Partager à Noël un moment avec des enfants et des adolescents internés (n’ayons pas peur des mots, puisque c’est bien le cas) à l’hôpital psychiatrique Brown-Séquard, c’est bien. Protéger leur identité et ne pas les exposer sur les réseaux sociaux, c’est mieux. C’en est même une obligation légale. Le personnel hospitalier devrait connaître les dispositions de la loi et veiller à leur strict respect. Le droit à la vie privée – plus encore lorsqu’il s’agit de mineurs et de patients vulnérables – ne saurait être relégué au second plan, même au nom de la solidarité.
Le 25 décembre, jour de la célébration de Noël, le député Eshan Juman s’est rendu dans cet hôpital où il a passé un moment avec ces jeunes qui, selon toute vraisemblance, n’auraient pas bénéficié de visites familiales. Ces enfants et adolescents, souvent « oubliés » par leurs proches ou placés dans des shelters, ont, en effet, grandement besoin de visites, en particulier en période festive.
Si le parlementaire a accompli un geste humanitaire en allant à la rencontre de ces jeunes patients, attablés au moment de sa visite, il semble toutefois avoir oublié que ces mineurs, placés dans un établissement hospitalier public et donc sous la responsabilité de l’État, ne devraient pas être exposés sur les réseaux sociaux, en l’occurrence sur son propre compte. Très actif sur les plateformes numériques, le député a diffusé une vidéo de son passage dans le ward des adolescents, accompagnée de conseils à tonalité paternelle. Pendant un peu plus de deux minutes, les visages de ces mineurs en traitement psychiatrique étaient clairement visibles. La section 27 (Right to privacy) de la Children’s Act 2020 est claire sur la question de la vie privée des enfants dans les médias. La loi interdit la publication ou la diffusion dans les médias, y compris sur Internet ou les réseaux sociaux, de toute information ou contenu (photos, vidéos, enregistrements, etc.) qui identifie ou tend à identifier un enfant. Bien que la loi ne mentionne pas expressément les hôpitaux, la portée générale du droit à la vie privée s’applique à chaque enfant, quel que soit le lieu où il se trouve, y compris dans un établissement de santé ou un hôpital psychiatrique. Pendant cette visite solidaire, le député a pris connaissance d’une requête formulée par une jeune pensionnaire. Cette dernière a fait un appel pour qu’un petit déjeuner varié soit servi aux adolescents. Mais il n’y a pas que les repas des jeunes de Brown-Sequard qui ont besoin d’être revus. Dans une deuxième vidéo post visite, le député « révolté » par ce qu’il a découvert jeudi dernier, fait un constat déplorable et triste de la situation de ces enfants à Brown-Sequard. Eshan Juman explique qu’il a alerté les ministres, ainsi que l’Ombudsperson pour les enfants, ceux concernés par les conditions de ces jeunes patients de l’hôpital. La démarche du parlementaire n’est nullement remise en question, d’autant que la réalité qu’il a découverte le jour de Noël à Brown-Sequard a été maintes fois évoquée dans nos colonnes et celles de nos confrères.
Si la visite d’Eshan Juman et la stupéfaction qu’il a exprimée sur les réseaux sociaux peuvent contribuer à améliorer le sort de ces mineurs, tant mieux. Car in fine, l’intérêt supérieur de l’enfant doit primer. Mais le propos ici est ailleurs : il s’agit de la protection de l’identité des mineurs. Au-delà du respect de la vie privée et de l’identité des enfants, il convient de rappeler, une fois encore, que Brown-Sequard est devenu, dans bien des cas, un lieu d’abandon par excellence pour ceux qui ne souhaitent pas ou qui ne sont pas outillés pour encadrer des enfants souffrant de troubles psychiatriques, voire psychologiques. Quand on sait que la stigmatisation a la dent dure et que l’on connaît son impact durable sur la vie d’un être humain, il est impératif d’éviter toute exposition de ces mineurs.
Une autre question mérite d’être posée : comment le personnel soignant a-t-il pu laisser filmer des enfants placés sous la responsabilité de l’hôpital ? Si ce personnel était pleinement formé aux droits de l’enfant, il n’aurait en aucun cas permis à quiconque, parlementaire ou non, de braquer un téléphone portable sur ces mineurs. La presse, pour sa part, n’a jamais été autorisée à réaliser un reportage, fût-il objectif, dans une salle d’hôpital accueillant des enfants, sans autorisation préalable.
Encore une fois, que le parlementaire Eshan Juman ait accompli ce qu’il considérait comme son devoir, soit, et tant mieux. Mais il est évident que ceux qui devraient mieux connaître les droits de l’enfant ont encore beaucoup à apprendre…
Right to privacy : Les enfants de Brown-Sequard : la ligne à ne pas franchir
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