions extrêmement vulnérables aux groupes d’intérêts.

Quelques signaux positifs mais fragiles
À l’inverse, quelques pays progressent, comme le Sénégal (+20 places, 74e), grâce à une dynamique de réforme économique. Mais même dans des nations bien classées comme la République tchèque la Tchéquie (10e) ou la Finlande (5e), RSF appelle à la vigilance face à la concentration croissante et au manque de garde-fous contre l’ingérence économique dans les rédactions.

Le message de Reporters sans Frontières

“Garantir un espace médiatique pluraliste, libre et indépendant nécessite des conditions financières stables et transparentes. Sans indépendance économique, pas de presse libre. Quand les médias d’information sont fragilisés dans leur économie, ils sont aspirés par la course à l’audience, au prix de la qualité, et peuvent devenir la proie des oligarques ou de décideurs publics qui les instrumentalisent. Quand les journalistes sont paupérisés, ils n’ont plus les moyens de résister aux adversaires de la presse que sont les chantres de la désinformation et de la propagande. Il convient de restaurer une économie des médias qui soit favorable au journalisme et qui garantisse la production d’informations fiables, une production nécessairement coûteuse. Des solutions existent, elles doivent être déployées à grande échelle. L’indépendance financière est une condition vitale pour garantir une information libre, fiable et au service de l’intérêt général.”
Anne Bocandé
Directrice éditoriale de RSF

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