Relation Église/Etat : Le cardinal Piat souligne « le déficit de dialogue »

L’évêque de Port-Louis : « Saisissons l’occasion de la pandémie pour ouvrir les fenêtres du dialogue et laisser entrer l’air frais de la fraternité et de l’amitié sociale… »

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La lettre pastorale remet à l’avant-plan la problématique de la réforme électorale et le financement des partis politiques

S’il y a un mot qui revient comme un leitmotiv dans la lettre pastorale pour le carême 2022 de l’évêque de Port-Louis, le cardinal Maurice E. Piat, c’est bien « dialogue ». Que ce soit pour le volet consacré au chapitre de la société civile ou encore aux affaires internes de l’église, le cardinal met l’accent sur cette urgence de rétablir les ponts dans la conjoncture d’autant que de manière systématique, il cite des exemples du « déficit de dialogue démocratique qui a cours dans le pays ». Tout en évitant d’adopter un ton de récrimination, privilégiant un langage très terre-à-terre et concédant « la complexité et l’interconnexion des problèmes soulevés dans le sillage de la pandémie », il lance un appel pressant, à savoir : « Saisissons l’occasion pour ouvrir les fenêtres de dialogue et laisser entrer l’air frais de la fraternité et de l’amitié sociale qui nous donnera un nouveau souffle. » L’évêque de Port-Louis plaide pour une refondation car « à chaque fois, grâce à ce génie mauricien toujours prêt à se manifester, nous avons réussi à saisir dans la crise elle-même l’occasion de refonder notre vivre-ensemble ».

D’entrée de jeu, le cardinal Piat dresse le constat, notamment que « le dialogue social a été une victime collatérale de cette gestion de la crise sur plusieurs fronts à la fois ». Tout n’est pas pour autant perdu car « il est temps de redonner du souffle au dialogue démocratique, d’encourager une large concertation sociale pour mobiliser toutes les énergies en vue d’une reconstruction – pas seulement économique ». De ce postulat, il fait un audit des déficits en matière de dialogue dans le pays.

« Un peuple peut avoir des désaccords, des différences profondes, mais il peut aussi marcher ensemble à partir du moment où ceux qui le composent entendent l’appel d’un destin commun et décident de vivre ensemble », écrit-il en rappelant que « cette conscience se réveille, est alertée lorsque notre république est touchée dans son intégrité territoriale, dans ses institutions, dans son environnement ».

N’empêche, dira le cardinal Piat que « le dialogue social est trop dominé aujourd’hui par des bipolarisations, par les guerres de chefs de clans qui se font face dans une forme de brutalité majorité/opposition, État/société civile, secteur privé/secteur public, média pro-gouvernement et média anti-gouvernement ».

En contrepartie, sur des sujets d’importance nationale, l’évêque de Port-Louis recommande qu’il est « temps de s’élever au-dessus de nos intérêts particuliers, politiques, économiques ou culturels, et de donner priorité au bien commun dans la réflexion ». À ce titre, il n’hésitera pas à remuer le couteau dans la plaie en alignant des sujets suscitant controverses et passion, notamment la révision du découpage actuel des circonscriptions électorales, la réforme du système électoral de First Past the Post, l’obligation de la déclaration ethnique des candidats aux élections générales et surtout l’absence d’un cadre régulateur du financement des partis politiques.

L’évêque de Port-Louis se permet d’aller plus loin en abordant la question de l’indépendance des institutions et des dispositions à prendre pour assurer sa protection. « La santé d’une démocratie dépend essentiellement de cette indépendance. Si la confiance en ces institutions est le moindrement entamée, c’est tout l’édifice démocratique qui est fragilisé et deviendra très vulnérable devant les assauts de divers intérêts particuliers », s’appesantit-il.

Le cardinal place l’électeur devant ses responsabilités par rapport au dysfonctionnement de la démocratie à Maurice. « Ils sont trop nombreux à chercher auprès des politiques des faveurs personnelles, des privilèges claniques au mépris du bien commun. Il est courant d’entendre un électeur demander à un candidat lors d’une élection : ki ou pou fer pou mwa ? La vraie question pourtant est ki ou pou fer pou nou pei ? » maintient-il en dénonçant sans ménagement cette « culture de backing, faisant de nos institutions publiques et privées un club de protégés, lesquels quand ils sont en place, ne font que protéger leurs protecteurs. La boucle est bouclée ».

L’importance de l’opposition et des médias dans ce processus de dialogue est soulignée avec force. Prônant une autre approche dans la façon de voir l’opposition, l’évêque de Port-Louis avance que « l’opposition est un pilier essentiel de la démocratie. Elle est totalement légitime. De même que des médias libres et critiques. Trop souvent, les gouvernements sont réfractaires à cette liberté, nécessaire pourtant, pour relever les défis communs auxquels nous sommes tous confrontés »

Le cardinal Piat situe le rôle primordial des médias en vue de populariser ce dialogue alors que « les réseaux sociaux sont trop souvent mal utilisés et sont devenus des véhicules d’outrances et de rumeurs ». Il rappelle au sujet des médias que « le premier devoir est la recherche de la vérité, celle qui fait sortir de l’obscurité, qui libère ». Il ajoute que « des médias qui se veulent représentatifs du peuple mauricien doivent être en mesure de montrer avec honnêteté et bonne foi, ce qui fonctionne et ce qui ne va pas » de même que la mise en valeur de la solidarité face à l’adversité.

Le diocèse de Port-Louis se dit également conscient du « rêve démocratique chez les jeunes ». Tout un chapitre y est consacré dans la lettre pastorale avec une mise en garde contre les dérives sur les réseaux sociaux. Le cardinal Piat est d’avis que l’esprit de dialogue revêt toute son importance par rapport aux jeunes générations.

« Les adultes d’aujourd’hui ont intérêt à les écouter sur les questions qui commencent à émerger et qui concernent spécialement leur avenir. Ces questions demandent une réflexion longue pour arriver à des réponses adaptées. Les jeunes, de leur côté, ont besoin de s’initier à l’exercice de leur responsabilité politique de citoyens », fait-il ressortir en réitérant qu’ « entre l’indifférence égoïste et la protestation violente, une option est toujours possible : se rencontrer, se parler, discerner ensemble et devenir des artisans de paix »

L’autre volet du mandement de carême est axé sur les affaires propres à l’Église catholique, en particulier « le poids d’une culture imprégnée de cléricalisme, où trop de pouvoirs sont concentrés sur les seuls prêtres. » Dans la conjoncture, le regret est que  « cette culture héritée du passé et pas assez remise en cause a eu pour conséquences des formes tordues d’exercice d’autorité sur lesquelles se sont greffés différents types d’abus, abus de pouvoir, abus économiques, abus sexuels ».

Le cardinal Piat est d’avis que « la synodalité demeure l’antidote du cléricalisme dans l’église » et invite les fidèles à apporter leur expérience de vie en église, leurs joies et leurs peines dans le cadre du synode en cours dans le diocèse et dans le monde à la demande du pape François.

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