Reportage – Changement climatique: Ces plages fatiguées par l’usure du temps…

« Lanatir ki koumsa. Ki nou pou fer ? » Comme Satish, les zanfan lakot ont fini par développer une sorte de défaitisme face au déchaînement, voire à la déchéance de mère Nature ces dernières années. S’il existe encore nombre de climatosceptiques reniant catégoriquement la théorie du changement climatique, force est de constater que ce sont surtout les gens du sud, soit les petits États insulaires comme Maurice, qui en subissent les effets les plus graves. Le cyclone Belal, qui a causé les inondations meurtrières dans la capitale lundi dernier, en est d’ailleurs la preuve. Et l’état des plages défigurées par le mauvais temps en dit long. Reportage.

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Samedi, 10h. Nous quittons la capitale en direction de Pointe-aux-Piments. Sous un ciel couvert, et quelques heures après l’annonce d’un avis de fortes pluies, l’on sent comme un vent de panique avec un empressement au sortir de Port-Louis. La plaie est visiblement encore ouverte après le traumatisme collectif de la semaine d’avant. Bref, direction la première plage de Pointe-aux-Piments. Hormis quelques touristes, la plage est surtout remplie de pêcheurs occupés à retaper leurs bateaux. « Delo ti monte ziska sa pie-la », nous indique Satish. L’arbre en question se trouve à une centaine de mètres du littoral. Habitant de Pointe-aux-Piments, Satish est pêcheur. Cette partie de l’île, elle la connaît par cœur. Sans aucune hésitation, il nous accompagne vers la plage pour nous montrer son lieu de travail. « Je connais cette mer par cœur. La dernière fois où j’ai vu la mer monter à ce niveau-là, c’était pour le cyclone Carol », se souvient-il. « Mes enfants n’ont vu jamais ça. »

Satish renchérit que ces 10 dernières années, les choses ont changé. « On n’a plus autant de poissons qu’avant », regrette-t-il. Pourtant, après le passage de Belal, les choses semblent reprendre leur cours normal. « Mon bateau, j’ai dû le laisser sur la plage, en le mettant le plus loin possible de la mer, mais comme je viens de vous le montrer, l’eau de la mer a recouvert entièrement la plage et l’herbe », en ajoutant qu’on leur avait promis un débarcadère correct, mais que nenni. « Lanatir ki koumsa. Ki nou pou fer ? », nous lance-t-il, affichant une légère grimace. « La mer, c’est notre gagne-pain, nous dépendons d’elle et il y a des choses que l’on ne peut pas contrôler », dit-il.

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Le béton n’y peut rien face à l’eau
Nous le laissons à ses occupations pour nous balader sur la plage. Si les débris ont été ramassés, l’étendue des dégâts reste très visible. Sur la plage, des racines d’arbre sont exposées et des portions entières de plage ont été arrachées par la violence des vagues… sans compter les débris, dont des bouteilles en plastique régurgitées par la mer.
Nous poursuivons notre route pour nous arrêter sur une deuxième petite plage du village. Comme au lendemain d’un drame, le paysage est triste. Malgré la mer démontée, quelques pêcheurs en ont profité pour sortir. Un hôtel, littéralement pieds dans l’eau, a lui un pan entier de son mur qui a cédé par la force des vagues. Un énième exemple pour montrer que le béton n’y peut rien face à l’eau. « Je me souviens qu’avant, je me mettais sur cette bande de coraux pour pêcher. Elle était loin dans la mer, aujourd’hui, cette bande de coraux est pratiquement sur la plage », nous dit Patrick.

Pieds dans l’eau ?
En effet, cette impression que la mer s’est rapprochée, c’est surtout dû au fait que la plage a rétréci par endroit pour s’agrandir ailleurs… Un phénomène naturel, accéléré ces dernières années, par le réchauffement climatique et l’augmentation du niveau de la mer. Lundi dernier, en passant par là, Patrick a d’ailleurs été témoin de la montée des eaux. « La mer avait totalement envahi la plage. Et on peut voir par endroit qu’il manque du sable. Il a été emporté par les vagues », dit-il. Partout où nous passons, les gens nettoient, ramassant les feuilles sèches ou les arbres qui ont cédé. Devant Nemorin Government School, un arrêt d’autobus a été scellé. Pour cause, il penche vers la mer qui a, ici aussi, repris une partie de ses terres.

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Nous arrivons à Trou-aux-Biches. Village largement touristique, la plage est bondée de touristes justement, profitant du soleil timide, et visiblement déphasés par l’état démonté de la mer. « Il y avait beaucoup de dégâts, beaucoup de débris au lendemain de Belal, mais je dois dire que les services de nettoyage ont fait un travail formidable. Même les touristes étaient étonnés de la vitesse avec laquelle les employés ont agi », nous confie une commerçante. Elle tient une échoppe sur la plage depuis une dizaine d’années et elle aussi nous livre le même constat. « Lamer inn bien monte ! Avan tousala ti disab », dit-elle.
Post-Belal, cette petite portion de plage qui abritait une anse pour nager a été délimitée par des bandes de balises jaunes, comme sur une scène de crime. En effet, la mer démontée a tout emporté sur son passage, laissant derrière elle quelques squelettes d’arbres démembrés. « J’avais pour habitude de m’asseoir sous cet arbre le midi pour manger, mais comme vous pouvez le voir, il n’y a plus rien. Et même ce bateau-là qui s’est échoué, il était loin en mer. Vag inn pran li, inn amenn li la », ajoute pour sa part Rosemay. Cette habitante de Pamplemousses s’occupe du nettoyage de la plage depuis des années. « La mer a beaucoup changé, mais nous ne pouvons rien y faire », répète-t-elle.
« Koman lamer li pran,
lamer li done »

Pendant notre reportage, l’on s’est vite rendu compte que les touristes ne semblaient pas trop se rendre compte de l’étendue du drame climatique — et tant mieux pour le tourisme, dira-t-on — toutefois, les habitants, les gens de mer, eux, en sont bien conscients. Vulnérables, mais surtout impuissants face aux effets du changement climatique, ils semblent avoir accepté leur sort, mais ne baissent pas pour autant les bras. « Koman lamer li pran, lamer li done. Li vre ki nou pa kapav kontrol li, me si nou okip li bien, si nou aprann viv ar li, nou pena pou per », conclut Satish.

QUESTIONS À – DR JAY DOORGA (ENSEIGNANT CHERCHEUR) : « Les îles de l’océan Indien connaissent une élévation du niveau de la mer de 4 à 6 mm par an »

Une approche pluridisciplinaire favorisant des solutions de géoingénierie. C’est ce que préconise le Dr Jay Doorga, enseignant chercheur à l’université des Mascareignes. Ancien boursier de l’État, ce fils du sol, qui détient un MSc (Distinction) de l’University of Oxford en Environmental Change & Management, et un PhD en Solar Energy Modelling & Forecasting, est un fervent défenseur de la cause environnementale. Il insiste sur l’urgence d’investir davantage dans la recherche et les nouvelles technologies pour mieux cerner et appréhender les effets du changement climatique, qui pour un petit État insulaire comme le nôtre, demeure inévitable. Post-Belal, il nous explique ce qui s’est passé sur les plages et ce qui se passera si rien n’est fait.

Pour commencer, quelques mots sur le changement climatique et de son impact sur nos plages…

Au cours des dernières décennies, l’île Maurice a été confrontée à d’importants problèmes liés au climat. L’augmentation de la température de la planète entraîne une modification des schémas climatiques mondiaux, ce qui a un impact important sur les environnements terrestres et océaniques. À l’interface de la terre et de l’océan se trouve la zone côtière, qui est influencée à la fois par la dynamique de l’océan côtier induite par le climat, d’une part, et par les pressions exercées par l’homme à l’intérieur des terres, d’autre part.

Le changement climatique entraîne une élévation du niveau de la mer et des ondes de tempête plus intenses qui ont un impact négatif sur nos plages. En cas de cyclone, l’intensité des ondes de tempête est encore plus forte, ce qui entraîne le déplacement de grandes masses de sédiments et déforme la structure générale de la morphologie de la plage. On prévoit qu’une augmentation de 13% des cyclones tropicaux atteignant les catégories 4 et 5 sera inévitable pour un réchauffement de 2°C de la température mondiale, l’augmentation réelle étant de 1,34 °C selon le Bulletin of the American Meteorological Society.

En outre, comme l’indique le livre Tropical Extremes d’Elsevier, les îles de la région du sud-ouest de l’océan Indien connaissent une élévation du niveau de la mer de 4 à 6 mm par an au cours des 30 dernières années, ce qui correspond à une élévation de 2 à 3 fois supérieure à la moyenne mondiale. Cet effet combiné de l’élévation du niveau de la mer et des ondes de tempête a un impact sur les côtes et a inspiré l’une de mes recherches à l’université des Mascareignes, qui est actuellement sous presse et qui révèle les régions autour de l’île où nos plages sont le plus souvent inondées.

Quelles solutions à adopter contre le phénomène d’érosion des plages ?
Les stratégies de gestion côtière efficaces sont essentiellement doubles : d’un côté, les pays du monde entier mettent en œuvre des solutions techniques, telles que des brise-lames ou des récifs coralliens artificiels pour protéger la morphologie des plages ; de l’autre, il existe un fort mouvement en faveur de solutions basées sur la nature, qui comprennent la restauration des coraux, des mangroves, ainsi que la plantation de dunes de plage et d’herbes marines pour retenir les sédiments côtiers sur nos plages, même face à l’augmentation des ondes côtières. Le principal problème des solutions d’ingénierie dure est qu’une fois mises en œuvre, elles sont des structures permanentes et parfois, si elles ne sont pas placées stratégiquement, elles peuvent détériorer la situation actuelle. C’est le cas des Comores, comme le rapporte l’Agence française de développement, où les structures côtières ont été construites au mauvais endroit, à partir des coraux et du sable qu’elles étaient censées protéger, ce qui a entraîné une mauvaise adaptation. En raison des ressources foncières limitées de l’île, qui offrent moins de possibilités d’expérimentation, il serait en effet plus sûr de mettre en œuvre des solutions fondées sur la nature.

Pour une île comme Maurice, concrètement, comment le changement climatique se traduit-il ?
Le changement climatique se manifeste sous plusieurs formes : des impacts sur la faune et la flore marines et terrestres aux risques climatiques tels que les cyclones, les inondations et les sécheresses. Selon une étude du groupe de la Banque mondiale, les inondations constituent la deuxième menace la plus importante pour la société après les cyclones, contribuant à une perte directe d’environ 22 millions de dollars par an, ce qui équivaut à 20% des pertes économiques du pays liées aux catastrophes. C’est le cas de la capitale de l’île Maurice, Port-Louis, où notre recherche a indiqué que pour faire face à la question du climat, une approche pluridisciplinaire doit être adoptée et qui comprend des solutions de géoingénierie, des stratégies juridiques et une planification urbaine durable. Il est important de reconnaître qu’au cœur de la crise climatique se trouve la question des risques variables et des vulnérabilités des personnes à différents niveaux de la société. Il est donc important de ne laisser personne de côté.
Kovillina Durbarry

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